CÔTE D IVOIRE : Sans professionnels de santé, la lutte contre le sida est
compromise - étude
ABIDJAN, le 11 novembre (IRIN) - La Côte d'Ivoire pourrait ne pas atteindre
les objectifs qu'elle s'est fixée pour lutter contre le sida si rien n'est
fait pour remédier à la pénurie grandissante de professionnels de la santé
du secteur public, selon une étude publiée cette semaine.
Cette étude, menée par l'organisation Partners for health reformplus basée
aux Etats-Unis, est une enquête sur les ressources humaines dans le secteur
de la santé en Côte d'Ivoire. Elle se fonde sur des documents officiels et
des rencontres avec les ministres ivoiriens de la Santé et de la Lutte
contre le sida, ainsi que des partenaires internationaux.
Le ratio entre professionnels de la santé et ensemble de la population a
longtemps été bon en Côte d'Ivoire, comparé aux autres pays d'Afrique de
l'Ouest, ont dit les auteurs de l'étude.
Mais la tendance aujourd'hui est inquiétante, ont-ils noté, car elle montre
que la pénurie de ces professionnels, des infirmières jusqu'aux techniciens
de laboratoire, est de plus en plus critique dans le secteur public, face à
une demande de plus en plus forte.
La Côte d'Ivoire affiche l'un des taux de prévalence du VIH les plus élevés
de la région. Selon les Nations unies, ce taux se situait à sept pour cent
fin 2003, mais les travailleurs humanitaires sur le terrain estiment que ce
taux pourrait être beaucoup plus élevé, au-delà de 10 pour cent, notamment
dans le centre et le nord du pays.
Dans ces régions de la moitié nord du pays, contrôlée par la rébellion -le
sud étant aux mains des partisans du président Laurent Gbagbo- depuis que
l'éclatement du conflit civil en 2002 a coupé le pays en deux, la majorité
des structures de santé ont été détruites ou pillées.
En 2004, 70 pour cent des structures sanitaires du pays ne fonctionnaient
plus, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
<b>Une demande de soins en hausse, une offre en baisse</b>
Un plan national de lutte contre le sida élaboré en 2002 a produit des
résultats «encourageants, mais les progrès restent inadéquates étant donné
la propagation de l'épidémie», ont relevé les auteurs de l'étude.
En juin 2004, seules 18 structures de santé et trois organisations
non-gouvernementales offraient des services de dépistage volontaire et de
conseils (CDV) sur l'ensemble du territoire. En février 2005, seuls 16 des
quelque 1 381 centres de santé du pays offraient des services de prévention
de la transmission du VIH de la mère à l'enfant (PTME).
Le nombre croissant de projets destinés à soutenir les personnes vivant avec
le VIH implique la nécessité de recruter davantage de travailleurs de la
santé. Pourtant, les tendances actuelles montrent que le nombre total de ces
professionnels est au contraire en baisse, a dit le rapport.
En 1996, pour faire face au déclin économique et aux mesures d'ajustement
structurelles réclamées par les institutions de Bretton Woods, le
gouvernement ivoirien a instauré le passage d'un examen pour toute embauche
dans le secteur public, afin de restreindre le recrutement de
fonctionnaires.
Aujourd'hui, moins de la moitié du nombre de professionnels de la santé
requis -soit environ 40 pour cent- a rejoint les rangs des fonctionnaires du
ministère de la Santé, selon les statistiques de Partners for Health
reformplus.
«Au moment même où le système de santé est incapable de recruter en fonction
de ses besoins, le chômage des médecins, des techniciens de laboratoire et
des pharmaciens est élevé», a dit l'organisation.
Paradoxalement, de nombreux nouveaux diplômés du secteur de la santé restent
sans emploi parce qu'ils ne réussissent pas l'examen d'entrée dans
l'administration. Sur les 312 médecins diplômés en 2004, seuls 117 ont été
recrutés par le secteur public de la santé. Les 195 autres sont au chômage
ou travaillent dans le secteur privé.
Un problème similaire existe pour les dentistes et les pharmaciens. Les
infirmières constituent la seule exception notoire, avec près de 90 pour
cent des diplômées embauchées dans le secteur public, a dit l'étude.
Le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme
affiche l'objectif de fournir des traitements antirétroviraux (ARV) à 25 000
personnes nouvellement infectées au VIH d'ici 2008.
Le Plan d'urgence du président américain George Bush contre le sida, le
Pepfar, veut fournir ces traitements qui améliorent la vie des personnes
vivant avec le VIH à 77 000 patients, également à l'horizon 2008.
<b>De plus en plus difficile de traiter le sida</b>
Mais le rapport s'interroge sur la capacité de la Côte d'Ivoire à atteindre
ces objectifs étant donné la forte croissance de la demande de soins en
général, et la pénurie «critique» de personnels de la santé qualifiés.
De plus, la Côte d'Ivoire souffre d'un exode massif de professionnels de la
santé. Un quart de ses infirmières et un cinquième de ses médecins ont
quitté le secteur public en 2002.
La pénurie est aggravée par le départ à l'étranger de centaines de
travailleurs de la santé, notamment des infirmières, qui trouvent un emploi
dans d'autres pays.
Par conséquent, en 2008, la Côte d'Ivoire «ne sera pas capable de maintenir
des services de santé de base et il deviendra de plus en plus difficile de
fournir des services VIH/SIDA», ont prévenu les auteurs.
Ils ont aussi constaté une très forte disparité entre le nombre de
travailleurs de la santé à Abidjan, la principale ville ivoirienne située
dans le sud du pays, et le reste du pays. Au cours des premiers mois de la
guerre civile, la plupart des médecins et des infirmières qualifiées ont fui
les régions du nord et de l'ouest pour se réfugier dans la moitié sud du
pays.
Selon les dernières statistiques officielles, près de 80 pour cent des
travailleurs sociaux et environ la moitié des infirmières du pays
travaillent aujourd'hui dans la région d'Abidjan.
Et le déséquilibre pourrait se maintenir pendant plusieurs années. «Il se
peut qu'Abidjan constitue un asile temporaire [pour les personnels du nord],
mais il n'est pas certain que ces travailleurs de la santé voudront
retourner à leur poste d'affectation dans leurs régions d'origine si le
conflit civil prenait fin», ont averti les auteurs.
Pour faire face à la pénurie, Partners for Health Reformplus recommande au
gouvernement de développer de nouvelles stratégies pour motiver les
travailleurs de la santé.
«Des mesures urgentes et énergiques devraient être mises en place» pour
mettre fin à la pénurie de personnels qualifiés, tandis que l'institut
national pour la formation des travailleurs de la santé devrait envisager
d'admettre davantage d'étudiants.