Une alliance inattendue contre le palu
Une ONG s'associe à Sanofi pour mettre sur le marché un traitement à prix
coûtant d'ici à 2006.
Par Florent LATRIVE
vendredi 08 avril 2005 (Liberation - 06:00)
C'est un médicament sans but lucratif, fruit d'une étrange alliance : le
laboratoire français Sanofi-Aventis et la fondation Drugs for Neglected
Diseases Initiative (Dndi) ont rendu public hier un partenariat pour mettre
sur le marché avant 2006 un traitement novateur contre le paludisme et ses 5
000 morts par jour. Un drôle de pacte entre une ONG et le n° 3 mondial de la
pharma qui illustre les bricolages aujourd'hui en vigueur quand il s'agit de
mettre au point de nouveaux médicaments contre les maladies tropicales.
Car la recherche et le développement sur le palu, la maladie du sommeil et
les autres pathologies propres au Sud sont en rade. Insuffisamment rentables
pour des labos qui préfèrent cibler des maladies touchant les populations
solvables du Nord. Entre 1975 et 1999, sur 1 393 nouvelles molécules mises
sur le marché, seules 16 visaient les maladies tropicales ou la tuberculose.
Chez Sanofi-Aventis, le palu est ainsi classé au rayon «responsabilité
sociale et environnementale» et émarge dans le petit 0,4 % du budget R & D
de 4 milliards d'euros consacré aux maladies négligées. «On n'arrive pas à
trouver une rentabilité, qui est à la base de nos projets de recherche, tout
le monde le comprendra», indique Philippe Baetz, vice-président de
Sanofi-Aventis en charge de l'accès aux médicaments.
«Modèle alternatif». Installée à Genève, l'association Dndi a été lancée en
2003 avec l'objectif de «développer un modèle alternatif pour les maladies
négligées», rappelle son directeur, Bernard Pécoul. L'organisme coordonne
les efforts de centres de recherche publics du Sud (comme l'Institut de
recherche médicale du Kenya), de l'Institut Pasteur, de Médecins sans
frontières et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Et vise à
multiplier les partenariats, éventuellement avec de grands labos privés,
pour développer et distribuer à des coûts les plus bas possibles de nouveaux
médicaments. Le traitement contre le paludisme est le premier à aboutir :
c'est une combinaison à dose fixe d'un dérivé de la plante chinoise armoise
et d'amodiaquine, association recommandée par l'OMS pour faire pièce aux
résistances de plus en plus fortes constatées dans la lutte contre la
maladie. Dndi est parvenu à combiner en une seule pilule les deux molécules,
réduisant le nombre de prises pour les malades et facilitant le suivi du
traitement. Encore fallait-il la rendre disponible aux patients, d'où le
partenariat quasi contre-nature avec Sanofi : la firme aide à finaliser la
molécule et, surtout, prend en charge les démarches de constitution d'un
dossier et d'enregistrement auprès des autorités sanitaires. Plus la
fabrication et la distribution «à prix coûtant», affirme Sanofi, avec un
objectif d'un dollar le traitement complet de trois jours. Dndi a obtenu une
garantie supplémentaire pour se prémunir d'un éventuel revirement de Sanofi,
soit l'absence de brevet sur le médicament. En clair, n'importe quel labo
spécialiste de la copie pourra fabriquer le même traitement. Bernard Pécoul
y voit un «message politique», alors que les brevets sont souvent accusés de
renchérir les prix des médicaments.
Responsabilités. L'intérêt de Sanofi ? Un peu de pub sociale à moindres
frais, bien sûr, «mais c'est aussi une logique industrielle car cela permet
de remplir les usines», insiste Robert Sebbag de Sanofi. Des motivations
trop ténues pour renverser le déficit en recherche sur les maladies
tropicales avec ces seuls partenariats et sans prise en compte par les Etats
de leur responsabilité, rappelle Bernard Pécoul : «On ne fera pas changer
les priorités des entreprises, elles vont contribuer en amenant leurs
expertises, mais c'est tout.»