[e-med] Les trag�dies n�gres (2)

E-MED: Les trag�dies n�gres (2)
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�ditorial Fraternit� Matin (Abidjan) 17 juin 2004
Les trag�dies n�gres (2)

Le Swaziland est un tout petit Etat enclav� dans l�Afrique du Sud. Il a une
population d�environ 1,1 million d�habitants et une dette ext�rieure de 145
millions de dollars. C�est l�un des pays les plus pauvres d�Afrique, donc du
monde, et l�un des plus touch�s par la pand�mie du sida. L�ann�e derni�re,
le pays a �t� frapp� par une grande s�cheresse qui a conduit le gouvernement
� d�cr�ter l��tat de � d�sastre national �. Et 350 000 personnes, soit
environ le tiers de la population du pays, survivent gr�ce � l�aide
alimentaire.

Rien de tout cela n�a emp�ch� le roi de ce pays, qui s�appelle Mswati III,
qui est �g� d�une trentaine d�ann�es et est le dernier monarque absolu du
continent, de construire des palais pour ses dix �pouses et deux fianc�es,
pour un co�t global de 14 millions de dollars. Puis dans la foul�e, il a
c�l�br� son anniversaire pour pr�s d�un million de dollars.

Ensuite, il a voulu s�offrir un avion � 45 millions de dollars (pourquoi la
reine d�Angleterre aurait un avion et lui n�en aurait pas ?), mais il a d� y
renoncer devant le toll� que cela a soulev� chez les bailleurs de fonds qui
font vivre son pays. Mais Mswati III aime voyager. On dira que c�est normal
pour un roi qui aime son pays et travaille pour le bonheur de son peuple.

Cette ann�e, il a d�j� �t� en Malaisie, � Singapour, en Arabie saoudite, et
il vient de rentrer d�un voyage en Ouganda et au Kenya. Ces voyages ont
co�t� 610 000 dollars (plus de 300 millions de francs CFA) aux contribuables
du Swaziland, soit huit fois plus que ce qui �tait pr�vu dans le budget.
Mais ce montant n�inclut pas le co�t de la location des avions qu�il utilise
pour voyager. Mswati III ne voyage jamais sans une trentaine de personnes
autour de lui. Parce que la tradition de son pays veut que le roi voyage
toujours entour� de guerriers et de membres de sa famille.

Je suppose que lorsque l�on cherchera les causes de la pauvret� en Afrique,
et plus particuli�rement dans son pays, Mswati III sera l�un des premiers �
pointer un doigt accusateur sur l�Occident, l�esclavage, la colonisation et
nos autres boucs �missaires habituels.

Mswati III nous dira peut-�tre qu�il ne peut pas s�opposer � la tradition de
son pays qui veut que le roi �pouse une nouvelle jeune fille vierge chaque
ann�e. Et il dira certainement aussi qu�il faut �tre de mauvaise foi pour
reprocher � un roi, chef d�un Etat, f�t-il pauvre, de loger dignement ses
femmes. Ce n�est pas sa faute non plus si la m�me tradition lui impose de
voyager accompagn� de ses guerriers et parents, alors qu�au fond de lui-m�me
il aimerait peut-�tre voyager seul ou simplement en compagnie d�une ou deux
de ses nombreuses dulcin�es. Et pourquoi lui faire grief d�avoir voulu s�
acheter un avion ? N�est-il pas un chef d�Etat comme les autres ? N�est-ce
pas gratifiant pour les citoyens d�un pays de savoir que leur pr�sident
dispose de son avion personnel et qu�il n�a pas � faire la queue dans des
a�roports, � subir les caprices des compagnies a�riennes. Et naturellement,
Mswati III ne comprendra pas le lien que l�on �tablit entre ses d�penses et
la s�cheresse qui a frapp� son pays.

Combien y a-t-il de Mwsati III sur notre continent ? Il y en a encore, des
petits et des grands. Mswati III au moins a �pous� officiellement ses dix
�pouses. Ailleurs, il y a une officielle et des officieuses dont le nombre
d�passe souvent les officielles de Mswati III. On a connu des Chefs d�Etat
africains dont la fortune personnelle �tait plus �lev�e que la dette
ext�rieure de leurs pays. Mobutu �tait de ceux-l�. Abacha aussi. Mais il n�y
a pas que les chefs d�Etat. En fait, c�est tout le personnel politique
africain qui est concern�. Parce qu�en Afrique, on vient � la politique
avant tout pour se b�tir une fortune. Ailleurs, lorsque l�on veut �tre
riche, on va faire des affaires. Et souvent, l�on vient � la politique une
fois sa fortune assur�e.

Nous constatons que les pays les plus pauvres, notamment ceux d�Afrique (n�
est-ce pas un pl�onasme ?), sont ceux dont les chefs vivent dans le plus
grand luxe et avec la plus grande munificence. Nos chefs ont les plus grands
palais, et nos ministres et autres directeurs g�n�raux, les plus grandes
villas du monde. Certains d�entre eux sont entr�s dans la l�gende en raison
de leur grande g�n�rosit�. G�n�rosit� qui leur vaut le plus souvent d�avoir
plus affaire � des escrocs qu�� des honn�tes gens.

Le drame est que ce sont les peuples africains eux-m�mes qui encouragent
cela. Combien d�entre nous accepteraient qu�un ministre vive dans une maison
modeste dans un modeste quartier ? Que n�avait-on dit de M.Mamadou Koulibaly
lorsque, devenu pr�sident de l�Assembl�e nationale, il
continua d�habiter son appartement de Cocody ? Combien d�entre nous
accepteraient que la maison du pr�sident dans son village se confonde avec
celles des autres villageois ?

Au fond, les Mswati III prosp�rent sur ce continent par notre propre faute,
et nous ne devons nous en prendre qu�� nous-m�mes. Une des trag�dies n�gres
est que nous nous plaisons bien dans notre pauvret�, mais nous ne pouvons
nous emp�cher d�admirer les plus malins d�entre nous qui se servent de nous
comme escabeaux pour monter.

Auteur: Venance KONAN

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