Sur le site de la revue Prescrire
http://www.prescrire.org/aLaUne/dossierIAMprincipes2005.php
Face aux risques d'interactions médicamenteuses :
7 principes pour une bonne pratique
Avant d'associer deux médicaments, il faut réfléchir aux risques encourus
par le patient, tout particulièrement quand des effets indésirables liés à
une interaction entre ces deux médicaments ont été décrits.
Le plus souvent, on est confronté au cas d'un traitement médicamenteux déjà
installé, auquel on envisage d'ajouter un autre médicament.
Parfois, on est amené à retirer un médicament d'une association jusque-là
bien supportée. Et ce retrait peut provoquer un déséquilibre posologique
pour le médicament restant. D'autres fois, ce sont deux médicaments
"interactifs" qui sont administrés en même temps.
Pour prévenir les effets indésirables par surdosage, par addition d'effets
indésirables, ou encore par sous-dosage et défaut d'efficacité, de l'un ou
des deux médicaments de l'association, on peut guider sa pratique autour de
7 principes simples, mais fondamentaux.
Principe n° 1
Les conséquences cliniques d'une interaction médicamenteuse sont en rapport
avec les effets cliniques des médicaments impliqués
Les conséquences cliniques d'une interaction médicamenteuse sont en rapport
avec les effets désirés (thérapeutiques) ou indésirables d'un des deux
médicaments concernés, ou des deux. Et cela dans tous les cas : que le
mécanisme soit d'ordre pharmacodynamique (addition d'effets ou antagonisme
d'effets), ou qu'il soit d'ordre pharmacocinétique (augmentation ou
diminution de la présence du médicament dans l'organisme).
L'excès des effets thérapeutiques ou des effets indésirables est la
conséquence la plus fréquente et la plus préoccupante. L'importance des
conséquences cliniques liées à l'introduction d'un médicament aux côtés
d'un médicament déjà installé, est fonction de nombreux facteurs :
l'ampleur de l'interaction prévisible, les conséquences cliniques d'une
augmentation des effets de ces médicaments, la nature de leurs effets
indésirables dose-dépendants, diverses caractéristiques du patient (âge,
pathologies associées, etc.).
Le mécanisme est : soit une addition d'effets thérapeutiques ou
indésirables, communs à chacun des deux médicaments associés, ou
complémentaires (interaction d'ordre pharmacodynamique) ; soit une
augmentation de la présence d'un des médicaments dans l'organisme
(interaction d'ordre pharmacocinétique).
Exemples : l'effet hypoglycémiant de certains médicaments s'ajoute à celui
des sulfamides antidiabétiques, par interaction d'ordre pharmacodynamique.
L'érythromycine diminue l'élimination du disopyramide, par interaction
d'ordre pharmacocinétique, d'où une tendance au surdosage en disopyramide.
Les effets indésirables rénaux s'additionnent lors de l'association d'un
anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) avec un diurétique ou un
inhibiteur de l'enzyme de conversion (IEC).
Les conséquences cliniques d'une perte d'efficacité sont tout autant à
envisager. Les effets indésirables d'une association peuvent être la
conséquence d'une perte d'activité de l'un ou l'autre des médicaments.
L'importance des conséquences cliniques est là encore fonction de nombreux
facteurs : l'ampleur de l'interaction prévisible, les conséquences
cliniques de la perte de l'activité du médicament concerné, la gravité de
la pathologie initialement traitée, diverses caractéristiques du patient
(âge, pathologies associées, etc.).
La résurgence des symptômes initiaux qui ont motivé la prise d'un
médicament doit ainsi faire rechercher l'introduction récente d'un
médicament susceptible de diminuer l'efficacité du traitement en cours.
Le mécanisme est soit un antagonisme d'effets (interaction d'ordre
pharmacodynamique) ; soit une diminution de la présence du médicament dans
l'organisme (interaction d'ordre pharmacocinétique).
Exemples : un médicament inducteur enzymatique diminue l'effet de nombreux
médicaments par interaction d'ordre pharmacocinétique, par exemple un
contraceptif hormonal. Un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) diminue
l'effet d'un antihypertenseur, quel qu'il soit, en raison d'une interaction
d'ordre pharmacodynamique (antagonisme d'effet).
Principe n° 2
Les conséquences cliniques d'une interaction se manifestent non seulement
lors de l'ajout d'un médicament, mais aussi lors de son arrêt
Quand on arrête un médicament qui était à l'origine d'une interaction
d'ordre pharmacocinétique, mais avec lequel on avait su trouver un
équilibre, il faut s'attendre à devoir trouver un nouvel équilibre pour le
médicament restant : diminution de la dose, si on a arrêté un inducteur
enzymatique ; augmentation de la dose, si on a arrêté un inhibiteur
enzymatique.
Exemple : lorsqu'un traitement anticoagulant par antivitamine K est en
cours et équilibré de façon satisfaisante, l'arrêt d'un inducteur
enzymatique associé entraîne une diminution du métabolisme de
l'antivitamine K, son accumulation, son surdosage et un risque hémorragique
augmenté.
Principe n° 3
Pour prévenir les conséquences néfastes des interactions, mieux vaut éviter
les associations à risques
Il est rarement justifié de déséquilibrer un traitement installé
satisfaisant en introduisant un médicament à risques d'interactions. Un
médicament à risques d'interactions peut le plus souvent être remplacé par
un autre médicament à moindres risques d'interactions, et ayant une
activité thérapeutique proche.
Choisir une alternative revient alors à faire un compromis entre les
médicaments les mieux évalués dans une classe et les risques d'interactions.
Exemples : la ranitidine n'est pas moins évaluée que la cimétidine, et elle
expose à moins de risques d'interactions d'ordre pharmacocinétique. Le
dossier d'évaluation de la spiramycine est moins étoffé que celui de
l'érythromycine, mais la spiramycine expose à beaucoup moins d'interactions
d'ordre pharmacocinétique que l'érythromycine.
Principe n° 4
Certaines associations à risques d'interactions sont acceptables, à
condition de pouvoir organiser la gestion des conséquences cliniques
Une association à risques est envisageable à deux conditions.
Il faut tout d'abord s'assurer que l'association est vraiment pertinente
sur le plan thérapeutique, car il n'est pas justifié d'exposer un patient à
des risques d'interactions médicamenteuses si les médicaments utilisés
n'ont pas de bénéfice tangible.
En outre, les conséquences doivent être maîtrisables : symptômes
avant-coureurs de perte d'efficacité ou d'apparition d'un effet indésirable
reconnaissables par le patient informé, ou par le soignant ; et/ou
surveillance possible, surveillance clinique ou biologique, en particulier
dosage de la concentration plasmatique du médicament concerné.
Si le traitement ajouté est un traitement au long cours, il est alors
possible d'adapter les doses du traitement déjà installé ou du traitement
ajouté, de façon à obtenir un nouvel équilibre.
Exemples : l'augmentation de l'effet anticoagulant des antivitamine K est
repérable par la surveillance de l'INR. L'augmentation de l'effet sédatif
d'une benzodiazépine peut être gérée si le patient est prévenu.
Dans les cas où un effet indésirable grave peut survenir inopinément, et
qu'aucune surveillance clinique ou autre ne permet de l'anticiper, il est
préférable de ne pas associer un médicament à risques d'interaction.
Exemple : l'association d'un médicament inducteur enzymatique à une
contraception hormonale expose à une inefficacité contraceptive sans moyen
de surveillance pouvant alerter avant la survenue d'une grossesse ; dans ce
cas, il vaut mieux choisir une contraception insensible à l'interaction, ou
ajouter une contraception complémentaire pendant la période de
l'interaction, ou utiliser un autre traitement non inducteur enzymatique.
Principe n° 5
Certains patients sont plus à risques que d'autres
Le contexte du patient influence la prise en charge des conséquences
cliniques liées à une interaction médicamenteuse : les pathologies
associées, les capacités du patient et de son entourage à prendre en charge
un éventuel effet indésirable, etc.
Exemples : l'apparition d'une somnolence est acceptable dans la mesure où
le patient est informé du risque, et qu'il peut surseoir à des activités
nécessitant une bonne vigilance pendant la période d'adaptation du
traitement (conduite automobile, conduite de machines, plongée sous-marine,
etc.). Le risque d'hypoglycémie peut être géré par un patient diabétique de
type 1 qui a l'habitude de surveiller ses glycémies et de réagir aux
symptômes d'alerte ; il ne peut guère être géré efficacement par un patient
qui ne ressent pas les symptômes, n'a pas l'habitude de surveiller sa
glycémie, etc.
Principe n° 6
La durée de la période à risques n'est pas uniforme
La durée de la période à risques détermine l'importance de la surveillance
du patient.
La durée de la période à risques dépend du mécanisme de l'interaction et
des substances en cause.
Les interactions d'ordre pharmacocinétique par ralentissement de
l'élimination au niveau rénal surviennent, en général, en quelques jours.
La cinétique de la mise en place d'une interaction est par contre de
l'ordre de quelques semaines dans le cas d'un inducteur enzymatique.
La durée de la période à risques dépend aussi de la demi-vie d'élimination
plasmatique du médicament concerné, le délai de stabilisation des
concentrations plasmatiques d'un médicament nouvellement pris étant de
l'ordre de 5 demi-vies.
Exemple : l'amiodarone a une demi-vie d'élimination plasmatique de
plusieurs semaines ; il faudra donc plusieurs mois pour stabiliser l'INR
chez un patient traité par antivitamine K, chez lequel on introduit ou on
arrête l'amiodarone.
Principe n° 7
Les patients doivent être informés
Les patients qui prennent au long cours des médicaments à risques
d'interactions doivent être prévenus et avertis précisément de ces risques.
Leur vigilance est alors la première garantie de prévention : y compris
vis-à-vis des prescriptions par un prescripteur nouveau (urgence, etc.) et
de l'automédication. En cas d'association justifiée mais à risques
d'interactions, les patients sont aussi en première ligne pour surveiller
les signes d'alerte et aider à ajuster les doses.
©La revue Prescrire 1er mars 2005
Rev Prescrire 2005 ; 25 (259 suppl.) : 8-9.