[e-med] (12) Epidémie d'Ebola : le Fonds mondial s'engage à répondre rapidement à toute demande du Libéria, de Sierra Leone ou de Guinée

Bonjour Serge,

Sur un plan théorique ce serait bien, sur un plan pratique je vois mal
comment cela pourrait s'organiser de manière efficace. Sur un plan
« moral », c''est priver les élites de chaque pays de
leur devoir de solidarité vis à vis de leurs compatriotes.

Si c'est pour créer un nouveau fond international géré par des
technocrates couteux et qui sera de toutes les manières un jour
orienté par des lobbys, je ne vois pas très bien l'intérêt. Les
technocrates qu'on le veuille ou non cherchent de manière
prioritaire à gérer leur carrière personnelle, pas à agir de
manière idéale pour le bien de la société en risquant leur job.

Je connais un nombre très important d'acteurs de santé (y compris au
sein des principales organisations internationales) qui en privé
disent qu'ils sont ahuris de voir la manière dont le système
fonctionne et dubitatifs sur l'efficacité de leur propre action. Par
contre de manière publique, c'est l'omerta sur les
dysfonctionnements. Donc, le niveau de conscience dans ces
organisations pour le changement en faveur du bien être de la
société est faible et orienté vers l'importance de l'ego
personnel, les sujets tabous sont volontairement tus.

Par ailleurs, qui financerait ce nouveau fond ? Les économies
européennes sont à la limite de l'endettement maximal, une
augmentation significative des taux d'intérêt (possible à moyen
terme) serait catastrophique pour un pays comme la France sur le plan
économique, et pire sur le plan politique. Je crois qu'on sous
estime très fortement les risques qui de mon point de vue sont très
élevés.

Enfin, peut-on continuer à financer une aide au développement quand les
inégalités de part et d'autres s'accroissent très dangereusement ?
Il y a une entrée en compétition forte dans ses besoins du quart
monde face au tiers monde (qui l'est de moins en moins et marqué par
des situations très hétérogènes), du fait même des politiques
économico-sociales impulsées et qui aboutissent à des systèmes
marqués par la ploutocratie. Ce qui entre parenthèses aboutit à la
montée des nationalismes au nord et aux intégrismes au sud.

http://www.lesechos.fr/monde/etats-unis/0203757141899-letude-dharvard-qui-d
onne-raison-a-thomas-piketty-1040315.php

Prenons un exemple, la ville de Kano au nord du Nigeria :

  * elle a donné naissance à l'homme le plus riche d'Afrique :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Aliko_Dangote

  * c'est aussi une zone de très forte inégalités sociales et l'un des
bastions de Boko Haram :

http://www.monde-diplomatique.fr/2012/04/VICKY/47604

Faut-il un fonds international pour couvrir les besoins en santé des
pauvres du Nord Nigeria ?

En Afrique, quels sont les dirigeants qui publient leur patrimoine
(Macky Sall au Sénégal l'a fait, combien d'autres?) ; existe
t-il des dirigeants africains qui ont un patrimoine plus faible que
la moyenne européenne ? J'en doute très fortement. C'est
quelque chose d'extrêmement choquant et qu'aucun grand responsable
de santé ne souhaite aborder. Ne faudrait-il pas mettre à
contribution les oligarches africains dans le financement de la
santé par une assiette fiscale normale ? Il faut focaliser l'aide au
développement sur les pays où les dirigeants diminuent les
inégalités et augmentent la transparence publique, quitte à
diminuer l'aide pour ceux où les inégalités ne diminuent pas.

Certains dirigeants africains sont en poste depuis 20 ans, 30 ans pour
certains, avec des résultats dans la santé particulièrement
mauvais. Quelles sont les organisations internationales de santé qui
en font le constat publique ? Faut-il un fonds international
pour les dédouaner de leur inefficacité et venir en aide aux
pauvres de leur pays afin qu'ils ne se révoltent pas ? Quel est
le rôle de tous ces consultants en santé qui viennent du nord et
produisent des rapports techniques peu utiles lorsque les environnements
sont
peu propices à la transparence et qu'ils préfèrent taire pour des
raisons de petite carrière personnelle, à quoi servent-ils
vraiment ?

J¹attends déjà que les acteurs de santé agissent sur les déterminants de
santé (en particulier les inégalités sociales), ce sera plus
efficace que de créer encore un nouveau fonds qui sera une nouvelle
usine à gaz ; avec dans l'idée de ne pas faire de diagnostic
sur ce qui n'a pas marché avec la précédente initiative.

Si je me réfère maintenant à l'un des discours du Dr Luis Sambo, DG
de l'OMS/AFRO :

http://www.afro.who.int/fr/rdo/allocutions/1904-discours-du-directeur-regio
nal-dr-luis-gomes-sambo-cinquante-neuvieme-session-du-comite-regional-de-lo
rganisation-mondiale-de-la-sante-pour-lafrique.html

« de renforcer les moyens face d¹agir sur les principaux déterminants
de la santé. »

Personnellement, je ne vois pas encore l'inclusion des déterminants de
santé dans
les stratégies nationales de santé en Afrique.

Voici par exemple ce qu'on peut lire dans le plan national de développement
sanitaire du Burkina (2011-2020) :

http://www.internationalhealthpartnership.net/fileadmin/uploads/ihp/Documen
ts/Country_Pages/Burkina_Faso/Burkina_Faso_National_Health_Strategy_2011-20
20_French.pdf

« Les déterminants de la santé constituent le fondement des stratégies
d¹amélioration de la santé. Les déterminants les plus
importants sont entre autres, l¹environnement (social, économique
et physique), les facteurs biologiques, le niveau d¹instruction,
les habitudes de vie et capacités d¹adaptation, les facteurs
démographiques et le système de santé».

Et plus loin :

³Promouvoir un état de bonne santé nécessite la prise en compte de nombreux
déterminants qui sous-tendent cet état de santé. Autant il existe
un consensus sur ce constat, autant la mise en ¦uvre des solutions
véritablement efficaces semble relativement difficile³.

Donc, c'est essentiel mais c'est très difficile de les utiliser !
Quels sont les pays africains qui tiennent compte de manière
formelle des déterminants de santé dans leurs stratégies
aujourd'hui ?

Qu¹est ce qui empêche aujourd'hui les pays africains de mettre en place des
systèmes de couverture universelle (il faut voir ce qu'on met
dedans) ? Je dirais que c'est l'égoïsme de systèmes à
caractère oligarchique. Le renforcement des soins primaires peut
être facilement être entrepris par la compression des inégalités
sociales, pourquoi ne pas le demander et le faire ?

Ce n'est pas au système « humanitaire » international de
créer de la solidarité dans les pays pauvres, cela ne marche pas et
les inégalités s'accroissent. Il appartient aux élites de chaque
pays de créer les conditions de solidarité nationale, faute de quoi
les états nations n'ont plus de sens et les populations se
révoltent. Les pays du Nord n'ont pas à soutenir des dirigeants
corrompus et mal élus et pour qui la santé des plus pauvres n'est
pas une priorité, mais doivent déjà faciliter les conditions de
transparence (y compris sur leurs propres flux) démocratique et de
juste répartition des richesses.

PS : vous pouvez également revoir la répartition de l'APD en Afrique, ce
n'est pas forcément les pays les plus pauvres qui reçoivent le
plus. Pourquoi y a t-il des biais aussi importants ? Que vaut
réellement l'indice Ibrahim sur la gouvernance quand il ne tient pas
compte de ces biais d'APD (ni des inégalités sociales, sans
compter des indicateurs de santé très orientés fonds mondial
particulièrement discutables) ?

http://www.casi-bretagne.org/images/Inégalités\_en\_Afrique\_\-\_lecture\_critiqu
e_de_lindice_Ibrahim.pdf
<http://www.casi-bretagne.org/images/Inégalités_en_Afrique_-_lect
ure_critique_de_lindice_Ibrahim.pdf>

Bonne journée,

Bertrand Livinec