50 ans après, le fabricant de la thalidomide s'excuse
Par lefigaro.fr - le 01/09/2012
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halidomide-sexcuse
Cette molécule utilisée par les femmes enceintes pour soulager les nausées a
provoqué, à la fin des années 50, la naissance de 10.000 enfants souffrant
de déformations congénitales, notamment en Allemagne.
Un demi-siècle après avoir retiré sa molécule du marché, le laboratoire
allemand Grunenthal présente enfin ses excuses aux familles des enfants
victimes de la thalidomide. Entre 1956 et 1962, 10.000 enfants sont nés dans
le monde avec des jambes ou des bras atrophiés, voire sans membres car leurs
mères, pour soulager les nausées matinales, avaient pris de la thalidomide
durant leur grossesse. 6000 d'entre eux sont toujours vivants.
Vendredi le directeur exécutif de Grunenthal, Harald Stock, a dévoilé une
sculpture en hommage aux victimes. À cette occasion, il s'est dit dans son
discours «vraiment désolé» du mutisme du laboratoire. «Nous demandons que
vous considériez notre silence comme un signe du choc que votre destin nous
a causé. Nous vous demandons pardon de pas avoir su aller vers vous d'être
humain à être humain», a expliqué Harald Stock. «Ce qui s'est passé il y a
50 ans, s'est produit dans un monde très différent que celui que nous
connaissons aujourd'hui», a-t-il poursuivi. «À l'époque, Grünenthal a suivi
les essais cliniques demandés», a assuré Harald Stock. «Nous regrettons que
le potentiel tératogène [susceptible de conduire à une malformation de
l'embryon] de la thalidomide n'ait pas pu être détecté par ces tests». «Nous
voyons bien les souffrances physiques et émotionnelles que vos familles
continuent à endurer aujourd'hui», a-t-il souligné.
Un médicament toujours utilisé aujourd'hui
Mais ce mea culpa a ulcéré les victimes. Freddie Astbury, consultant de
l'association Thalidomide Agency UK, aurait préféré que la firme accompagne
«ses paroles d'un investissement financier». En Grande-Bretagne, où 400
enfants ont été atteints, le distributeur du médicament a mis en place un
fonds mais le laboratoire allemand n'y a pour l'instant pas contribué. Le
quinquagénaire qui est né sans bras ni jambe, doute de la sincérité des
excuses de Grunenthal. Elles interviennent au moment où la firme, qui a des
années durant nié toute responsabilité, fait face à plusieurs procédures en
Australie.
En Allemagne où 4000 enfants ont été touchés, l'Association des victimes
juge le discours de Grunenthal insuffisant. «Si des actes ne suivent pas, il
ne restera de ces excuses qu'une coquille vide et une opération de
communication», fait-on valoir. Dans les années 70, le laboratoire a
provisionné un fonds de 150 millions d'euros mais l'espérance de vie
augmentant, il ne devrait pas suffire. Au Japon, l'acte de contrition a
également déçu. «Le nombre de victimes aurait été plus faible si
l'entreprise avait arrêté la vente du médicament plus tôt», a regretté un
responsable d'un centre d'aide.
Présenté à l'origine comme «un merveilleux sédatif» d'une totale innocuité,
la thalidomide fut commercialisée à partir de 1956. Mais après la découverte
d'effets délétères sur le développement humain, la substance fut interdite
fin 1961 en Allemagne et en Grande-Bretagne. Cependant, elle continua à être
donnée aux femmes enceintes au Canada jusqu'en août 1962, au Japon jusqu'en
septembre 1962 et en Belgique jusqu'en décembre 1962. Les Etats-Unis et la
France ont en revanche été plutôt épargnés, le médicament n'ayant pas été
autorisé aux Etats-Unis tandis que le feu vert ne fut donné en France qu'en
décembre 1961 et remis en cause aussitôt.
Aujourd'hui la thalidomide est de nouveau utilisée de façon très contrôlée
pour ses propriétés originales, en particulier au niveau du système
immunitaire, notamment dans le traitement de la lèpre, du lupus
érythémateux, de la maladie de Crohn et d'une forme rare de cancer de la
moëlle osseuse, le myélome multiple.