Merci à REMED de nous avoir fait part des constats de l'ONU à Brazzaville
[merci à Gaby Bukasa pour pousser au débat, merci à Dominique Kerouedan pour ouvrir la marche. Que pensent les pharmaciens des politiques du médicament en matière de VIH ? MD]
Il est grand temps de faire le constat d'échec de la lutte contre le sida en Afrique, pour pouvoir tirer les leçons de cette analyse, et avancer justement de manière plus efficace. Mais il serait surtout grand temps que l'OMS et l'ONUSIDA s'interrogent sur leurs stratégies menées en Afrique depuis 20 ans et de demandent en quoi ces stratégies ont mené les pays dans le mur.
Vous l'aurez compris, de mon point de vue et en réponse à la question de M. Gabriel Bukasa, les stratégies des agences de l'ONU (d'abord GPA/OMS sur la période 1986-1996, puis celles de l'ONUSIDA sur la période 1996-2006, sont les toutes premières responsables de l'échec de la lutte en Afrique;
J'ai fait une présentation au Congrès du Pharo en septembre 2005 que vous trouverez sur le site www.asprocop.org, à la rubrique archives puis "journées du Pharo présentation sida", où je m'explique sur cette analyse;
j'ai aussi écrit une thèse de doctorat en santé publique dès 1998 pour expliquer en quoi les agences de l'ONU allaient droit dans le mur sur la lutte contre le sida en Afrique et écrit des articles pour ceux que cela intéresse.
La présentation du pharo est en anglais car c'était un congrès exclusivement anglophone.
De mon point de vue, le Fonds Mondial n'est pas responsable bien au contraire pour les raisons suivantes: ce n'est pas un organisme stratège, mais uniquement un instrument financier, et ceci est très important à comprendre.
L'organe stratégique s'il y en a un dans la conception des projets du Fonds Mondial est le CCM dans le pays, qui programme les financements et élabore les plans d'activités sur la base de priorités du pays censés être définis par les pays avec l'appui stratégique justement des agences techniques de l'ONU qui doivent aider le pays à mener plus efficacement la prévention de la transmission sexuelle, sanguine et maternelle, et sans oublier aucun de ces modes de transmission.
Or ceci ne se produit pas: si les agences de l'ONU viennent en appui de l'élaboration des propositions des pays soumis au Fonds Mondial, on voit qu'une fois la mise en oeuvre commencée, elles sont très peu actives en tant que "pilotes" stratégiques aux côtés des pays.
Or pour lutter efficacement contre le sida, on doit se poser des questions très spécifiques et par pays et prendre en compte les déterminants de la propagation dans chaque pays: l'épidémie est fémine en Afrique, l'ONUSIDA l'a écrit depuis fin décembre 2004 dans son rapport annuel. Qui a réagi en réponse à ce constat tellement dramatique qui dit que 75% des jeunes entre 15 et 24 ans infectés par le VIH sont des filles, avec tout ce que cela suppose en lien avec la fécondité?
L'épidémie au Vietnan est liée aux usagers de drogue; elle est liée à la stigmatisation et à la persécution des homosexuels en Jamaïque, elle est liée à la mobilisation militaire de tous les jeunes hommes et femmes entre 18 et 40 ans en Erythrée dans l'armée, à la précarisation qui amène les filles de plus en plus jeunes à se prostituer, mais sans se reconnaître comme telles, donc ne bénéfiant pas des programmes de prévention menés auprès des prostituées, etc. qui s'intéresse dans les pays à ces nouvelles autoroutes de propagation du sida? Quels projets financent des réponses à cela?
Quelle institution au niveau international a une vision stratégique justement? Qu'a ton appris des campagnes de communication et de prévention depuis 20 ans? Où sont synthétisées les actions qui marchent et où sont elles disponibles pour les pays et les autorités sanitaires?
Les stratégies internationales ont elles été évaluées? Qu'est ce qu'on en retient? comment on avance à partir d'évaluations non faites ou non diffusées?
L'ONUSIDA a été évaluée sur ses 5 premières années d'existence, je ne trouve pas ce document sur le site de l'ONUSIDA et il n'a pas été rendu public, il a même dû être réécrit plusieurs fois par les évaluateurs dits "externes"; je l'ai reçu par la bande comme on dit, le rapport attire l'attention de l'agence sur le fait qu'elle a échoué à définir des stratégies de prévention efficaces. Le rapport est de 2002, qu'est ce qui a été fait depuis pour les améliorer dans les pays francophones notamment?
Du côté de la prise en charge, qui peut s'étonner de l'échec de 3x5 quand pendant toute la période 1986-1996 l'OMS nous interdit littéralement, appuyée par les américains et la commission européenne, de prendre en charge les malades, quand les personnels de santé ne sont pas formés au dépistage et au traitement des infections opportunistes pendant 10 ans, et tout d'un coup alors qu'ils s'en vont en plus, on voudrait que du jour au lendemain, même les infirmières ou les membres des associations fassent de la prise en charge des malades?
Allons allons, il faudra bien un jour reconnaître que si on en est là aussi et si les africains et les africaines souffrent autant, c'est parce que les occidentaux se sont bien plantés et très longtemps sur les stratégies qu'ils ont imposées à l'Afrique. Après on pourra s'intéresser à d'autres facteurs, mais reconnaissons enfin celui là.
amitiés et courage à tous
Dr Dominique Kerouedan
d.kerouedan@skynet.be