[e-med] Pilules de 3e et 4e génération : la surveillance des médicaments à nouveau prise en défaut (France)

Pilules de 3e et 4e génération : la surveillance des médicaments à nouveau
prise en défaut
LE MONDE | 10.01.2013 à 11h23 € Mis à jour le 10.01.2013 à 16h44Par Paul
Benkimoun et Sandrine Cabut
http://www.lemonde.fr/sante/article/2013/01/10/la-surveillance-des-medicame
nts-a-nouveau-prise-en-defaut_1814859_1651302.html

L'onde de choc s'étend. Après les plaintes déposées par des patientes aux
Etats-Unis et en France, la Fédération des médecins de France a annoncé,
mercredi 9 janvier, qu'elle se retournait contre l'Agence nationale de
sécurité du médicament (ANSM) à propos des pilules de 3e génération.
"L'objet de cette plainte est d'obtenir le retrait d'autorisation de mise
sur le marché (AMM) de ces pilules", indique le syndicat.Selon Le
Parisien, la ministre de la santé, Marisol Touraine, s'apprêterait à
demander aux autorités européennes de réexaminer l'AMM d'une quarantaine
d'oestroprogestatifs. Après l'affaire du Mediator
<http://www.lemonde.fr/mediator/&gt; et malgré une loi adoptée en décembre
2011, ces remous autour des risques des pilules de 3e et de 4egénération
révèlent à nouveau les ratés de la surveillance de la sécurité des
médicaments.

Sollicitée, l'ANSM n'a pas accepté de fournir au Monde les données de
pharmacovigilance sur les pilules de 3e et 4e génération. Selon les
informations que nous nous sommes procurées, l'agence aurait reçu en tout
et pour tout la notification de 133 accidents thromboemboliques et de 122
accidents vasculaires cérébraux (AVC) pour l'ensemble de ces pilules
pourtant prises par 2,5 millions de femmes en 2012. Un total si bas qu'il
ne fait aucun doute que le système de pharmacovigilance est loin de
l'exhaustivité.

Le système d'alerte actuel est en effet inopérant. La sous-notification
des effets indésirables des médicaments est déjà courante. Elle l'est
d'autant plus quand il s'agit d'accidents connus et mentionnés dans les
notices officielles, comme c'est le cas pour les thrombo-phlébites sous
pilules. C'est ainsi que les accidents graves voire mortels avec celles de
3e et 4e génération, révélés notamment par Le Monde, n'avaient fait
l'objet d'aucune notification à l'ANSM.

PAS DE REGISTRE NATIONAL
Soit délibérément, soit par ignorance, nombre de médecins prescripteurs
n'ont pas respecté les recommandations, formulées en 2007 par la Haute
Autorité de santé (HAS), de ne pas opter pour les oestroprogestatifs de 3e
et 4e génération comme première contraception. De ce fait, ils n'ont sans
doute pas été enclins à signaler des accidents susceptibles d'être liés à
leur prescription. De plus, beaucoup de patients ignorent qu'ils peuvent
désormais signaler eux-mêmes des effets indésirables directement à l'ANSM
au moyen d'un formulaire téléchargeable.

Cette pharmacovigilance classique doit-elle être complétée par des
systèmes d'alerte plus sensibles ? "Dans tous les pays, les déclarations
de cas n'ont aucune valeur pour quantifier précisément les risques
thromboemboliques chez les utilisatrices de pilules, estime le docteur
Oejvind Lidegaard, principal auteur des études sur le sujet au Danemark.
En revanche, le système de registre danois, qui enregistre tous les
événements médicaux, est très approprié pour une telle surveillance."

En France, il n'existe de registre national ni pour les phlébites ni pour
les AVC. Un registre dijonnais collecte en revanche de façon exhaustive
tous les cas d'AVC dans cette ville de 150 000 habitants depuis 1985.
"Nous observons une augmentation continue des infarctus cérébraux chez les
moins de 50 ans alors que l'incidence reste stable chez les plus âgés",
indique le Dr Yannick Bejot, son directeur scientifique.

Cette affaire confirme les dysfonctionnements du dispositif français de
régulation du médicament, avec un hiatus persistant entre l'ANSM et la
HAS. La seconde, qui abrite la commission de la transparence chargée
d'évaluer l'intérêt médico-économique des médicaments, a adopté dans ce
dossier une attitude nettement plus stricte que la première, chargée de
l'AMM et de la pharmacovigilance.
En 2002, la commission de la transparence (CT) à l'époque rattachée à
l'agence du médicament, rend un avis sur les pilules de 3e génération :
elles ne sont pas plus efficaces que les précédentes et le risque
thromboembolique veineux est multiplié par 1,5 à 2. L'avis est cependant
favorable au remboursement, non sans demander aux firmes de fournir les
données permettant "d'évaluer la tolérance des oestroprogestatifs de 3e
génération versus ceux de 2e génération."

BILAN RÉTROSPECTIF
Lors d'un nouvel examen en octobre 2007, la CT souligne que "ces données
n'ont jamais été fournies." Elle confirme l'excès de risque des pilules de
3e génération et estime qu'elles ne peuvent être recommandées comme
première contraception. En juin 2012, sur la base des nouvelles données
disponibles, la CT fait un pas de plus : il n'est même plus possible de
positionner ces pilules en seconde intention. Faisant jouer son seul
levier d'action, cette commission indépendante rétrograde à"insuffisant"
l'intérêt médical de ces contraceptifs et recommande de supprimer les
remboursements obtenus en 2009.

Il faudra attendre le 1er octobre 2012 pour que l'ANSM mette en ligne un
"Point d'information" recommandant clairement la prescription de pilules
de 2e génération en première intention. Ce document ne sera adressé aux
prescripteurs que fin décembre, alors que les médias se sont déjà saisis
de l'affaire.

L'Europe est aussi en première ligne puisque ces pilules ont pour la
plupart fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché accordée par
l'Agence européenne du médicament (EMA). L'EMA a analysé les d'alerte dès
1995, mais n'a jamais remis en cause les AMM, considérant que le risque
thromboembolique avec les pilules de 3e génération demeurait rare.

En mai 2011, après l'examen de nouvelles données sur les pilules de
4egénération (contenant le progestatif drospirénone), issues d'études
qu'elle avait réclamées, l'EMA considère que les risques thromboemboliques
veineux sont équivalents à ceux des pilules de 3e génération. Elle demande
que cela soit mentionné dans les documents d'information des produits. Une
réponse largement insuffisante, selon certains experts. Une téléconférence
de la commission de pharmacovigilance de l'EMA sur les pilules de 3e et 4e
génération a été organisée mercredi 9 janvier.

Reste la question de l'ampleur des accidents graves imputables aux
dernières générations de pilules qui auraient pu être évitées par la
prescription de contraceptifs de 2e génération. Un bilan rétrospectif qui
comme dans le cas du Mediator risque de nourrir la polémique. Depuis les
premières alertes de 1995, aucun des 31 centres régionaux de
pharmacovigilance français n'a jamais été missionné par l'agence du
médicament pour une enquête prospective, confie auMonde le responsable de
l'un d'entre eux.

Lire en édition abonnés l'enquête de Pascale Krémer : Pilule : enquête sur
ces médecins liés aux laboratoires
<http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/01/10/pilule-enquete-sur-ces-me
decins-lies-aux-laboratoires_1814864_3224.html>

Paul Benkimoun et Sandrine Cabut