[e-med] (2)Le médicament est il un déchet comme les autres?

[Le médicament est il un déchet comme les autres?... L'Académie nationale de Pharmacie répond.CB]

Académie nationale de Pharmacie
Fondée le 3 août 1803 sous le nom de Société de Pharmacie de Paris
Reconnue d’utilité publique le 5 octobre 1877
http://www.acadpharm.org/medias/direct/Recommandations-Med-Env-VDEF-31.01.08
-AC.pdf

MEDICAMENTS ET ENVIRONNEMENT
L’Académie nationale de Pharmacie rappelle que les médicaments apportent une
contribution majeure à l’amélioration de la santé de la population et à
l’accroissement de l’espérance de vie ainsi qu’à la qualité des soins. Ceci
étant, alertée par les publications scientifiques nationales et
internationales, elle exprime sa préoccupation sur les conséquences
environnementales de leur utilisation.

CONSTAT DE LA CONTAMINATION
Grâce aux progrès de l’analyse physico-chimique, la présence de traces de
substances médicamenteuses et de leurs dérivés ou métabolites a été
largement établie à l’échelle mondiale, en particulier dans les eaux
superficielles et souterraines, dans les eaux résiduaires, dans les boues
des stations d’épuration utilisées en épandage agricole et dans les sols.
Ces résidus s’ajoutent aux nombreuses substances non médicamenteuses liées
aux activités humaines, également présentes dans l’environnement, telles que
les pesticides, détergents, hydrocarbures, métaux.

Selon les substances médicamenteuses et les différentes catégories d’eau,
les concentrations retrouvées varient dans une gamme allant du nanogramme
par litre dans les eaux superficielles douces ou marines, les eaux
souterraines et les eaux destinées à la consommation humaine, jusqu’au
microgramme, voire à plusieurs centaines de microgrammes par litre dans les
eaux résiduaires et les effluents, avec des variations spatio-temporelles
dépendant des activités humaines. La situation est très inégale selon les
pays en fonction de leur développement socio-économique, de l’accès de leurs
populations aux soins et de leurs réglementations.

Deux catégories de sources d’émission peuvent ainsi être identifiées :

-les sources d’émissions diffuses consécutives aux rejets de substances
médicamenteuses et de leurs dérivés dans les urines et les fécès de la
population humaine et des animaux de compagnie et d’élevage,

-les sources d’émissions ponctuelles liées aux rejets de l’industrie
chimique fine, de l’industrie pharmaceutique, des établissements de soins,
des élevages industriels animaux et piscicoles ou aux épandages des boues de
stations d’ épuration. Les rejets des établissements de soins représentent
une situation particulière en raison du nombre de malades traités, de la
quantité et de la diversité des médicaments utilisés notamment des
anticancéreux, anesthésiques, antibiotiques ou produits radioactifs.

ORIGINES DE LA CONTAMINATION

La présence de résidus de substances médicamenteuses dans les eaux est liée
à des rejets émis tout au long de leur cycle de vie depuis la fabrication
des principes actifs ou celle des spécialités pharmaceutiques, leur
utilisation en milieu hospitalier ou en ambulatoire, leurs utilisations
vétérinaires ou nutritionnelles à des fins d’élevage animal, y compris la
pisciculture, jusqu’à la gestion des médicaments de l’armoire à pharmacie
des particuliers, à la collecte et la destruction des médicaments non
utilisés (MNU).

Cette présence dans les différents compartiments de l’environnement résulte
d’un ensemble de caractéristiques propres à chaque substance : quantité
fabriquée, métabolisation chez l’homme et l’animal, propriétés
physico-chimiques et biodégradabilité de la substance et de ses métabolites
dans l’eau, les sols et les chaînes alimentaires.

LES DIFFICULTES DE L’EVALUATION DES RISQUES CORRESPONDANTS

Pour procéder à l’évaluation des risques d’une substance, il faut disposer
de trois catégories de données : sa nocivité intrinsèque, l’estimation des
expositions et la connaissance des relations doseeffet, s’agissant aussi
bien des populations humaines que des systèmes écologiques.

La nocivité intrinsèque pour l’homme des substances médicamenteuses est
assez bien connue dans le cadre de leur utilisation, c’est-à-dire à des
doses thérapeutiques. Toutefois les effets de faibles doses sur des périodes
longues, en mélanges avec d’autres substances médicamenteuses ou non, sont
mal connus et particulièrement difficiles à étudier.

Il est déjà connu que certaines substances médicamenteuses peuvent avoir un
impact significatif sur la flore et la faune, notamment en matière de
modulation endocrinienne qui peut survenir à doses très faibles. Cependant
de tels impacts écologiques, à faibles concentrations et surtout en
association, ont été insuffisamment évalués à ce jour.

L’éventualité de risques sanitaires pour l’homme, dus à l’exposition de la
population aux résidus de substances médicamenteuses, n’est pas encore
suffisamment documentée et leur présence dans les eaux souterraines, voire
dans l’eau du robinet, peut inquiéter. En fait, l’exposition à de tels
résidus par des eaux destinées à la consommation humaine dépend à la fois de
la qualité des ressources utilisées et de l’efficacité de leur traitement de
potabilisation.

Des traces de substances médicamenteuses appartenant à une quarantaine de
classes thérapeutiques ont été détectées dans les eaux superficielles à la
sortie des stations d’épuration en France mais aussi sur tous les
continents. Il a été démontré que le taux de destruction ou de rétention
dans les boues des eaux résiduaires des stations d’assainissement était très
variable selon les classes thérapeutiques et, dans une même classe, selon
les substances (de 30 à plus de 90%). Il a été aussi mis en évidence que des
stations d’épuration pouvaient transformer certaines substances et leur
redonner une forme biologiquement active. De plus, toutes les substances
présentes dans les boues d’épuration peuvent théoriquement être transférées
à l’homme après épandage sur les sols via les plantes alimentaires et/ou les
animaux d’élevage mais cette possibilité est aussi insuffisamment
documentée.

UNE REGLEMENTATION ENCORE INSUFFISANTE

L’impact environnemental est déjà pris en considération dans la
réglementation européenne existante ou en préparation pour les autorisations
de mise sur le marché des médicaments à usage humain ou vétérinaire.
Néanmoins, cette réglementation n’envisage pas toutes les conséquences
écologiques, notamment à long terme, des rejets de résidus de ces substances
médicamenteuses et de leurs métabolites.

DES ENJEUX IMPORTANTS

Une meilleure connaissance du cycle de vie des substances médicamenteuses
dans l’environnement est indispensable pour mieux suivre les conséquences de
leurs rejets. Les enjeux de ces connaissances concernent non seulement la
protection de l’environnement et en particulier le bon état des milieux
aquatiques et des ressources en eau, mais aussi la santé publique. Un autre
enjeu est celui de l’amélioration et du coût des technologies de traitement
des eaux résiduaires et des eaux destinées à la consommation humaine.

RECOMMANDATIONS

Pour ces raisons, l’Académie nationale de Pharmacie fait les recommandations
suivantes selon trois axes :

LIMITER ET CONTRÔLER LES REJETS

1- Optimiser la fabrication par l’industrie chimique des substances actives
à usage médicamenteux, la fabrication des médicaments eux-mêmes par
l’industrie pharmaceutique, ainsi que la collecte et la destruction des
médicaments non utilisés, en vue d’éviter, autant que possible, le rejet
dans l’environnement de substances biologiquement actives et , plus
particulièrement :

1.1- pour l’industrie de chimie pharmaceutique, utiliser les technologies
les plus respectueuses de l’environnement dans ses unités de Recherche et de
Production,

1.2- sur les sites de production chimique et pharmaceutique, poursuivre et
amplifier les efforts de certification environnementale,

1.3- mettre en place des stratégies de prévention pour minimiser les rejets
de substances médicamenteuses et de leurs métabolites, en particulier dans
les établissements de soins et dans les élevages,

1.4- généraliser, à l’usage des particuliers, la mise en place, avec la
profession pharmaceutique, de systèmes de collecte et de traitement des
médicaments non utilisés qui soient harmonisés avec les filières locales de
gestion des déchets,

1.5- anticiper les conséquences environnementales éventuelles des nouvelles
technologies comme celles utilisant les nanoparticules au service des
médicaments,

2- renforcer la surveillance environnementale des rejets des industries
chimique et pharmaceutique, des établissements de soins, des élevages
industriels et piscicoles, pour permettre l’amélioration du traitement de
ces rejets,

3- développer des programmes d’optimisation de l’efficacité des filières de
traitement des eaux (eaux destinées à la consommation humaine, eaux
résiduaires), des boues et des déchets solides afin qu’elles soient mieux
adaptées au problème des résidus de substances médicamenteuses,

EVALUER LES RISQUES LIES AUX REJETS

4- renforcer la prise en compte , dans les dossiers d’autorisation de mise
sur le marché, des impacts environnementaux aigus et chroniques des
médicaments et dérivés,

5- développer des programmes de recherche fondamentale et appliquée portant
sur les risques pour l’environnement et pour l’homme liés aux résidus des
substances médicamenteuses présentes dans les sols et dans les eaux,

6- prendre en compte les effets nocifs potentiels liés à la multiplicité des
substances présentes dans les rejets et les milieux en développant des tests
globaux de toxicité, en particulier pour les substances cancérigènes,
mutagènes et toxiques pour la reproduction,

DEVELOPPER DES ACTIONS DE FORMATION ET D’EDUCATION

7- inclure dans la formation de tous les étudiants qui se destinent à la
chimie pharmaceutique et aux professions de santé une sensibilisation à la
problématique des résidus de substances médicamenteuses dans
l’environnement,

8- à titre de rappel, éviter par principe, toute surconsommation de
substances médicamenteuses à usage humain, vétérinaire ou nutritionnel, qui
ne peut qu’aggraver la contamination environnementale, notamment face à la
gestion des médicaments non utilisés et des déchets correspondants. ?

9- développer le rôle des pharmaciens d’officine dans la sensibilisation et
l’éducation sanitaire et environnementale du public, notamment en ce qui
concerne le devenir des médicaments non utilisés.

Recommandations validées par le Bureau du 30 janvier 2008