[e-med] Santé publique, innovation et droits de propriété intellectuelle

Santé publique, innovation et droits de propriété intellectuelle
Rapport de la Commission sur les Droits de la Propriété intellectuelle, l'Innovation
et la Santé publique
Avril 2006
http://www.who.int/intellectualproperty/documents/thereport/CIPIH_Rapport_Avrilfr.pdf

PREFACE

Dans le contexte du débat international sur le lien entre les droits de
propriété
intellectuelle, l'innovation et la santé publique qui se déroule dans les
organisations
internationales et plus généralement entre les gouvernements et les
organisations de la
société civile, l'Assemblée mondiale de la Santé a décidé en mai 2003 de
charger une
commission indépendante de cet important dossier.

L'OMS a estimé qu'elle était tenue, au regard de sa mission, d'assumer un
rôle dans le
cadre de ce débat afin de préciser comment les droits de propriété
intellectuelle sont
susceptibles d'affecter la santé publique. Les gouvernements des pays du
Nord et du
Sud, les firmes pharmaceutiques, les scientifiques et les autres parties
intéressées
devaient envisager les meilleures façons de réagir aux maladies qui touchent
de façon
disproportionnée les pays en développement et rechercher des solutions.

Le mandat que nous avons reçu indiquait clairement que notre enquête devrait
porter
avant tout sur la mise au point de nouveaux produits diagnostiques, vaccins
et
médicaments pour traiter ces maladies. Mais nous avons rapidement conclu que
l'innovation était vaine en l'absence de conditions favorables permettant
aux pauvres
dans les pays en développement d'avoir accès aux produits existants ainsi qu'à
de
nouveaux produits. Le prix des médicaments est un important déterminant de l'accès,
mais la pauvreté et l'absence d'infrastructures pour la diffusion des soins
de santé aux
pauvres sont d'autres facteurs importants. Nous ne devons pas seulement nous
préoccuper des maladies négligées mais aussi et surtout des populations
négligées.

Le débat international a renforcé la prise de conscience et produit des
résultats très
positifs. De nombreuses parties intéressées ont relevé le défi de la
promotion de
nouvelles activités de recherche et développement (R&D) correspondant aux
besoins
des pays en développement. De nouveaux partenariats ont été formés et des
initiatives
prises pour créer de nouveaux produits pour les pays en développement et
promouvoir
leur diffusion.

A cette fin, des ressources ont été mobilisées auprès de fondations
bénévoles sur une
échelle sans précédent. Les gouvernements ont également contribué au
financement de
la R&D et, comme ils ne l'avaient jamais fait auparavant, à l'achat de
vaccins et de
médicaments destinés au traitement de maladies prévalentes dans les pays en
développement. Les organisations non gouvernementales ont joué un rôle
important
pour maintenir l'élan par leurs propres programmes de terrain et par la
sensibilisation
aux problèmes des malades dans les pays en développement. L'industrie a créé
de
nouveaux programmes de R&D consacrés aux besoins spécifiques des pays en
développement. Les partenariats entre le secteur privé et le secteur public
pour la mise
au point de produits constituent la manifestation la plus visible de la
collaboration entre
les différents partenaires pour promouvoir des activités de recherche et
développement
en rapport avec les maladies qui affectent avant tout les pays en
développement. Tout
cela est à l'origine d'une véritable dynamique du changement, mais on aurait
bien tort
de croire que l'effort est suffisant ou qu'il est en rapport avec l'ampleur
des souffrances
à soulager.

C'est dans cette situation que notre Commission a abordé sa tâche -
encouragée par le
fait que tant de groupes étaient prêts à agir pour améliorer le sort de tous
ceux qui, dans
les pays en développement, souffrent de maladies qu'il est possible d'éviter
et de
soigner. Cela dit, nous avons constaté non seulement les grandes
possibilités offertes
par les percées scientifiques récentes et en cours, mais aussi la difficulté
d'en tirer des
produits concrets et de diffuser ces produits de façon à en faire profiter
les pauvres. Il
s'agit de combler le fossé entre les possibilités offertes par la science et
le manque de
moyens actuels et c'est cet effort qui anime notre rapport.

Quelle valeur pouvons-nous ajouter à ce débat du point de vue de la santé
publique ?
Nous avons pensé qu'il était nécessaire de considérer un tableau plus large.
Même si
notre mandat se référait principalement aux droits de propriété
intellectuelle, nous avons
dû examiner beaucoup d'autres facteurs qui contribuent à l'amélioration de
la santé
publique dans les pays en développement. Nous avons replacé la question dans
un
contexte plus large, en nous préoccupant, par exemple, de la réglementation
et de
questions comme l'importance de l'engagement politique à promouvoir l'accès
aux
nouveaux produits et aux produits existants aussi bien dans les pays
développés que
dans les pays en développement. Nous avons analysé la complexité des
problèmes
scientifiques de l'innovation biomédicale et recherché pourquoi, malgré un
effort accru,
la R&D n'a pas encore produit les résultats escomptés ou attendus pour les
populations
des pays en développement.

Les droits de propriété intellectuelle sont importants mais ils représentent
un moyen et
non une fin en soi. Leur pertinence dans le dossier de la promotion de l'innovation
nécessaire dépend du contexte et de la situation. Nous savons qu'ils sont
considérés
comme une incitation nécessaire dans les pays développés disposant d'une
bonne
infrastructure technologique et scientifique et d'un marché pour les
nouveaux produits
de soins de santé. Mais ils ne sont pas capables de stimuler véritablement l'innovation
en l'absence d'un marché lucratif pour les produits de l'innovation, une
situation qui
peut clairement se présenter dans le cas des produits principalement
destinés aux
marchés des pays en développement. Les effets des droits de propriété
intellectuelle sur
l'innovation peuvent aussi varier selon les phases successives d'un cycle d'innovation
- de la recherche fondamentale jusqu'à la mise au point d'un nouveau
médicament ou
vaccin. Nous avons envisagé les répercussions de l'Accord sur les ADPIC, les
flexibilités de l'Accord sur les ADPIC confirmées par la Déclaration de Doha
et les
effets des accords commerciaux bilatéraux et régionaux susceptibles d'affecter
les
objectifs de la santé publique.

S'il existe un cycle d'innovation dans les pays développés qui permet de
fournir les
soins de santé dont la population a besoin, c'est loin d'être le cas dans
les pays en
développement, en particulier pour les besoins des pauvres. Notre tâche a
été
d'envisager comment aborder ce problème.

Au cours des phases successives du cycle de l'innovation - de la recherche
fondamentale à la découverte, à la mise au point et à la diffusion de
nouveaux produits -,
il a fallu tenir compte de la multiplicité des mécanismes financiers et des
autres
incitations, ainsi que des complexités scientifiques et institutionnelles de
l'innovation
biomédicale. A chaque phase, les droits de propriété intellectuelle peuvent
jouer un rôle
plus ou moins important permettant de faciliter le cycle de l'innovation. D'autres
incitations et mécanismes financiers permettant de favoriser la recherche et
la mise au
point de nouveaux produits sont également nécessaires de même que des
mesures
complémentaires permettant de promouvoir l'accès.

Malgré les progrès accomplis au cours des dix dernières années, illustrés
par la
formation de nombreux nouveaux partenariats public-privé et l'accroissement
considérable du financement par les fondations et les gouvernements, la base
reste
fragile pour la poursuite des progrès concernant la mise au point de
nouveaux produits
dont les pays en développement ont besoin. Pour garantir des progrès
durables et des
médicaments, des vaccins et des produits diagnostiques qui parviennent à
ceux qui en
ont besoin, il faut accroître encore les efforts. Il faut faire beaucoup
plus pour accroître
durablement les fonds disponibles et promouvoir les effets de synergie entre
les efforts
des différents partenaires. C'est aux gouvernements qu'il incombe d'abord de
mobiliser
les fonds et de promouvoir les nouveaux mécanismes financiers et les
nouveaux
stimulants pour atteindre notre but commun.