[e-med] En parallèle de la rentrée universitaire : Quelle formation pédagogique du pharmacien en Algérie ?

En parallèle de la rentrée universitaire :
Quelle formation pédagogique du pharmacien en Algérie ?

Je vous propose une analyse pertinente de Yahia DELLAOUI parue ce jour sur
le Quotidien d'Oran

"En parallèle de la rentrée universitaire : Quelle formation pédagogique du
pharmacien en Algérie ? "
par Yahia DELLAOUI
docent
Département de Pharmacie, Oran

http://www.lequotidien-oran.com/?news=5126469
<http://www.lequotidien-oran.com/?news=5126469&gt;

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En parallèle de la rentrée universitaire : Quelle formation pédagogique du
pharmacien en Algérie ?

par Yahia Dellaoui
Fascinées par le modèle de formation occidentale, nos facultés n’ont pas
toujours su repenser leur programme et leur finalité. La vieille Europe, qui
se cherche encore, dans ce domaine, nous a, d’une certaine manière, empêchés
de donner naissance à un enseignement pharmaceutique intégré à notre milieu.

Mais tous les universitaires algériens ne sont pas résignés. Bien au
contraire. Ils sont en train de réfléchir sur la réforme des programmes. Ils
cherchent à établir une adéquation entre les besoins réels de notre pays
avec le profil du pharmacien. En effet, le jeune pharmacien qui achève ses
études se trouve confronté à des problèmes concrets auxquels il n’a jamais
été préparé: problèmes de gestion, problèmes psychologiques, spécifiques à
notre population, problèmes d’insertion dans l’équipe médicale à l’hôpital,
problèmes liés à l’exercice de la profession dans des milieux déshérités,
etc.

Il s’agit donc d’avoir l’audace d’entreprendre, dans une première étape,
une vaste campagne de consultation qui donnerait voix au chapitre à tous
ceux qui peuvent formuler des idées nouvelles capables de rapprocher
davantage le pharmacien des réalités de son environnement algérien.

- Faut-il continuer à enseigner un programme appris dans les facultés
européennes qui ne correspond en aucun cas à notre pathologie ?

- Faut-il dispenser des cours magistraux alors que dans certains pays des
ateliers de recherches et de réflexion ont pris’ le pas sur les «amphis’» du
début du siècle ?

- Faut-il délivrer un diplôme unique de pharmacien pour des étudiants qui
n’ont pas suivi le même cursus en Algérie?

- Faut-il laisser en suspension et à titre d’exemple des travaux de thèses
finalisées, soutenables et validées ?

Si la formation continue devient une nécessité absolue pour toute personne
assumant une responsabilité au sein de la santé publique ; en particulier,
la formation des cadres au niveau de l’université doit elle-même évoluer
afin qu’elle s’adapte aux besoins de la société. En ce qui concerne
l’Algérie, je peux dire que les professions pharmaceutiques ont pleinement
joué leur rôle au service de la santé et de l’économie. Elles ont suivi le
rythme du développement rapide qu’a connu le pays depuis l’indépendance.

Pour situer le problème de la formation du pharmacien dans ce contexte,
permettez-moi de donner un aperçu de la situation de la pharmacie et des
pharmaciens en Algérie.

Actuellement, plus d’un millier de pharmaciens exercent en Algérie. Leur
répartition par secteur d’activité est la suivante:

- Pharmaciens «officines».

- Pharmaciens grossistes répartiteurs.

- Pharmaciens biologistes privés.

- Pharmaciens assurant la représentation scientifique des laboratoires.

- Pharmaciens exerçant une activité technico-administrative.

- Pharmaciens des hôpitaux.

- Pharmaciens biologistes hospitaliers.

- Pharmaciens résidents en biologie clinique et sciences fondamentales.

- Pharmaciens exerçant des fonctions diverses dans le secteur public ou
semi-étatique.

- Cadres des départements de pharmacie.

Des textes législatifs font de la profession l’une des plus réglementées en
Algérie. Ainsi, chaque confrère exerce dans un cadre juridique bien défini.

La formation des pharmaciens exerçant en Algérie a été assurée
traditionnellement, et pour des raisons historiques à la faculté mixte de
pharmacie et de médecine d’Alger-centre. Cependant, après l’indépendance,
cette formation s’est quelque peu diversifiée. Des pharmaciens, quoiqu’en
petit nombre, ont été formés dans les autres pays francophones,
essentiellement en Belgique et plus rarement en Suisse. Il faudrait ajouter
qu’un certain nombre de pharmaciens ont été formés en Algérie et quelques
rares autres dans les pays du Moyen-Orient, notamment en Egypte, Syrie et
Irak.

L’enseignement de la pharmacie en Algérie, et plus précisément à la Faculté
d’Alger, a débuté avant la faculté de pharmacie de Paris de 15 ans. Cette
faculté a déjà sorti 4 promotions, totalisant un nombre limité de
pharmaciens algériens. L’enseignement prodigué est fortement inspiré des
programmes des facultés françaises.

La question qui se pose à nous, et qui est à l’ordre du jour dans notre
pays, est la suivante:

- La formation de nos pharmaciens répond-elle à nos besoins, tant sur le
plan qualitatif que quantitatif ?

- Dans quel sens cette formation doit-elle évoluer pour permettre aux
professions pharmaceutiques de jouer pleinement leur rôle au service de la
société algérienne ?

LES PROBLèMES

On peut dire, sans risque de se tromper, que le pharmacien sortant de la
faculté trouve des difficultés énormes pour assumer ses responsabilités,
quel que soit le domaine d’activité qu’il a choisi pour faire sa carrière.
Ce qui montre qu’actuellement les études en pharmacie n’ont pas pour
finalité de donner aux étudiants un métier, mais plutôt une formation de
base qui est supposée suffisante pour permettre au futur diplômé d’exercer
son art dans les différents domaines où il est réputé apte à exercer.

Cette situation est le résultat du fait que, formés à l’étranger, ou dans
notre pays, selon un modèle étranger, nos jeunes confrères acquièrent une
formation qui, le moins que l’on puisse dire, ne répond pas à nos besoins.
J’irai même jusqu’à dire qu’elle ne répond plus aux besoins du pays que nous
avons pris pour modèle, car ce pays est en train d’étudier la réforme de ses
propres études en pharmacie. Historiquement, les pharmaciens de l’ancienne
génération ont été formés en France selon un modèle qui a été depuis
modifié, voilà une trentaine d’années.

Le cursus des études en pharmacie commençait par une année de stage
obligatoire dans une officine, sous la responsabilité d’un maître de stage.
La dernière année des études devait permettre à la faculté de juger à
travers les examens définitifs de l’aptitude de l’étudiant de 5ème année à
exercer sa profession de pharmacien, et ce, en s’assurant de ses niveaux de
connaissances, tant sur le plan théorique que pratique.

Le développement extraordinaire des connaissances scientifiques et la
nécessité d’inclure dans les programmes d’enseignement, d’une manière
continue, les nouvelles acquisitions scientifiques et techniques, faisait
obligation, comme c’est le cas de nos jours, aux autorités administratives
et universitaires de mettre au point des réformes touchant aux études de
pharmacie. Il est bien clair que la réforme qui a été adoptée en France a
sacrifié le côté «formation professionnelle du pharmacien» au profit de sa
formation scientifique, car elle avait pour objectif de préparer les futurs
diplômés à une carrière des spécialistes, qui en fait n’était l’apanage que
d’un nombre relativement restreint de diplômés.

La majorité de nos jeunes confrères, surtout dans notre pays, se destinait
à exercer dans l’officine, qui se trouve être la première priorité pouvant
répondre aux besoins de notre population. Il est en effet indéniable que
dans les 20 premières années d’indépendance, c’est l’activité de pharmacien
d’officine qui a absorbé l’écrasante majorité des pharmaciens.

LES DIFFICULTéS

Je citerai quelques exemples pour illustrer les difficultés qui existent
actuellement pour les jeunes confrères, pour affronter leur métier.

- Un diplome unique

Dans le cas de l’officine:

Le jeune diplômé n’est pas suffisamment formé pour affronter les
difficultés d’installation, car il ignore tout des problèmes financiers et
de gestion qu’il est obligé de résoudre pour pouvoir s’installer. Il se
trouve complètement désorienté par des informations souvent contradictoires
qu’il recueille auprès de différentes personnes: confrères aînés, banques,
grossistes, administration...

De plus, ignorant en général les notions inhérentes à la gestion des stocks
des médicaments, il se trouve contraint de chercher un collaborateur
qualifié pour l’aider dans cette tâche, ce qui est de nature à lui créer des
difficultés, du reste, légitimes avec un confrère aîné, qui voit d’un
mauvais oeil qu’un jeune pharmacien vienne lui débaucher son personnel en
infraction aux règles de déontologie pharmaceutique.

Le problème le plus grave résulte incontestablement du fait que les
facultés délivrent un diplôme unique pour des étudiants qui n’ont pas suivi
le même cursus des études.

En effet, si on considère le cas d’un étudiant qui a choisi de suivre
l’option biologie clinique; il suit en 5 années des cours et des stages qui
l’éloignent complètement de ses camarades qui ont opté pour la filière
«officine». La réglementation en vigueur fait que les diplômés quelle que
soit leur «pré-spécialité» ont les mêmes droits, et en particulier celui
d’exercer en officine. Or, pour celui qui a choisi la filière biologie
clinique, sa formation le rend inapte à exercer en officine.

Nous touchons là le problème de l’unicité du diplôme.

Peut-on dire que trois pharmaciens, formés chacun dans l’une des trois
filières: officine, biologie et industrie, ont une formation les habilitant
à exercer à leur sortie de la faculté dans l’une des trois branches
d’activité mentionnées ? - Il est évident que la réponse est: non. L’unicité
du diplôme devra en réalité correspondre à une unicité de formation.

Le deuxième exemple que je citerai est celui des jeunes confrères qui
s’orientent vers la carrière de la pharmacie hospitalière que nous devons,
pour beaucoup de raisons, développer en Algérie pour la rendre de plus en
plus attrayante pour les jeunes diplômés. Malheureusement, le pharmacien
diplômé sortant de la faculté se trouve complètement désorienté lorsqu’il
est affecté dans un poste hospitalier. Il se trouve à l’hôpital comme «un
corps étranger». Ce problème n’existe pas pour les jeunes médecins qui ont
été placés en stage en milieu hospitalier à partir de la fin de l’externat.

Si, on examine la situation des confrères étrangers qui ont suivi les mêmes
études, on s’aperçoit qu’ils ont l’obligation pour suivre la carrière
hospitalière, de passer par l’internat, ce qui leur permet d’apprendre leur
métier à l’hôpital. Par ailleurs, les facultés de pharmacie en France ont
déjà corrigé cette insuffisance de la formation en instituant, depuis
quelques années, un stage hospitalier obligatoire pour tous les étudiants en
pharmacie, à partir des premières années de formation.

Enfin, pour ce qui est de l’ouverture de l’enseignement pharmaceutique sur
l’industrie, il faut aussi constater que la réforme n’a pas donné les
résultats escomptés, et ce, pour deux raisons essentielles qui sont
inhérentes à l’industrie. En effet, les sociétés qui fabriquent des
médicaments répugnent, en général, à recevoir des stagiaires, ou si elle les
reçoivent, les cantonnent dans des activités de recherche, qui leur sont en
«général inutiles»; sauf s’ils ont la chance d’être recrutés par ces mêmes
entreprises.

Par ailleurs, on peut constater, malheureusement, que pour les tâches de
production et de contrôle, les industriels du médicament préfèrent recruter
des ingénieurs qui sont mieux préparés que les pharmaciens pour les tâches
de production, ou les scientifiques qui sont plus spécialisés que ne le sont
les pharmaciens, dans l’utilisation pour le contrôle de médicaments de
techniques et d’appareillages de plus en plus sophistiqués.

Après cette étude critique sommaire de la situation, il s’agit pour nous
d’étudier les voies et les moyens nous permettant de proposer une réforme
des études en vue d’améliorer la formation des pharmaciens dans notre pays.

LA RéFORME

Pour arriver à de bons résultats, il serait nécessaire de discuter et de
répondre à un certain nombre de questions qui sont de nature à permettre à
tous les pharmaciens d’accomplir au mieux leur mission, quel que soit le
domaine d’activité qu’ils auraient choisi pour assurer leur carrière.

1) Comment arriver à réaliser une bonne formation du pharmacien d’officine
dont le rôle essentiel est d’assurer le contrôle des prescriptions et la
dispensation des médicaments?

2) Comment concilier entre la dispensation d’une formation
pluridisciplinaire théorique dans les domaines de la synthèse, de
l’extraction des molécules actives, de la mise en forme pharmaceutique et un
contrôle des effets des médicaments, et de placer en même temps l’étudiant
en position d’appliquer son savoir théorique et d’évaluer ses compétences
face à un homme malade recevant des médicaments ?

3) Comment concilier cette formation théorique et intégrer l’étudiant en
pharmacie dans une équipe hospitalière pour acquérir le savoir-faire et un
certain comportement, voire une conduite à tenir vis-à-vis du malade ? Ne
faudrait-il pas penser à une formation cohérente et suivie pour les
pharmaciens des hôpitaux ?

4) Comment concilier la formation théorique et pratique du pharmacien, pour
être en mesure de revendiquer une place de choix dans notre jeune industrie
pharmaceutique, qui a besoin de se développer et de s’affirmer, tant sur le
plan national que sur le plan international ?

Beaucoup d’autres questions touchent aux autres aspects des activités du
pharmacien dans notre société en évolution constante. Je citerai en
particulier le cas de la biologie clinique, celui de la bromatologie et de
la cosmétique et de la chimie-thérapeutique, sans oublier que cette dernière
activité est en pleine expansion.

A mon sens, il s’agit pour nous de proposer une solution qui nécessite
obligatoirement un choix entre deux conceptions. Je me refuse évidemment à
envisager une certaine conception qui consisterait à dire que la faculté
dispense un enseignement qu’elle juge nécessaire pour la formation du
pharmacien, sans se soucier de l’avenir du jeune diplômé et de son insertion
dans la société qui a fait des sacrifices pour assurer sa formation et qui
est en droit d’exiger de lui de se mettre à son service. Donc, les facultés
de médecine devront, a priori, assurer la formation de cadres
pharmaceutiques pour répondre aux besoins actuels de notre pays.

Quelle orientation ?

Quelles sont les orientations qu’elles doivent donner à leur enseignement
pour accomplir cette mission ?

Il est nécessaire de rappeler un certain nombre de constatations. Tout
d’abord, la tendance de l’écrasante majorité de nos jeunes diplômés à
solliciter un emploi au terme de leurs études universitaires, qui durent en
général de 5 ans après le baccalauréat. Les raisons de cet état de fait sont
multiples et tout à fait défendables et il serait très long de les
expliquer...

La deuxième constatation que l’on peut faire, c’est la tendance à acquérir
durant les études universitaires une formation de plus en plus spécialisée.
En d’autres termes, la tendance à ce que, au terme de 5 ans d’études à
l’université, l’étudiant acquiert un diplôme qui le rend apte à exercer
immédiatement un métier dès sa sortie de la faculté.

Ceci étant, quelle serait la solution à retenir pour la formation de nos
pharmaciens ?

Le débat, en fait, tourne autour de la finalité de l’enseignement
pharmaceutique. Il faudrait donc répondre à la question suivante:

- Les facultés de médecine doivent-elles continuer à assurer un enseignement
théorique pluridisciplinaire et corriger les insuffisances dont j’ai cité
quelques exemples, ou bien modifier leur vocation dans le sens de la
formation de pharmaciens ayant déjà acquis une spécialisation durant le
cursus normal des études ?

La première solution exigera, pour être réalisée, deux conditions:

1) L’allongement de la durée des études d’au moins une année.

2) La création d’enseignements spécialisés.

Ce qui suppose que le pharmacien spécialiste aura à faire des études durant
une dizaine d’années après le baccalauréat. La deuxième solution entraînera
obligatoirement l’abandon de la notion d’unicité de diplôme, mais aura
l’avantage de permettre une formation permettant au futur diplômé d’être en
mesure d’exercer convenablement une responsabilité dans un domaine pour
lequel il a été bien formé.

Dans cette hypothèse, on s’habituera à une nouvelle terminologie pour
désigner les membres de notre corporation, et on parlera de pharmacien
d’officine, pharmacien d’industrie, pharmacien analyste, pharmacien
clinicien...

Cette deuxième solution suppose un plan national de formation des
pharmaciens et une orientation des étudiants dans les différentes filières
de formation en fonction des besoins du pays, et une souplesse dans la
conception des programmes, en vue de créer autant de filières spécialisées
que l’exige le développement de nos activités professionnelles. Il est
évident que pour chaque type de diplôme, il est nécessaire d’obtenir
obligatoirement certaines unités de valeur, avec possibilité d’avoir des
options, au choix de l’étudiant. Ainsi, pour un futur pharmacien d’officine,
en plus des unités de valeur de pharmacie et de pharmacodynamie, on peut
choisir une unité de valeur de gestion, d’économie de santé ou de droit
pharmaceutique. Ces mêmes unités de valeur seraient nécessaires pour un
futur pharmacien d’industrie. Ce type d’enseignement a ainsi l’avantage de
permettre des passerelles et un étudiant ayant au départ choisi une filière
et qui voudrait changer d’orientation n’a qu’à s’inscrire dans les unités de
valeur qui lui sont nécessaires pour obtenir son diplôme dans la nouvelle
orientation.

Pour conclure, je dira qu’il ne peut exister une solution parfaite,
c’est-à-dire une solution susceptible de recueillir l’accord de tout le
monde: université, corps professionnels, administration.

Il est nécessaire de fixer dès le départ la finalité de l’enseignement de
la pharmacie dans notre pays, en rapport avec leur évolution, leurs besoins
et leurs moyens. Il sera alors possible de discuter de toutes les solutions
possibles, d’évaluer les avantages et les inconvénients de chacune d’entre
elles pour en adopter une seule, sachant que dans un monde en évolution
constante, cette solution sera plus ou moins vite dépassée et à son tour
discutée et remise en cause pour être adaptée à cette évolution.

Et enfin les problèmes de contenu des programmes, problèmes de méthodologie
et bien d’autres méritent une large participation de tous les confrères.
Méditons ensemble cette affirmation d’Einstein: «L’imagination est plus
importante que la connaissance».