[e-med] Nouveaux boosters des inhibiteurs de protéase : vers la fin d'un monopole ?

Nouveaux boosters des IP : vers la fin d’un monopole ?
Par Hugues Fischer, Act Up-Paris, TRT-5 (Paris) < 01/10/09
http://www.vih.org/20091001/nouveaux-boosters-ip-vers-fin-d-monopole-6015

Depuis les recommandations du groupe d’experts 2002, l’affaire est entendue
: les inhibiteurs de protéase doivent être prescrits avec un «booster»
constitué pour l’essentiel des cas d’une prise concomitante de 100 mg de
ritonavir.

Cet article a été publié dans Transcriptases n°141.

Les révisions successives n’ont rien changé à cela, au contraire, certains
médicaments des nouvelles classes thérapeutiques apparues entre-temps se
servent de la même recette pour améliorer leur biodisponibilité. En
revanche, ce qui pourrait changer le paysage, c’est l’apparition sur le
marché de nouveaux boosters, peut-être plus adaptés à cette fonction mais à
coup sûr, perturbateurs du monopole acquis par le ritonavir depuis bientôt
dix ans.

La toute première antiprotéase utilisée en France en 1996 fut le ritonavir.
Hormis le succès indéniable de ce composant essentiel des premières
trithérapies, il a aussi laissé le souvenir de nombreux inconvénients. Six
grosses gélules en trois prises par jour, conservées au réfrigérateur, d’un
goût exécrable, perturbateur de la digestion, il est aussi accompagné d’une
liste gigantesque de médicaments contre-indiqués. C’est que le produit a un
inconvénient majeur. Il perturbe un des mécanismes les plus classiques de
dégradation des médicaments : le cytochrome P450. Cette famille d’enzymes
produites par le foie dégrade nombre de molécules absorbées afin de
faciliter leur élimination. Or, le ritonavir a deux effets sur un des
membres de cette famille, le CYP450-3A. D’une part, il favorise la
production de cet enzyme et d’autre part il l’accapare plus longtemps qu’il
ne faut. La conséquence est que d’autres molécules métabolisées normalement
par la même voie sont éliminées plus lentement.
Le ritonavir en «baby dose»

Toujours en 1996, d’autres inhibiteurs de protéase voient le jour. Parmi
ceux-là, l’indinavir et le saquinavir, plus supportables, prennent assez
vite le relais dans les prescriptions. Mais le saquinavir a un inconvénient
majeur : il est éliminé très rapidement et nécessite des prises fréquentes
pour que sa concentration dans le sang lui assure une efficacité sans
faille. Avec l’habitude des combinaisons d’antirétroviraux, l’idée est née
dans l’esprit de quelques cliniciens français de tester l’association de ces
nouvelles antiprotéases, en ajoutant au saquinavir une «baby dose» de
ritonavir pour profiter de l’effet sur le cytochrome et ralentir ainsi
l’élimination de la première molécule.

Ça marche si bien qu’on va essayer sur les autres, l’indinavir et plus tard,
l’amprenavir. Après l’euphorie de l’arrivée des premières trithérapies,
l’inquiétude est revenue. Pour assurer leur succès, il faut absolument que
la concentration de médicament dans le sang soit toujours au-dessus du seuil
d’efficacité. Mais à ce moment de l’histoire, le nombre de gélules et de
prises doit être important pour permettre au traitement d’éviter tout risque
d’apparition de résistances.

L’intérêt d’ajouter cette dose de ritonavir vient à point apporter une
solution : elle permet de réduire le nombre de prises et de donner un peu de
souplesse et de sécurité aux malades qui ne sont pas toujours réglés comme
des horloges dans la vie de tous les jours. Le procédé tend à se généraliser
lorsque Abbott développe, en 1999, Kaletra. Cette antiprotéase, le
lopinavir, a de meilleures performances pharmacologiques lorsqu’elle est
administrée avec sa dose «booster» de ritonavir. Comme Abbott est le
fabricant des deux composés, il les met dans la même gélule, Kaletra. Ainsi,
le ritonavir, dont plus personne ne veut comme antiprotéase, devient un
incontournable booster des autres inhibiteurs de sa classe : c’est le début
d’un monopole.

Mais en 2004, la firme de Chicago qui craint de voir son produit réduit à la
commercialisation de baby doses, décide de multiplier par cinq son prix aux
Etats-Unis où le prix des médicaments est libre. Grâce à cette augmentation,
le prix de l’association d’une antiprotéase avec une dose de ritonavir comme
booster devient plus cher que Kaletra. Face à la levée de boucliers, le
laboratoire concède la promesse de sortir en 2005 une nouvelle formulation
ne nécessitant pas de réfrigération. Les esprits se calment mais la promesse
se fera longtemps attendre.
La fin du monopole a-t-elle sonné ?

Nous sommes cinq ans plus tard. Le paysage des antirétroviraux a évolué et,
avec lui, celui des firmes présentes sur ce marché. De nouvelles
antiprotéases sont apparues, moins toxiques, plus puissantes, mais toujours
boostées. De nouvelles classes thérapeutiques ont surgi et parmi les
molécules, certaines ne sont capables de limiter leur nombre de prises
qu’avec l’utilisation d’un booster. Mais pour la première fois, la place
d’unique booster du ritonavir est menacée. Lors d’une session de
pharmacologie de la XVIe CROI, à Montréal, deux molécules candidates à ce
rôle de booster ont été présentées. La première est proposée par une firme
maintenant bien établie dans le domaine du VIH, Gilead, l’autre est issue
d’une société américaine, Sequoia Pharmaceuticals. Leurs produits,
respectivement GS-9350 et SPI-452, pourraient bien ébranler la situation de
monopole détenue par Abbott avec le ­ritonavir.

Pour Gilead, l’intérêt de développer un tel produit est évident : le
laboratoire est en pleine étude du deuxième inhibiteur d’intégrase,
l’elvitegravir, qui, contrairement au premier de la série, semble nécessiter
un petit coup de booster pour lui assurer la biodisponibilité attendue.
Alors, plutôt que de compter une fois de plus sur le classique ritonavir, la
firme a décidé de lancer ses investisseurs dans la bataille des boosters.
Elle annonce d’ailleurs clairement la couleur et sa communication ne laisse
aucun doute sur l’intérêt potentiel de ce développement : obtenir un
inhibiteur du cytochrome P450-3A qui n’a pas d’activité anti-VIH, qui se
présente en formulation stable et qui ne provoque pas de troubles
métaboliques comme ceux causés par l’utilisation chronique du ­ritonavir.

Les données présentées à la CROI 2009 montrent que le GS-9350 est un
inhibiteur du cytochrome plus puissant que le ritonavir. Il ne présente que
très peu d’effets sur les adipocytes même à dose élevée et ne perturbe pas
les mécanismes d’absorption du glucose. C’est un produit facilement soluble.
La preuve de son activité de booster a été cliniquement montrée par des
essais réalisés en 2008 sur des volontaires non infectés par le VIH dont il
ressort une très bonne tolérance du produit mais également un bon profil de
distribution dans l’organisme.

C’est pourquoi le laboratoire organise deux essais de phase II chez des
personnes séropositives au VIH naïves de traitement. Dans un de ces essais,
il est prévu de comparer la combinaison en un seul comprimé Atripla
(efavirenz+emtricitabine+tenofovir) à une formulation regroupant quatre
molécules. L’emtricitabine et le tenofovir y seront associés à
l’elvitegravir et son booster, le GS-9350. Mais Gilead ne s’arrête pas là.
Il prévoit aussi de développer des formulations pédiatriques et également de
proposer à d’autres laboratoires de s’associer pour réaliser des
formulations combinées.
Criblage de molécules

C’est par criblage de molécules que les chercheurs de Sequoia
Pharmaceuticals ont isolé leur composé, le SPI-452, un autre candidat
capable de détrôner le ritonavir de son monopole de booster universel. Après
les études en laboratoire et chez l’animal, deux études cliniques de phase I
menées chez des volontaires sains indiquent une bonne tolérance du produit.
Ne présentant pas jusque-là d’effet sur les triglycérides ou le
LDL-cholestérol, le produit améliore significativement la biodisponibilité
de l’atazanavir, du darunavir et du saquinavir. Cependant, sa faible
solubilité risque de compliquer sa formulation. Il s’agit néanmoins d’un
produit suffisamment prometteur pour poursuivre la recherche clinique.

Certes, il reste encore quelques étapes de développement avant de savoir
quels seront les boosters de demain. Mais les essais actuellement en cours
ne permettront pas forcément à leurs promoteurs de proposer leur produit
comme booster universel. En effet, ce qui a permis l’utilisation du
ritonavir comme booster, ce sont les nombreux essais cliniques menés dans le
cadre du développement des différents médicaments qui le requièrent
aujourd’hui. Le ritonavir a toujours une AMM permettant son utilisation
comme antiprotéase alors que plus personne ne l’utilise comme tel.
Cependant, ces annonces ont coïncidé avec la communication par Abbott,
quinze jours avant la CROI, de la sortie imminente de la nouvelle
formulation du ritonavir ne nécessitant plus de réfrigération.