[e-med] La propriété intellectuelle: frein de l'innovation

Intellectual Property Watch

9 July 2008
Le système de propriété intellectuelle freine la science et l’innovation
selon des lauréats du prix Nobel

Posted by Catherine Saez @ 4:45 pm
http://www.ip-watch.org/weblog/index.php?p=1137

Par Dugie Standeford pour Intellectual Property Watch
MANCHESTER, UK – Le système de propriété intellectuelle vise davantage à
«fermer l’accès à la connaissance» qu’à permettre sa diffusion, a indiqué
le Professeur Joseph Stiglitz lors d’une conférence intitulée “Who Owns
Science?” (« À qui appartient la science » ?) qui a eu lieu le 5 juillet.
Joseph Stiglitz, lauréat du Prix Nobel d’économie en 2001 et John Sulston,
lauréat du prix Nobel de physiologie et médecine en 2002, ont ouvert à
l’Université de Manchester un nouvel institut pour la science, l’éthique
et l’innovation.

Ils sont tous les deux très critiques à l’égard du système actuel de
propriété intellectuelle, estimant qu’il freine le développement de la
science et les innovations.

Les droits de propriété intellectuelle sont souvent comparés aux droits
détenus sur un bien physique. Or, la connaissance n’a rien à voir avec un
bien physique, a estimé Joseph Stiglitz. C’est un bien public qui présente
deux caractéristiques : le fait qu’un individu y accède n’en prive pas les
autres et nul ne peut en être exclu, autrement dit, il est difficile
d’empêcher les autres d’en profiter. Le système de propriété
intellectuelle se situe à l’inverse de cette définition. Il va même plus
loin dans l’exclusion en donnant un pouvoir monopolistique à ceux qui
détiennent la connaissance, ce qui conduit souvent à des abus, a-t-il fait
remarqué.

La détention d’un monopole sur une innovation est considérée par certains
comme un moteur pour l’innovation alors qu’en fait elle constitue une
entrave à son développement, a déclaré Joseph Stiglitz. Le système actuel
qui veut que celui qui conçoit un programme informatique performant peut
être poursuivi en justice pour violation présumée d’un brevet montre
l’incapacité du système à encourager l’innovation, a-t-il ajouté.

Selon Joseph Stiglitz, un autre problème réside dans le fait qu’il existe
une incompatibilité entre les bénéfices sociaux qui peuvent résulter des
innovations technologiques et les bénéfices économiques liés au système de
brevets. Les innovations technologiques permettent qu’une invention
devienne disponible plus rapidement pour l’ensemble de la collectivité
mais il suffit qu’une personne dépose un brevet sur cette invention pour
que s’établisse à son profit un monopole à long terme, favorisant la
divergence entre intérêt public et intérêts privés.

Le projet deGénome humain a permis d’identifier un gène capable de prédire
quelle femme peuvent être atteinte par un cander du sein. Cette découverte
a été brevetée par une entreprise américaine, a expliqué Joseph Stiglitz.
Le test représente un coût très faible, mais les frais de santé sont si
élevés pour les patients aux Etats-Unis que les personnes pauvres ne
peuvent se permettre de le faire, a-t-il précisé. Des questions se posent,
selon lui, quant au caractère équitable et juste du système de brevets.

Joseph Stiglitz a fait part de deux préoccupations. La première concerne
les disparités qui existent entre les pays développés et les pays en
développement concernant l’accès à la connaissance, disparités que la
propriété intellectuelle ne permet pas de combler, a-t-il dit, ce qui
explique pourquoi l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle
(OMPI) a appelé à (et obtenu) l’adoption d’un plan d’action pour le
développement. La deuxième tient au fait que le système de propriété
intellectuelle rend l’accès aux soins plus difficile. Les médicaments
génériques coûtent 30 pour cent moins chers que les médicaments originaux.
En rendant leur accès plus difficile, l’accord de l’OMC sur la propriété
intellectuelle conclu dans le cadre des négociations du Cycle d’Uruguay a
signé l’arrêt de mort de millions de personnes, a-t-il indiqué.

Joseph Stiglitz a proposé que le régime applicable aux droits de propriété
intellectuelle soit adapté en fonction des pays et des secteurs. Personne
n’est d’avis que le système de brevet doit être entièrement abandonné,
mais la question est de savoir si d’autres outils, des bourses de lauréat
ou des financements gouvernementaux par exemple, pourraient être utilisés
pour faciliter l’accès à la connaissance et encourager l’innovation dans
des domaines dans lesquels des objectifs ont été clairement définis tels
que la découverte d’un médicament contre le paludisme. Joseph Stiglitz se
dit plein d’espoir quant à une éventuelle réforme du système car nombreux
sont ceux aux Etats-Unis qui souhaitent une modification du régime
applicable aux droits de propriété intellectuelle.

Selon John Sulston, le développement de la science peut être lié à une
nécessité ou une simple curiosité, laquelle suppose un certain degré
d’ouverture et de confiance entre les acteurs concernés. Pourtant, de plus
en plus, le paysage qui se dessine est celui de la privatisation de la
science et de l’innovation, une situation que les gouvernements et les
investisseurs qui contrôlent les orientations de la recherche voient d’un
bon oeil, a-t-il dit. Cela a pour effet, selon lui, que la recherche
scientifique se limite aux domaines qui rapportent au détriment de ceux
qui ne sont pas considérés comme rentables.

Cette tendance a pour conséquence notamment de favoriser l’abandon des
recherches sur les maladies liées à la pauvreté et la production de
médicaments non nécessaires qui sont vendus à grand renfort de campagnes
marketing, a déploré John Sulston. Les produits issus de la recherche
n’ont pas bénéficié à tous de manière équitable. Pour autant, vouloir
l’égalité à tout prix n’est pas la solution, a-t-il insisté.

Dans certaines sphères, notamment à l’OMPI, la propriété intellectuelle
relève d’un enjeu idéologique selon lui. Toute modification apportée au
système est perçue par les entreprises pharmaceutiques comme un moyen de
l’affaiblir. Pourtant, personne ne leur demande de tout abandonner, a-t-il
indiqué. Il a ajouté que le système devait être considéré comme un « bon
serviteur » et non comme un Dieu.

Selon lui, le problème de la contrefaçon a pris une ampleur considérable.
La tendance actuelle consiste à lier la contrefaçon à la propriété
intellectuelle alors qu’il n’existe pas de lien entre eux, a-t-il précisé.
Si les médicaments étaient vendus à leur coût de production ou juste
au-dessus, ceux qui se rendent coupables de contrefaçont n’auraient que
très peu de marge de manœuvre. De fait, le système actuel de propriété
intellectuelle favorise la production de faux, a-t-il dit.

Le professeur Sulston a recommandé le retour à une vieille pratique qui
consiste à séparer les activités de recherche et développement des
activités de production, le mélange des deux favorisant, selon lui, le
lobbying et la merchandisation des activités de recherche et
développement. Les séparer permet de produire des biens de manière plus
équitable et de rendre la recherche et le développement plus accessible à
condition toutefois que ceux qui détiennent les connaissances
scientifiques partagent les bénéfices qui en sont issus, a-t-il précisé.

Cette séparation semble se produire dans la mesure où certaines structures
privées telles que la Fondation Bill et Melinda Gates commencent à
investir dans la santé publique, a indiqué John Sulston tout en mettant en
garde contre un retour à l’ère victorienne où la santé était financée par
des philanthropes. Il a appelé à ce que les questions de santé soient
coordonnées à l’échelle mondiale par l’Organisation mondiale de la santé
(OMS), reconnaissant néanmoins que l’Organisation était sous-financée et
soumise à une forte pression de la part des gouvernements et des groupes
d’intérêts commerciaux.

Le lauréat du prix Nobel de physiologie et médecine a également plaidé
pour qu’une réflexion plus cohérente soit menée concernant le traité
biomédical en cours d’examen à l’OMS et que les organisations non
gouvernementales transnationales participent davantage aux discussions.

Il est impératif de renverser la tendance et d’empêcher la privatisation
de la science, a-t-il indiqué. Nous devons nous concentrer sur la survie
et le développement de l’humanité, ainsi que sur l’exploration de
l’univers. Pour savoir si nous réussirons ou pas, nous devons résoudre la
question de savoir à qui appartient la science.
Filed under:

    * Français
    * Public Health
    * Technical Cooperation/Technology Transfer
    * WIPO
    * Access to Knowledge
    * Education
    * Human Rights
    * Patent Policy
    * WTO/TRIPS
    * WHO

This work is licensed under a Creative Commons