Trente projets de vaccins dans la «course» contre Covid-19
Un premier essai clinique a été lancé aux États-Unis par la société Moderna Therapeutics et les NIH, mais la recherche d’un produit efficace demande du temps.
Par Vincent Bordenave et Marc Cherki
Mis à jour hier à 19:56
https://www.lefigaro.fr/sciences/trente-projets-de-vaccins-dans-la-course-contre-covid-19-20200318
Face à la pandémie galopante du nouveau coronavirus, une bataille est lancée depuis plusieurs semaines. «Dans la course contre le virus, une trentaine de candidats vaccins dans le monde sont élaborés par des start-up, des groupes pharmaceutiques et des centres de recherche dans le monde», explique Olivier Schwartz, directeur de l’unité virus et immunité à l’Institut Pasteur. Plus qu’un sprint, on parle ici d’un demi-fond.
L’objectif est bien de finir premier mais surtout d’arriver dans le bon timing, en ayant bien pris le temps de s’assurer de l’innocuité et de l’efficacité du produit. «La mise sur le marché d’un vaccin est très longue, en tout, il faut compter a minima deux ans, explique Étienne Declory, chercheur CNRS au laboratoire Architecture et fonction des macromolécules biologiques. Après des premiers tests sur l’animal il y a trois phases d’essais sur l’homme.»
Lundi 16 mars les NIH, les instituts américains en charge de la recherche médicale, l’homologue de l’Inserm français, semblent avoir pris une longueur d’avance. Ils ont annoncé un premier essai clinique lancé par la start-up Moderna Therapeutics sur 45 patients sains volontaires. Le premier participant a déjà reçu une dose expérimentale. Un processus particulièrement rapide est espéré. L’équipe a eu recours à une technique presque inédite qui permet de s’affranchir du test sur la souris.
L’objectif est que le patient développe une résistance spécifique au virus, en produisant des anticorps neutralisants contre cette protéine
Olivier Schwartz, directeur de l’unité virus et immunité à l’Institut Pasteur
Normalement, un vaccin contient certaines caractéristiques amoindries de l’agent pathogène, autrement dit un virus inactivé. Le corps apprend ainsi à se défendre face à une forme affaiblie de la maladie. Mais la start-up américaine développe une autre méthode.
Il y a un effet d’aubaine «pour Moderna Therapeutics, dont le cours de Bourse s’est envolé après l’annonce de son essai thérapeutique. Cette entreprise propose une nouvelle stratégie vaccinale, explique Olivier Schwartz. Elle consiste à injecter directement un ARN (un morceau du patrimoine génétique, NDLR) synthétique, chez l’homme, qui va permettre à l’organisme de produire directement une des protéines du coronavirus. L’objectif est que le patient développe une résistance spécifique au virus, en produisant des anticorps neutralisants contre cette protéine.»
Sans test sur les souris, le gain de temps est d’environ six semaines. Mais les trois phases d’essais cliniques sur l’homme restent indispensables. «Il faudra tout de même entre douze et vingt-quatre mois pour boucler ses essais cliniques chez l’homme», ajoute Olivier Schwartz. Son collègue, Frédéric Tangy, directeur du laboratoire d’innovation vaccinale de l’Institut Pasteur renchérit: «Il s’agit d’un produit entièrement synthétique. L’inoculer chez l’homme sans passer par la case animale reste très risqué, à mon sens, surtout car on n’a aucune idée préalable de l’efficacité du produit. La réalité, c’est qu’en vantant une production plus rapide, ce genre d’initiative attire les investisseurs et fait parler d’elle.»
Il faudra encore attendre au moins un an pour proposer un vaccin, qui ne peut pas être conçu, en moins de dix-huit mois au total
Une autre preuve? Dimanche dernier, le site internet du quotidien allemand Die Welt révélait que Donald Trump, le président des États-Unis, souhaitait racheter le laboratoire CureVac, situé à Tübingen (Allemagne). Ce laboratoire développe un vaccin en utilisant la même méthode que celle de Moderna Therapeutics. Ils affirment être à quelques mois de déposer un projet pour validation. «Au-delà même de la viabilité de ces vaccins, leur coût risque d’être très élevé, ajoute Frédéric Tangy. La production synthétique à grande échelle demande beaucoup d’argent. Or, l’objectif d’un tel vaccin est d’être accessible au plus grand nombre et donc d’être le moins cher possible à produire.»
Délais incompressibles
En parallèle des grands laboratoires pharmaceutiques mondiaux, dont le français Sanofi, l’Institut Pasteur est lui aussi dans la course. Ses scientifiques utilisent un vaccin déjà existant, celui de la rougeole. «Il s’agit de deux virus totalement différents, explique Frédéric Tangy. Il est possible d’utiliser la protéine du vaccin comme une sorte de porteur. Exactement comme un cargo qui est dessiné pour la rougeole, mais qui contient les informations du Sars-CoV-2. On espère pouvoir lancer un essai clinique au mois de septembre.» Si tout se passe correctement, il faudra encore attendre au moins un an pour proposer un vaccin, qui ne peut pas être conçu, en moins de dix-huit mois au total.
«Nous avons gagné du temps dans l’élaboration de notre candidat-vaccin, car le Sars-CoV-2 est un cousin du Sars-CoV- 1, apparu en 2002 en Chine, et contre lequel nous avions élaboré, en 2004, un candidat vaccin qui reposait sur celui de la rougeole,complète le directeur de l’unité virus.Mais nous n’avions pas lancé d’essais cliniques, car l’épidémie s’était éteinte.»Contre le Covid-19, des essais in vitro ont déjà permis d’isoler les bonnes protéines.
Mais la route reste longue avant l’obtention d’un vaccin. Il subsiste des délais incompressibles, même si la troisième phase de tests de l’essai clinique de l’Institut Pasteur pourrait tout de même s’adresser à «une large population»et nous faire gagner de précieux mois en 2021.