Quand le corps fabrique ses propres antibiotiques
Une récente étude scientifique lève le voile sur un mécanisme naturel
de défense, porteur d’espoir pour améliorer les traitements existants
contre les infections bactériennes.
L’institut Weizmann à Rehovot, en septembre 2022. (Christophe
Gateau/dpa Picture-Alliance via AFP)
par LIBERATION
publié le 8 mars 2025 à 15h00
Et si le corps humain produisait ses propres antibiotiques ? C’est le
résultat – étonnant - auquel a conclu une équipe de recherche
israélienne dans un article publié dans la prestigieuse revue Nature
ce mercredi 5 mars. «C’est vraiment excitant, car nous n’avions aucune
idée que cela se produisait», commente l’autrice de l’étude, Yifat
Merbl, professeure à l’Institut des sciences Weizmann, auprès de la
BBC.
Qu’a-t-elle découvert au juste ? Avec son équipe, elle s’est
intéressée au protéasome, un système de gestion des déchets des
cellules humaines. Le rôle de cette structure, présente à l’intérieur
des cellules, consiste entre autres à couper les protéines trop
vieilles, pour les recycler. «Sans lui, le vieillissement de la
cellule serait prématuré», assure l’Inserm sur son site Internet. Tout
commence lorsque l’équipe de Yifat Merbl remarque que certaines
parties des protéines humaines avaient toutes les caractéristiques
pour avoir une activité antibactérienne. Appelés peptides
antimicrobiens, ces éléments ne peuvent avoir une activité que s’ils
sont détachés du reste de la protéine. Justement, casser les protéines
en petits bouts, c’est le boulot du protéasome.
«Une mine d’or potentielle»
Yifat Merbl et ses chercheurs ont donc voulu mesurer l’influence du
protéasome lors des infections. Pour ce faire, ils ont isolé des
cellules humaines avec une bactérie, une salmonelle, pour voir comment
se passait une infection. Ils ont ensuite placé les salmonelles sur
des cellules humaines privées de protéasome. Dans ce cas-là, les
infections étaient plus intenses. Il semblerait donc bien que le
protéasome joue un rôle pour limiter l’infection. Au cour de ses
travaux, l’équipe s’aperçoit également que les cellules dont le
protéasome était toujours efficace émettaient dans leur environnement
des composants antibactériens. Des composants que l’équipe a pu isoler
pour prouver leur caractère antibiotique, à la fois sur des cellules
in vitro et chez des souris malades.
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Alors que la recherche médicale est toujours en quête de nouvelles
molécules pour dépasser l’adaptation permanente des bactéries, cette
découverte «est une mine d’or potentielle pour de nouveaux
antibiotiques, c’est très excitant», a commenté pour la BBC, Lindsey
Edwards, microbiologiste au King’s College de Londres. Un enthousiasme
tempéré par le professeur d’immunologie à l’Imperial College de
Londres, Daniel Davis, toujours auprès de la BBC, pour qui
l’utilisation de ce mécanisme pour créer de nouveaux médicaments «doit
encore être testée» et prendra du temps.
Invité à commenter cette découverte dans Nature, le biologiste Tim
Clausen, de l’Institut de pathologie moléculaire de Vienne, a proposé
d’autres applications. Par exemple, apprendre à moduler l’action du
protéasome pour d’augmenter les capacités du corps à se défendre, et
donc, réduire le recours aux antibiotique. Le chercheur souligne aussi
l’importance de bien comprendre comment ce mécanisme peut être
détourné par les virus, champions du piratage de la machinerie
cellulaire. Pour Tim Clausen, cette découverte va permettre de «mieux
comprendre la dynamique des coinfections et comment des agents
pathogènes peuvent favoriser – ou supprimer – des infections
secondaires», écrit-il. C’est donc bien un nouveau champ de recherche
prometteur qu’a ouvert Yifat Merbl, et son équipe.
Cell-autonomous innate immunity by proteasome-derived defence peptides