1 décembre 2009 - 06:00
Face au Sida, l'Afrique doit produire ses médicaments
http://www.swissinfo.ch/fre/societe/Face_au_Sida_l_Afrique_doit_produire_ses
_medicaments.html?siteSect=601&sid=11561621&ty=st
L'Afrique reste le continent le plus touché par le virus VIH. Directeur
exécutif d'Onusida, Michel Sidibé propose la création d'une agence africaine
des médicaments, prélude au développement d'une industrie pharmaceutique
africaine. Interview à l'occasion de la journée mondiale du Sida.
L'Afrique sub-saharienne, où vit 67% de la population mondiale infectée par
le VIH, continue d'être la région le plus touchée par le Sida, selon le
rapport annuel de l'Onusida, l'agence onusienne spécialisée dans la lutte
contre la pandémie.
Environ 1,9 million d'Africains ont été infectés en 2008, portant le nombre
de personnes vivant avec le virus à 22,4 millions en Afrique sub-saharienne.
L'ampleur de l'épidémie, qui a tendance à se stabiliser dans de nombreux
pays africains, a fait plus de 14 millions d'orphelins dans cette région. Et
quelque 91% des nouvelles infections chez les enfants dans le monde s'y
produisent.
Raison pour laquelle l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande
désormais de commencer plus tôt le traitement antirétroviral chez l'adulte
et l'adolescent, d'administrer des antirétroviraux (ARV) plus longtemps pour
réduire le risque de transmission du VIH de la mère à l'enfant à 5 % ou même
en dessous. Pour la première fois, l'OMS recommande aussi que les mères
VIH-positives et leur enfant prennent des ARV pendant l'allaitement pour
éviter la transmission du VIH.
Comment se fait-il que les progrès de la lutte contre le Sida soient si
faibles en Afrique?
Michel Sidibé : Les progrès ne sont pas si faibles et certains pays ont
réussi à inverser la tendance et maîtriser la progression de l'épidémie.
Cependant, il faut savoir que 70% des malades traités en Afrique dépendent
de l'aide des pays riches pour se soigner. Le continent n'a pas suffisamment
de ressources prévisibles et pérennes. Ainsi, les investissements à long
terme sont limités et les projets atteignent rarement un niveau national.
Mais surtout, on utilise encore le vieux schéma de développement «vertical»
caractérisé par la relation bilatérale entre le gouvernement du pays
donateur et celui du pays récipiendaire. L'aide internationale doit
maintenant se redéfinir au travers de schémas plus horizontaux, avec une
capacité plus importante donnée aux acteurs et aux peuples africains.
Michel Sidibé, directeur exécutif d'Onusida.
Michel Sidibé, directeur exécutif d'Onusida. (ONUSIDA)
Deux tiers des quatre millions de personnes sous traitement dans le monde
vivent en Afrique. Non seulement ils ont difficilement accès aux
médicaments, mais souvent ces derniers sont contrefaits.
M.S. : Le médicament constitue l'un des éléments les plus importants dans la
lutte contre le Sida. Chaque jour où deux personnes démarrent un traitement
antirétroviral, cinq autres sont infectées par le virus. Cela signifie que
le nombre de personnes nécessitant un traitement ne cessera jamais
d'augmenter. Or, les médicaments sont chers et leur efficacité n'est pas
garantie à long terme.
Comme la plupart de ces médicaments ne sont pas produits en Afrique, c'est
l'occasion pour le continent d'évoluer et de développer son industrie
pharmaceutique en saisissant l'occasion de ce nouveau marché pour se
moderniser et retenir ses cadres.
C'est dans cet esprit que vous conseillez la création d'une Agence africaine
des médicaments pour réglementer le secteur.
M.S. : Effectivement, l'Afrique a besoin d'une Agence africaine des
médicaments, à l'image de l'Agence européenne des médicaments, qui
réglemente la coopération pharmaceutique en Europe. Cette création
permettrait un transfert de compétences et de technologie. Elle élèverait le
niveau de qualité des produits fabriqués en Afrique et rendrait plus strict
l'enregistrement de produits importés. Elle renforcerait aussi le contact
entre les Etats-membres qui pourraient créer un observatoire de suivi des
prix des médicaments.
Comment envisagez-vous le financement d'un tel projet?
M.S. : Nous travaillons déjà de façon étroite avec le NEPAD (Nouveau
partenariat pour le développement de l'Afrique) afin de d'élaborer un
business plan.
Le stade suivant serait donc la production de médicaments en Afrique?
M.S. : C'est un marché émergeant de plusieurs milliards qui pourrait être
abordé avec une approche continentale. Dans un premier temps on pourrait
produire des médicaments classés dans le domaine public qui contribueront à
la lutte contre la malaria, la tuberculose et le Sida. Ces démarches
permettraient de protéger la population africaine contre les médicaments
contrefaits et de qualité inacceptable.
Vu les intérêts financiers en jeu, ne pensez-vous pas que l'industrie
pharmaceutique en Suisse et dans les autres pays développés freinera la
démarche?
M.S : La mondialisation ne peut-être exclusive. Si le débat avec les firmes
internationales ne se fait pas, on verra une réaction des pays émergeants
vis-à-vis de l'Afrique.
Actuellement, le Brésil construit une unité industrielle au Mozambique. Une
production à grande échelle de médicaments antirétroviraux utilisés pour
prolonger la vie des personnes affectées par le VIH/Sida, va bientôt
commencer. L'Inde monte une usine en Ouganda pour la production de
génériques.
Catherine Fiankan-Bokonga, InfoSud/swissinfo.ch