[e-med] (3)Décès de Jacques Pinel, hommage à un homme de conviction

Jacques Pinel
LE MONDE | 02.09.2015 à 17h07 • Mis à jour le 03.09.2015 à 19h18
Par Paul Benkimoun
http://abonnes.lemonde.fr/disparitions/article/2015/09/02/jacques-pinel_4743702_3382.html

C’est une figure aussi historique que discrète de Médecins sans frontières (MSF) qui a disparu, vendredi 14 août, au Pouliguen (Loire-Atlantique), à l’âge de 73 ans. Pharmacien de formation, Jacques Pinel aura été le maître architecte de la logistique de l’organisation humanitaire et un contributeur essentiel auprès de Bernard Pécoul à la création de sa campagne d’accès aux médicaments essentiels. Ce Breton qui vivait entre Bruxelles et Paris était « un visionnaire qui a toujours eu un temps d’avance », se souvient le Dr Pécoul, qui dirige aujourd’hui Drugs for Neglected Diseases initiative (DNDi), un partenariat lancé par MSF qui commercialise des médicaments sans brevet pour les maladies négligées à prix coûtant.

« Au début des années 1980, il a œuvré sans cesse à rendre MSF efficace sur le plan de la logistique comme de la pharmacie et toujours avec une grande pédagogie à l’égard des plus jeunes, qu’il rassurait et auxquels il donnait confiance. Son action a correspondu à la première professionnalisation des ONG nées après 1968 », explique le Dr Jean-Hervé Bradol, ancien président de MSF. « Nous partagions le même bureau à une époque et pour lui arracher qu’il avait innové, c’était toute une histoire. Lui se défendait vivement en disant : « “J’ai copié sur l’Unicef, sur Save the Children, sur Oxfam.” », poursuit Jean-Hervé Bradol.

L’histoire de Jacques Pinel avec MSF commence en 1979 par sa démarche auprès du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Fuyant le régime des khmers rouges, des réfugiés cambodgiens traversent en nombre massif la frontière avec la Thaïlande. Le CICR, auquel il propose ses services, oriente Jacques Pinel vers l’équipe médicale de MSF présente sur place. Il va se révéler un organisateur hors pair.

Aussi passionné que maniaque du détail, il avait l’obsession de faire en sorte que « tout fonctionne au mieux et soit prêt pour que les équipes médicales puissent se concentrer sur le soin à apporter aux patients. Il fallait organiser, prévoir, commander, acheter, gérer le parc de véhicules, en commençant par accrocher une boîte pour que chacun arrête de chercher les clés au moment de partir sur les camps… Il avait également adapté le concept des malles d’urgence utilisées par les secouristes en créant les premiers kits », comme l’ont souligné le Dr Mego Terzian et Stéphane Roques, respectivement président et directeur général de MSF, dans un message aux équipes de MSF.

Ce qu’il avait fait pour une mission, Jacques Pinel l’a étendu à tout MSF. Il a développé la logistique au siège de l’ONG mais a également mis sur les rails une plate-forme basée initialement à Lézignan (Aude), ultérieurement transférée et étendue à plus grande échelle près de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Là, sont entreposés les kits et tout le matériel dont les missions de MSF peuvent avoir besoin. « Personne à part lui n’imaginait que nous développerions une structure d’une telle envergure », constate Bernard Pécoul.

Jacques Pinel houspillait parfois les médecins de MSF en leur disant : « Vous ne savez même pas d’où vient le médicament que vous prescrivez », rapporte Jean-Hervé Bradol. Persuadé de l’importance de la qualité des médicaments à l’époque où beaucoup de médecins se fournissaient auprès de fournisseurs locaux, il a eu vite fait de remettre de l’ordre dans tout cela. A commencer par l’envoi de pharmaciens pour évaluer sur place la qualité des médicaments utilisés.

Force de conviction

La capacité de conviction de Jacques Pinel ne s’appuyait pas sur des éclats mais sur une bataille à l’usure et sur un gros travail préparatoire. « Il nous répétait tellement ses arguments que nous finissions par le suivre. Pour la campagne d’accès aux médicaments essentiels, lancée à un moment où nous risquions de perdre ces outils indispensables, il avait accumulé les informations sur le sujet et les questions de propriété intellectuelle », rappelle Bernard Pécoul. Il a de même rédigé à l’intention des membres des missions des lignes directrices pour la prise en charge. Leur l’influence s’est exercée au-delà de MSF et a inspiré certaines de celles adoptées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Il a été celui qui faisait rencontrer aux responsables de MSF des personnes qui allaient les influencer, y compris des gens de l’industrie pharmaceutique. Même si, avec ces derniers, il ferraillait sur des aspects qui lui paraissaient essentiels, comme par exemple avec Sanofi, jusqu’à ce qu’il les convainque d’adapter l’emballage d’un traitement contre le paludisme qui rendrait son utilisation plus facile.

Pour autant, ce « souci de standardiser ne le faisait pas tomber dans l’excès. Quand, en 2001, le fabricant indien de médicaments génériques Cipla a fait sa proposition de trithérapie anti-VIH en un seul comprimé à 350 dollars par an, à l’époque où dans le meilleur des cas elle était vendue à plus de 1 000 dollars, Jacques Pinel a jugé que la qualité de ces médicaments était suffisante et qu’un pharmacien ne devait pas bloquer l’accès à un tel produit qui allait sauver des milliers de vies. Il ne se contentait pas d’appliquer des normes mais avait une approche globale », estime Bernard Pécoul.

Marié et père d’un garçon, personnalité très attachante, amateur de restaurants où l’on mange une nourriture roborative, il a travaillé jusqu’au dernier moment avant de succomber à des problèmes cardiaques. « J’ai reçu un e-mail de Jacques quelques jours avant son décès où il me parlait d’un médicament frelaté qui le tracassait… », témoigne Jean-Hervé Bradol.

26 juin 1942 Naissance à Sainte-Gemmes-d’Andigné (Maine-et-Loire)

1979 Première mission en Thaïlande avec Médecins sans frontières

19 octobre 1986 Création de la plate-forme logistique de MSF à Lézignan (Aude)

Septembre 1998 Mise sur pied de la Campagne d’accès aux médicaments essentiels

14 août 2015 Mort au Pouliguen (Loire-Atlantique)

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Cher Jacques,

Tu vas bien nous manquer

Dr. Hélène DEGUI
+ 242 06 681 28 88
+33 6 62 40 29 84

Une proposition à MSF, pour ses prochaines missions qui arrivent, donner le nom de Mission Jacques PINEL suivi du nom de la zone d'intervention.

Bien à tous
José manuel BOUDEY