E-MED: Pharmacop�e africaine et VIH/SIDA: Espoir et d�sillusion
-------------------------------------------------------------------------
[Mod�rateur de e-med: ci-joint cette int�ressante annalyse diffus�e par
'SAFCO'- le forum public ind�pendant de la r�ponse au Sida en Afrique du
Centre et de l'Ouest, avec nos remerciements. CB]
*** Mod�rateur de SAFCO: L'un des d�fis majeurs dans la r�ponse � l'�pid�mie
du VIH/SIDA est la d�couverte d'un traitement efficace. La pharmacop�e
africaine n'est pas en reste dans cette qu�te du rem�de miracle. Certains
chercheurs africains et tradipraticiens ont d�j� mis au point des
traitements dont ils vantent l'effet antir�troviral. On a les exemples du
Ghana, du Burkina Faso, du B�nin, du Kenya et plus r�cemment de la C�te
d'Ivoire avec le Th�rastim. Espoir et d�sillusion rythment souvent ces
d�couvertes pr�sent�es � grands renforts m�diatiques. Quelles sont les
conditions pour une cr�dibilit� de ces rem�des? Quelles est la contribution
de la pharmacop�e africaine dans la recherche d'un rem�de efficace contre le
VIH/SIDA? Vos commentaires sont les bienvenus sur SAFCO.
SAFCO publie ici la contribution de Philippe Msellati apr�s la pr�sentation
du Th�rastim en C�te d'Ivoire ***
* Ce titre est du mod�rateur
--------------
Un traitement pr�sent� avec brio mais dont l'efficacit� n'est pas d�montr� :
le Th�rastim
- Philippe Msellati
Samedi 6 janvier 2001, apr�s une semaine d'articles annonciateurs dans la
presse, une conf�rence de pr�sentation d'un produit � vis�e th�rapeutique,
issu de la pharmacop�e traditionnelle, a eu lieu � Abidjan. Quoi de plus
banal, de plus classique, dirons nous. Oui mais la pr�sentation a eu lieu
dans le cadre de l'universit� de Cocody, au sein de l'UFR de pharmacie, en
pr�sence d'un repr�sentant du Minist�re de la Recherche Scientifique et d'un
repr�sentant de l'�pouse du pr�sident de la r�publique. Et puis il s'agit
d'un traitement qui aurait une efficacit� sur l'infection par le VIH/SIDA.
Du coup, tout est diff�rent. Le symbole est tr�s fort et les enjeux
politiques et �conomiques sont importants. Si l'�motion y gagne, la
rationalit� et la rigueur intellectuelle n'y ont plus qu'une place r�duite.
La pr�sentation fut remarquable du point de vue m�diatique et commercial,
d'une habilit� consomm�e ! Devant un public jeune en majorit�, compos�
d'�tudiants ou d'�l�ves, un traitement allant au del� de l'infection par le
VIH, puisqu'il aurait une efficacit� sur le paludisme et un r�le stimulant
sur l'immunit� en g�n�ral ainsi que sur l'app�tit est pr�sent� dans ses
aspects physico-chimiques, de tol�rance et d'efficacit� jusqu'� la forme
gal�nique (pr�sentation des ampoules injectables).
Les r�sultats scientifiques pr�sent�s n'ont aucune valeur particuli�re. Ils
sont extr�mement pr�liminaires et ne pourraient conduire qu'� un seul
commentaire : r�alisez un vrai essai clinique de tol�rance et d'efficacit�,
revenez nous voir dans un an, deux ans... En effet, ces r�sultats concernent
un tout petit nombre de patients dont le suivi est apparemment tr�s bref, il
n'y a pas de groupe t�moin qui aurait permis de comparer les effets,
b�n�fiques ou toxiques, � ceux des traitements connus pour efficaces. En
termes de tol�rance, si nous avons tous les d�tails entre des groupes de
lapins, par contre, chez l'homme il n'y a que 8 bilans exhaustifs r�alis�s
et sans groupe contr�le. Concernant l'efficacit�, les donn�es biologiques
recueillies ne le sont que chez cinq personnes sur un intervalle de temps
tr�s court. Ceci est tr�s insuffisant pour tirer quelque conclusion que ce
soit et les variations biologiques avant/apr�s la cure n'ont aucune valeur
indicative d'efficacit�. Avec en plus une erreur majeure : un patient
infect� par le VIH-2 �tant pr�sent� comme ind�tectable apr�s la cure, ce qui
est obligatoire puisqu'aucune technique de mesure de charge virale du VIH-2
n'existe � ce jour et que tous ces patients sont ind�tectables avec les
tests habituellement utilis�s et adapt�s au VIH-1.
Toute l'habilit� des initiateurs de cette pr�sentation r�side ici. Haute
autorit� de la facult� de pharmacie, le pr�sentateur des donn�es de ce
nouveau traitement est tr�s bien plac� pour savoir que ce qu'il pr�sente n'a
aucune valeur particuli�re � ce stade et il le dit lui-m�me � plusieurs
reprises durant l'expos� !!! Il anticipe toutes les critiques en les
�non�ant lui-m�me. Ceci incite l'auditeur � se poser la question : mais
alors pourquoi le pr�senter ? En m�me temps, dans un discours qui du coup
montre toute son ambigu�t�, la forme commerciale est pr�sent�e avant les
r�sultats scientifiques et il est indiqu� � plusieurs reprises qu'il s'agit
bien d'une s�ance d'information sur un nouveau traitement. Il est bien
pr�cis� que des formalit�s sont � achever avant la commercialisation mais ce
d�tail ne devrait pas arr�ter l'engouement du public.
Il est remarquable de noter que des boites du produit circulent dans
l'assistance, ce qui, � �couter l'orateur, semble quelque peu pr�matur� !
Les questions et interventions du public n'�tant pas autoris�es,
l'amphith��tre dont une partie importante de l'assistance adh�re
progressivement � la pr�sentation n'est plus qu'un auditoire boulevers� et
croyant. Un doute traverse l'esprit : sommes nous bien dans une universit� ?
Une universit� est cens�e �tre le lieu o� la raison domine, o� la m�thode
scientifique est th�oriquement l'outil de r�flexion principal. Elle n'est
plus, le temps d'une matin�e, que le temple d'une communion fusionnelle, qui
permet d'apaiser pendant quelques heures l'angoisse, le d�ni, la peur qui
habitent le public, comme un nombre important de personnes en C�te d'Ivoire.
La pr�sentation a su allier des arguments d'allure scientifique, aur�ol�s du
lieu o� ils sont �nonc�s, � des arguments �motionnels classiques mais
toujours efficaces. La myst�rieuse pharmacop�e africaine est si riche et si
imparfaitement exploit�e qu'elle rec�le forc�ment des tr�sors. Et puis si
l'Afrique est le point de d�part du VIH et du virus Ebola, il serait
justice, quelque part, que les traitements contre ces maladies nouvelles et
mortelles en soient issues aussi. D'autre part le mythe de David et Goliath,
le petit chercheur isol� et inventif qui r�ussit face aux grosses machines
immens�ment riches mais quelque peu routini�res, est quelque chose qui est
tr�s attirant pour beaucoup d'entre nous. N'est ce pas, d'une certaine
mani�re l'histoire de Montagnier et Gallo dans l'identification du VIH-1 ?
Enfin dernier registre qui en ces temps troubl�s que traverse le pays, il
serait consolateur que ce soit un africain, un ivoirien de surcro�t qui
trouve le m�dicament qui sauve l'humanit�, les grands laboratoires du Nord
ne produisant des m�dicaments qu'imparfaits et extr�mement co�teux. Le
repr�sentant de l'�pouse du pr�sident de la R�publique a su prendre la balle
au bond et r�agir sur cet aspect de la chose en ces temps de d�but de si�cle
de mill�naire et de deuxi�me r�publique.
Utiliser plus ou moins de fa�on consciente la cr�dulit� du public pour
promouvoir la pharmacop�e traditionnelle, un futur institut de pharmacop�e
traditionnelle, voire en tirer quelques avantages financiers n'est en soi ni
nouveau ni original. La lutte contre le SIDA est jalonn�e de ces produits
issus de la pharmacop�e traditionnelle qui �liminent le SIDA. Je n'en ferai
pas un inventaire exhaustif mais � titre d'illustration on peut citer le MMM
d�couvert au Za�re � la fin des ann�es 1980, le Kemron au Kenya (qui n'�tait
pas � base de plantes mais d'interf�ron) et d'autres au Burundi... En C�te
d'Ivoire, Drobo II et Brito sont deux des avatars de ce genre de produits.
Au moins dans un cas, l'Organisation Mondiale de la Sant� a recherch�, sans
succ�s, � conna�tre l'efficacit� du produit. Au cours des ann�es, apr�s un
engouement initial, aucun n'a montr� une efficacit� m�me partielle. Ils ont
sombr� dans l'oubli, apr�s avoir au pr�alable enrichi leurs promoteurs et
fait passer pour ridicules les pays qui avaient promu un peu vite, sans
v�rifications rigoureuses, leur "m�dicament" national...
Jusqu'� maintenant, la C�te d'Ivoire avait soigneusement �vit� ce pi�ge, les
m�dicaments traditionnels pr�tendus efficaces restaient du domaine des
th�rapeutes traditionnels sans engager les autorit�s ni les scientifiques et
un processus d'�valuation de ces m�dicaments avait �t� propos� par le PNLS
d�s 1995-1996. Aujourd'hui, ce sont certaines autorit�s universitaires, en
pr�sence de repr�sentants de hautes autorit�s du pays, qui cautionnent le
produit en en faisant la pr�sentation/promotion. Ceci est assez inqui�tant
quant � l'avenir de la d�marche scientifique dans les domaines o� le pays
est confront� � de grandes difficult�s telles que l'�pid�mie de VIH/SIDA.
Le Minist�re de la Sant� et le Programme National de Lutte contre le SIDA ne
se sont pas associ�s � cette manifestation, attendant sans doute des
r�sultats plus pertinents et ne trouvant pas appropri� le mode de
pr�sentation de ce nouveau traitement �ventuellement int�ressant. Nous
esp�rons que les autres institutions sauront raison garder et reprendre la
distance n�cessaire pour �valuer correctement ce produit.
Enfin, tout ceci n'aurait qu'un int�r�t purement anecdotique si l'existence
annonc�e d'un m�dicament miracle dans le domaine de l'immunit� et du
VIH/SIDA ne risquait pas de remettre en cause les efforts de pr�vention et
de prise en charge de l'�pid�mie dans ce pays. Pourquoi ferais je mon test
de d�pistage si je peux faire une cure de 10 injections � l'aveugle ? Si je
ne me prot�ge pas lors d'un rapport sexuel, ce n'est au fond pas si grave
puisque je peux me traiter par une cure ! et c'est identique si je suis
infirmier ou m�decin et que je me pique, je peux me traiter apr�s ! Quant on
conna�t toutes les appr�hensions quant au test de d�pistage du VIH, toutes
les r�ticences du personnel de sant� face � leur propre risque d'infection,
on ne peux que craindre que l'engouement pour un "produit miracle" ne soit
qu'une occasion suppl�mentaire pour ne pas prendre des mesures pr�ventives
efficaces dans la vie quotidienne et, au bout du compte, alimenter encore et
toujours cette �pid�mie.
Il existe des traitements contre l'infection par le VIH/SIDA. Ces
traitements sont prouv�s efficaces et ne sont pas faciles d'utilisation.
Surtout ils co�tent beaucoup trop cher pour les populations des pays du Sud.
Ne nous pas trompons de combat, faisons tout pour que leur prix baisse et
que leur accessibilit� s'am�liore plut�t que se mobiliser de fa�on
pr�matur�e sur des produits dont l'efficacit� �ventuelle reste � d�montrer.
Dr Philippe Msellati
msellati@bassam.ird.ci
Charg� de Recherches
Institut de Recherche pour le D�veloppement
--------------------------------------------------------
- Vous pouvez �crire � SAFCO � l'adresse safco@hivnet.ch
- SAFCO est un service gratuit. Les communications sont aussi
accessibles � sur le Web �: http://www.hivnet.ch:8000/africa/safco/
- Pour rejoindre SAFCO, envoyez un message � " safco@hivnet.ch "
avec le mot "rejoindre" ou rendez-vous � l'adresse suivante :
http://www.hivnet.ch:8000/join/
--
Adresse pour les messages destin�s au forum E-MED:
<e-med@usa.healthnet.org>
Pour r�pondre � un message envoyer la r�ponse au forum
ou directement � l'auteur.
Pour toutes autres questions addresser vos messages � :
<owner-e-med@usa.healthnet.org>