Le pharmacien africain en première ligne
Bamako accueille le 6e Forum pharmaceutique international
http://www.afrik.com/article8392.html
vendredi 13 mai 2005, par Olivia Marsaud
Quel est le rôle du pharmacien en Afrique ? A-t-il les moyens de lutter
contre les marchés parallèles de médicaments ? Faut-il encourager les
génériques ? Quelles sont les relations entre la pharmacie et la pharmacopée
traditionnelle ? Autant de question auxquelles répond le Dr Cissé Djita Dem,
présidente de l'Ordre des Pharmaciens du Mali.
En prélude au 6e Forum pharmaceutique international, qui se tiendra à
Bamako, au Mali, du 6 au 9 juin, une conférence de presse a été organisée
jeudi au Centre d'accueil de la presse étrangère (Cape), à Paris. Nous y
avons rencontré le Dr Cissé Djita Dem, la pétillante présidente de l'Ordre
des Pharmaciens du Mali. Cette professionnelle est également présidente du
Comité d'organisation du prochain Forum.
Afrik : Les médicaments sont chers en Afrique...
Dr Cissé Djita Dem : Oui, surtout les spécialités. Lors de la dévaluation
dans la zone CFA, les prix ont quasiment doublé. Pour faire face, les Etats
ont réduit les taxes sur les médicaments de 15 à 5%, ce qui était un gros
effort. Ce sont les laboratoires qui fixent les prix, même pour les
génériques.
Afrik : Justement, encouragez-vous la vente des génériques, ces médicaments
dont les molécules sont tombées dans le domaine public et qui sont fabriqués
par des laboratoires à moindre coût ?
Dr Cissé Djita Dem : Nous sommes obligés de donner une grande place aux
génériques car il faut prendre en compte l'accessibilité financière et
géographique des médicaments. En ce qui concerne l'accessibilité financière,
les pays africains ont mis en place des politiques de médicaments
génériques. C'est très bien, mais il faut, en parallèle, développer certains
volets comme le contrôle de la qualité de ces médicaments. Le principe actif
des médicaments est en règle générale très fragile. Tous les pays doivent se
doter de laboratoires de contrôle performants. Le contrôle des appels d'offres
est aussi important, avec une véritable pré-sélection des industries
pharmaceutiques qui fournissent ces génériques. On ne peut pas recevoir des
produits de n'importe quel laboratoire ! Il ne s'agit pas d'avoir les
médicaments les moins chers. Il faut surtout qu'ils soient de bonne qualité.
Au Mali, il faudrait que les secteurs public, privé et communautaire fassent
des commandes groupées afin d'obtenir les prix les plus compétitifs. Quant à
l'accessibilité géographique, il faut inciter les jeunes pharmaciens à s'installer
dans les régions reculées et améliorer, au niveau des Etats, la distribution
des médicaments.
Afrik : Au Mali, 90 à 95% des besoins en médicaments sont importés. Il n'existe
pas d'unités locales de production ?
Dr Cissé Djita Dem : Il y en a au Gabon ou en Côte d'Ivoire mais c'est
encore peu développé. Au Mali, nous possédons une unité de fabrication de
génériques et une unité de conditionnement. L'Etat malien est aussi en train
de prendre des dispositions en matière d'anti-rétroviraux et il possible que
nous montions une unité de fabrication. Les fonds sont là car le Mali a reçu
des financements.
Afrik : Ce serait une façon de lutter contre le marché parallèle et la
contrefaçon...
Dr Cissé Djita Dem : Le marché illicite des médicaments est un véritable
fléau en Afrique. Sous-tendu par des enjeux économiques très importants, il
pose un vrai problème de santé publique. Nous interpellons nos Etats. Mais
le Mali est un pays très vaste dont les frontières étendues sont
difficilement maîtrisables. Le marché parallèle représente 10 milliards de
FCFA au Mali. Face à la contrefaçon, le pharmacien n'a pas d'arme. C'est à l'Etat
de garantir la sécurité sanitaire des citoyens. Le Président malien a signé
une loi pour lutter contre le marché parallèle et la contrefaçon. Une
structure lutte au niveau de chaque région et l'action décentralisée permet
l'implication de chaque gouverneur. Il y a régulièrement des saisies et
chaque mois une séance de destruction. Les populations, largement
analphabètes, sont mal informées. Par exemple, beaucoup de médicaments sont
moins chers dans les officines qu'au marché mais peu de gens le savent... Il
faut sensibiliser, divulguer la bonne information. Expliquer que la
consommation abusive de médicaments et l'auto-médication sont dangereuses
car elles mènent au développement des souches les plus résistantes des
maladies.
Afrik : Que pensez-vous du recyclage des médicaments du Nord vers le Sud ?
Dr Cissé Djita Dem : Nous ne pouvons pas refuser catégoriquement les dons du
Nord. Malheureusement, les principes établis par nos Etats en ce qui
concerne les dons ne sont pas respectés. Il faut sélectionner les dons. De
nombreux lots arrivent périmés depuis 1, 2, voire 6 mois ! Au lieu de
détruire ces médicaments périmés, le Nord les envoie en Afrique ! Le
Continent est considéré comme une poubelle... Nous avons même demandé cette
année que l'on arrête les dons. Ils doivent être organisés et suivis.
Afrik : Comment l'Ordre des pharmaciens se place par rapport à la médecine
et pharmacopée traditionnelles ?
Dr Cissé Djita Dem : Nous sommes impliqués dans la médecine traditionnelle
et nous y sommes favorables. Nous ne sommes pas opposés aux
tradi-thérapeutes. Il existe d'ailleurs les médicaments traditionnels
améliorés, qui proviennent de plantes identifiées et traitées par des
professionnels.
Afrik : En quoi consiste le Forum pharmaceutique international ?
Dr Cissé Djita Dem : C'est la rencontre annuelle de tous les professionnels
de la santé et du médicament sur le Continent. Il a été instauré en 1998 au
Bénin et depuis, s'est tenu notamment au Cameroun, au Sénégal et au Burkina
Faso, l'année dernière. Cette année le thème retenu est « Le pharmacien,
acteur de santé publique ».
Afrik : C'est-à-dire ?
Dr Cissé Djita Dem : Nous voulons que le pharmacien soit au centre du combat
et du débat. Qu'il travaille dans une officine, un hôpital, un dispensaire
ou une faculté, il joue un rôle social prépondérant. Il est en contact
direct avec les patients et sert d'interface entre le médecin et l'utilisateur.
C'est lui qui stocke et dispense les produits. Il a un rôle dans la lutte
contre le sida, avec la distribution des anti-rétroviraux, dans la lutte
contre le paludisme et dans la lutte contre le marché illicite et la
contrefaçon des médicaments. Nous souhaitons une implication effective des
pharmaciens dans les programmes de santé publique.
Afrik : Qu'attendez-vous de ce 6e Forum ?
Dr Cissé Djita Dem : Bamako sera un nouveau départ. Depuis 6 ans, il n'y a
pas vraiment eu de suivi des résolutions prises chaque année, il va falloir
mettre en place un comité spécial. Jusqu'ici, le Forum ne rassemblait que
les acteurs de la zone francophone. Cette année, nous souhaitons nous ouvrir
aux pays anglophones, lusophones et hispanophones. A Ouagadougou, nous
étions 500 pharmaciens de 27 pays. Cette année, nous serons plus !