Le secret du polonium 210 dans la fumée de cigarette
Jean-Michel Bader
27/08/2008 | Mise à jour : 22:10 | Commentaires 7
http://www.lefigaro.fr/sante/2008/08/27/01004-20080827ARTFIG00559-le-secret-du-polonium-dans-la-fumee-de-cigarette-.php
Sébastien SORIANO / Le Figaro
Les fabricants savent depuis quarante ans que ce radioélément dangereux
est présent dans le tabac. Mais ils ont tout fait pour le dissimuler.
Philip Morris (PM), RJ Reynolds, British American Tobacco et toutes les
«majors» de l'industrie du tabac ont volontairement caché au public
pendant plus de quarante ans la présence dans les feuilles de tabac, les
cigarettes et la fumée de tabac d'un élément radioactif dangereux et
cancérigène, le polonium 210 (210Po). C'est ce composé, un des
radioéléments les plus toxiques, avec une activité spécifique qualifiée de
«colossale» par le radiothérapeute parisien Jean-Marc Cosset, qui avait
servi à assassiner l'ex-agent du KGB Alexander Litvinenko à Londres en
2006.
Le numéro de septembre de l'American Journal of Public Health publie
l'analyse de plus de 1 500 documents internes des firmes productrices de
tabac qui a permis à Monique Muggli, une chercheuse de la Mayo Clinic aux
États-Unis, de démontrer que les industriels savaient tout et n'ont rien
dit. Paul Eichorn, dans un mémo de 1978 au vice-président de Philip
Morris, conseillait de taire la présence du 210Po dans le tabac : «Nous
risquerions de réveiller un géant endormi !»
Le polonium 210 est un émetteur de radiations alpha si instable et
dangereux qu'il est un des rares à n'avoir jamais été utilisé en médecine.
Il provoque des cancers du poumon par inhalation : il se dépose aux
embranchements des bronches où il provoque le processus de cancérisation.
Un fumeur de 30 cigarettes par jour s'expose par sa présence dans la fumée
à l'équivalent de dose de 300 radios de poumons par an ! Le 210Po serait
responsable d'1 % de tous les cancers du poumon des Américains.
Si le 210Po est présent dans la fumée, c'est à cause des engrais riches en
phosphates que l'on utilise pour cultiver le tabac. Ils sont extraits de
mines d'apatites, une roche qui contient du radium et du polonium. En
diminuant la teneur en azote de la plante, ils donnent son arôme spécial
au tabac des cigarettes. Dès les années 1960, les fabricants comme Philip
Morris savaient que le 210Po contaminait leur tabac (environ 0,01
becquerel par gramme de tabac). Des documents des années 1970 montrent que
Philip Morris voulait utiliser un solvant pour laver les feuilles et
réduire la radioactivité de 10 à 40 %. Mais Ligget Tobacco Group, le 4
août 1975, conclut dans un autre mémo que les solvants lavent aussi toutes
les «faveurs aromatiques qui donnent au tabac son arôme désirable».
Fausse piste donc.
Documents cachés ou détruits
Au début des années 1980, Philip Morris charge le Dr Osdene, un de ses
chercheurs, de monter un laboratoire pour mesurer les doses de
rayonnements émis par le polonium du tabac. En septembre 2001, William
Farone, un chercheur du groupe, témoigne au procès contre les
manufacturiers américains : «Nous pouvions mesurer la radioactivité de
produits du tabac, pour retirer de la production certains qui étaient trop
radioactifs pour atterrir dans les cigarettes.» Mais l'existence même de
ce laboratoire a fini par être jugée dangereuse par la firme : le
vice-président de la recherche de Philip Morris, Richard Carchman et
William Farone, témoigneront séparément que le groupe, sur les conseils de
ses avocats, a fini par fermer ce laboratoire. Trop dangereux si quelques
plaignants pouvaient par la suite démontrer que PM «avait les moyens de
faire une cigarette plus sûre mais ne l'a pas fait».
Les fabricants ont aussi testé des filtres pour éliminer le polonium
inhalé par le fumeur : RJ Reynolds a ainsi réduit de 30 % la radioactivité
contenue dans les gaz et les particules de la fumée des blondes Winston
avec un filtre à la tourmaline (une pierre semi-précieuse). Là encore RJ
Reynolds finit par renoncer.
Tous ces travaux finirent par être stoppés, les documents cachés ou
détruits. Les avocats de Reynolds interdirent aux chercheurs comme Stewart
Bellin de publier leurs résultats (mêmes ceux favorables à la firme) dès
1967. Et les dirigeants ? Geoffrey Bible, président de Philip Morris (plus
de trente ans de maison), a témoigné publiquement en 1997 «qu'il ne savait
pas que du polonium se trouvait dans les cigarettes Marlboro».