[e-med] Point sur les antiprotéases

Les antiprotéases, Par Didier Rodde, pharmacologue, Le quotidien du médecin, 5 octobre 2006,
http://www.sidanet.asso.fr/webapps/komplete/index.php?KTURL=mod_quotimed.html&page=70

Alors que le premier cas de sida est identifié en France en 1981, et que le virus est caractérisé dés 1983, le premier antirétroviral efficace, la zidovudine, n'est utilisée qu'en 1987. D'autres produits vont suivre, comme la ddI, la ddC, la 3TC et la d4T ; mais l'évolution de la maladie demeure rapide et la mortalité élevée. En 1996, tout change avec l'arrivée du premier inhibiteur d'antiprotéase (IP), le ritonavir (Norvir) - qui sera rapidement suivi d'autres - permettant de mettre en œuvre le concept de trithérapie qui a eu le succès que l'on sait. Dès lors, les courbes des maladies opportunistes et de la mortalité, jusque-là dramatiquement inexorables, volent en éclats.

Les antiprotéases ont révolutionné la prise en charge thérapeutique du sida

Les principaux médicaments
Les antiprotéases commercialisées en France sont actuellement au nombre de 8.

Elles sont utilisées sous la forme d'associations potentialisées par une petite dose de ritonavir (en général 100 mg deux fois par jour), permettant une diminution des doses administrées de l'inhibiteur de protéase principal.
Par ordre alphabétique, il s'agit de l'atazanavir - Reyataz, l'indinavir - Crixivan, le fosamprénavir - Telzir (prodrogue de l'amprénavir - Agénérase), le lopinavir - Kaletra, le nelfinavir - Viracept, le ritonavir - Norvir, le saquinavir - Invirase/Fortase et du tipranavir - Aptivus.
Mécanisme d'action
Les inhibiteurs de protéase agissent au niveau de l'assemblage des protéines virales nouvellement synthétisées en bloquant l'action de cette enzyme clé intervenant dans la maturation des virions.
Les virus ainsi formés étant défectifs, ils sont incapables d'infecter de nouvelles cellules et sont éliminés de l'organisme.
Son rôle est de découper en neuf sites très précis les polyprotéines virales produites à la fin du cycle de réplication.
Les IP sont tous actifs tant sur le VIH1 que sur le VIH2, et, contrairement aux inhibiteurs de la transcriptase inverse, sont directement actifs sans transformation métabolique, autrement dit sans la nécessité de subir des étapes de phosphorylation intracellulaire.
Dans quelles situations cliniques ?
Il est fondamental d'avoir toujours présent à l'esprit que l'objectif principal du traitement antirétroviral est de diminuer la morbidité et la mortalité de l'infection par le VIH en faisant en sorte de restaurer un nombre de lymphocytes CD4 supérieur à 500/mm3.
Cet objectif ne peut être atteint qu'en parvenant à réduire au maximum l'intensité de la réplication du virus.
En 2006, on considère qu'un premier traitement doit avoir pour objectif de rendre indétectable la charge virale en six mois, soit sous la barre des 50 copies ARN/ml. A un mois, la charge virale plasmatique doit avoir baissé d'au moins 1 log ARN VIH/ml et de 2 log (et/ou être inférieure à 400 copies/ml) au bout de trois mois.
L'échec est le plus souvent en rapport avec une mauvaise observance, un sous-dosage (intérêt du dosage plasmatique des IP) ou encore d'interactions médicamenteuses.

A titre indicatif, signalons que les recommandations actuelles impliquent, pour un premier traitement, une trithérapie faisant appel à l'un des schémas suivants :
- 2 inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (IntiI) 1 inhibiteur de protéase (IP) ;
- 2 Inti 1 inhibiteur non nuclésodique de la transcriptase inverse (Innti) ;
- 3 Inti.

Posologies recommandées et plans de prise
Reyataz (atazanavir) Norvir (ritonavir) : 300 mg 100 mg, une fois par jour (au cours d'un repas ou peu après).
Crixivan (indinavir) Norvir (ritonavir) : 400 mg 100 mg, deux fois par jour (à jeun avec de l'eau sauf en cas de prise avec du ritonavir, boire au moins 1,5 l d'eau par jour pour écarter le risque de calculs rénaux).
Telzir (fosamprénivir) Norvir (ritonavir) : 700 mg 100 mg, deux fois par jour.
Kaletra (lopinavir 133 mg ritonavir 33 mg : trois capsules, deux fois par jour.
Viracept (nelfinavir) : 1 250 mg, deux fois par jour (à prendre obligatoirement au cours des repas).
Invirase (saquinavir) Norvir (ritonavir) : 1000 mg 100 mg, deux fois par jour (à prendre dans les deux heures qui suivent un repas copieux).
Aptivus (tipranavir) Norvir (ritonavir) : 500 mg 200 mg, deux fois par jour (au cours d'un repas ou peu après).
Le Norvir (ritonavir) pris à faible dose comme « booster » d'une autre IP sera absorbé pendant le repas ou peu après.
Quelques cas particuliers
La grossesse.

La perspective d'une grossesse doit être évoquée afin de discuter des risques et des contraintes de suivi d'une grossesse, selon qu'elle est débutée avant ou après la mise sous antirétroviraux et dans la perspective du choix d'un traitement contre le VIH minimisant les risques d'embryo-fœtotoxicité.
L'allaitement est contre-indiqué, ne serait-ce qu'en raison de l'infection VIH elle-même.
Les IP sont incriminés dans les résistances à l'insuline et la révélation ou l'exacerbation d'un diabète. Une surveillance attentive de la glycémie est donc impérative chez une séropositive enceinte recevant des IP.

Les personnes âgées.
Ces patients peuvent bénéficier de ces médicaments, sous réserve de la prise en compte d'une éventuelle insuffisance rénale.
Insuffisance rénale et hépatique.
La plus grande prudence s'impose.

Les résistances.

La variabilité du VIH est très grande, liée à la fois à l'intensité de la réplication virale et aux erreurs réalisées par la transcriptase inverse (taux d'erreur moyen : 1 nucléotide par génome - celui du virus en comportant 9 600 - et par cycle de réplication)lorsqu'elle recopie l'ARN génomique en ADN viral.
La résistance aux IP est un phénomène progressif et cumulatif.
Vigilance requise !
Contre-indications absolues.
Outre l'hypersensibilité au produit, contre-indication d'ordre général quel que soit le médicament, les autres contre-indications varient sensiblement d'une molécule à l'autre :
• amprénavir et fosamprénavir : inducteurs et substrats du cytochrome CYP3A4, médicaments à effet antabuse (disulfiram, métronidazole...) ;
• atazanavir et saquinavir : insuffisance hépatique modérée à sévère, association à la rifampicine, le millepertuis et d'une manière générale les substrats du cytochrome CYP3A4 ayant un indice thérapeutique étroit ;
• indinavir : boissons alcalines, certaines associations (rifampicine, cisapride, ergotamine, tadalafil) ;
• lopinavir : insuffisance hépatique sévère, association aux inducteurs ou substrats du cytochrome CYP3A4 ;
• nelfinavir : rifampicine, cisapride, ergotamine ;
• ritonavir : insuffisance hépatique sévère, certains médicaments métabolisés par les cytochrome P450, produits à effet antabuse ;
• tipranavir : inducteurs du CYP3A (rifampicine, millepertuis), substrats du CYP3A à marge thérapeutique étroite (amiodarone, astémizole, bépridil, ergotamine, flécaïnide, midazolam, propafénone, quinidine, terfénadine, triazolam)...
Il est prudent d'éviter l'association avec des médicaments hépatotoxiques et se méfier (sous réserve de vérifications documentaires) des inhibiteurs des cytochromes P450 (macrolides, azolés, cimétidine, jus de pamplemousse concentré).

Contraception.

Certains IP peuvent induire une augmentation de la concentration plasmatique en éthinylestradiol et donc des problèmes de tolérance. Une contraception mécanique (préservatif) peut être recommandée.
Surveillance biologique.
Selon le cas, on surveillera la fonction hépatique et notamment les transaminases, la toxicité hématologique, la CPK, la fonction rénale, la glycémie, les lipides sanguins.

Les effets indésirables qui doivent alerter.

Les effets indésirables sont relativement nombreux et diffèrent d'une molécule à l'autre, même si les troubles digestifs sont souvent au premier rang, la diarrhée surtout, mais aussi les nausées, les douleurs abdominales et les flatulences. Le plus souvent, ils ne nécessitent pas de changement de traitement antirétroviral, mais un traitement symptomatique (lopéramide à faible dose).
Voici les principaux :
- atanazavir : hyperbilirubinémie non conjuguée, troubles digestifs ;
- indinavir : critallisation d'un métabolite (coliques néphrétiques, lithiase rénale), effet « rétinoïde-like » (sécheresse cutanée - xérodermie, ongles incarnés) ;
- fosamprénavir : risque de rash, troubles digestifs d'intensité modérée ;
- lopinavir : troubles digestifs fréquents, lipodystrophies, hypertriglycéridémie ;
- nelfinavir : diarrhée fréquente (nécessité impérieuse de prises au cours des repas), éruptions cutanées ;
- saquinavir : troubles digestifs, lipodystrophies, dyslipidémie ;
- tipranavir : troubles digestifs, lipodystrophie, dyslipidémie, hyperglycémie, cytolyse hépatique ;
- ritonavir : utilisé en monothérapie à pleine dose (ce qui n'est plus le cas), celui-ci provoque des troubles digestifs (diarrhée, nausées vomissements, anorexie, altération du goût, dyspepsie...), des neuropathies périphériques sensitives, des paresthésies péribuccales, une vasodilatation, une asthénie, une intolérance au glucose, une hypertriglycéridémie, une hypercholestérolémie...
Les lipodystrophies : les lipoatrophies et/ou lipohypertrophies correspondent à des troubles de la répartition des graisses, associant une perte du tissu adipeux sous-cutané au niveau des jambes, des fesses, des bras et du visage, à une prise de masse grasse au niveau du tronc, avec augmentation du tour de taille, des seins (adipomastie, pouvant aller jusqu'à une gynécomastie) - aussi bien chez l'homme que chez la femme -, avec parfois la survenue d'une « bosse de bison » au niveau de la nuque.
Les causes sont différentes selon les types de médicaments : les inhibibiteurs nucléosidiques induisent une toxicité mitochondriale avec apoptose très augmentée et disparition des adipocytes, tandis que les antiprotéases provoquent un trouble de la différenciation adipocytaire par blocage de la transformation préadipocyte-adipocyte.
La prévalence des lipodystrophies serait de l'ordre de 50 à 60 % après un ou deux ans de traitement antirétroviral associant des IP.

Les interactions médicamenteuses.

Les interactions médicamenteuses entre antirétroviraux, d'une part, et antirétroviraux et autres médicaments, d'autre part, sont nombreuses et complexes. Il convient d'en tenir compte et d'adapter les doses, sous couvert de dosages plasmatiques. Sans pouvoir être ici exhaustif, nous ne pouvons que fortement conseiller le recours aux documents de référence.
D'une manière générale, la plus grande prudence s'impose, quelle que soit l'association envisagée impliquant des inhibiteurs de protéase. C'est ainsi que, dans certains cas, de simples anti-acides et les anti-H2 en vente libre (notamment la cimétidine) ne doivent pas être associés aux IP.
Le phénomène qui domine les interactions médicamenteuses des IP est représenté par les interactions avec les cytochromes P450 ; qu'il s'agisse soit des IP elles-mêmes, soit des médicaments associés, qu'il s'agisse de substrats (ce que sont tous les IP) ou d'effets d'induction.
Le résultat peut en être une potentialisation ou une diminution des effets thérapeutiques ou encore une augmentation des effets indésirables.

Autres prescriptions pour le même type d'indication

La thérapeutique spécifique de l'infection VIH implique à l'heure actuelle l'utilisation systématique d'associations d'antirétroviraux - classiquement une trithérapie -, selon de nombreux types de combinaisons prenant en compte la sensibilité, la tolérance et la simplicité des prises.
L'arsenal comprend actuellement, en dehors des antiprotéases, les inhibiteurs de la transcriptase inverse nucléosidiques (abacavir - Ziagen, emtricitabine - Emtriva, didanosine - Videx, lamivudine - Epivir, stavudine - Zérit, zidovudine - Rétrovir), non nucléosidiques (efavirenz - Sustiva, névirapine - Viramune) ou nucléotidiques (ténofovir - Viread), ainsi que les inhibiteurs de fusion (enfuvirtide - Fuzeon).
Didier RODDE 05-Oct-2006