M. Juncker, le médicament n'est pas une marchandise
(Septembre 2014)
16 septembre 2014
Prescrire et le British Medical Journal écrivent au Président de la
Commission européenne, Jean-Claude Juncker
Communiqué de Presse
http://www.prescrire.org/Fr/1/194/48278/3753/3305/SubReportDetails.aspx
M. Juncker, le médicament nest pas une marchandise
Monsieur le président de la Commission européenne, en 2009, le Président
Barroso a enfin décidé de rattacher la politique des produits de santé
(médicaments et dispositifs médicaux) et lAgence européenne du médicament
(EMA) à la direction générale Sanco (santé et consommateurs) plutôt quà
la direction générale Entreprises. En 2009, de très nombreuses voix se
sont fait entendre, dont la nôtre, pour saluer ce rattachement, réclamé
depuis longtemps, meilleur gage dune priorité donnée à la santé publique
et aux patients, plutôt quaux intérêts industriels et économiques à
courte vue.
Incompréhensible retour en arrière. Votre décision de rattacher à nouveau
la politique du médicament et lEMA à la direction générale Entreprises
est une immense déception et suscite l'incompréhension de tous ceux qui
donnent la priorité à la santé publique en Europe. Quelles sont les
raisons d'un tel retour en arrière ? Quelle nouvelle direction cela
va-t-il signifier pour lEMA et les patients européens ?
Nous observons avec attention lactivité de lEMA depuis son origine
(1995). Les intérêts industriels y sont en permanence puissamment
défendus. Pour assurer une politique équilibrée, il faut que lEMA soit
davantage sensible aux intérêts des patients et à la protection de la
santé publique. Nous ne prendrons quun seul exemple récent.
En 2010, lEMA a annoncé une politique volontariste de transparence et
daccès public aux données sur lesquelles lagence base ses avis, qui
intéressent la santé des Européens. Cette politique était en phase avec
une évolution internationale inéluctable de transparence. En phase aussi
avec ce que les eurodéputés et le Conseil européen ont voulu dans le cadre
du nouveau règlement sur les essais cliniques. À la stupéfaction des
observateurs et des acteurs les plus impliqués dans cette évolution
positive, la position de lEMA sest retournée de manière spectaculaire au
cours des derniers mois, concomitamment avec la prise de fonction à
lagence dun responsable juridique issu des firmes. LEMA a aussi
expliqué son revirement en disant quelle devait prendre en compte la
position de la Commission dans le cadre des négociations commerciales
transatlantiques en cours.
Ne pas sacrifier lintérêt général. Lexpérience prouve que lintérêt
général de la santé publique et les intérêts particuliers des firmes
pharmaceutiques ne coïncident que si ces dernières sont orientées vers les
besoins réels et prioritaires de santé, si elles sont obligées dévaluer
suffisamment leurs médicaments et si elles sont contrôlées dans leurs
activités marketing. Trop de médicaments mis sur le marché européen ne
représentent pas de progrès tangible pour les patients, voire sont de
véritables régressions.
M. le Président Juncker, rapprocher encore davantage lEMA des firmes met
en danger la protection de la santé des citoyens européens. Nous avons
l'impression que votre décision a été prise sous l'influence d'intérêts
commerciaux, mais il vous est encore possible d'en prendre une meilleure,
mieux tournée vers l'avenir, dans lintérêt des patients européens et de
la santé publique.
Nous comptons sur vous et le monde entier vous regarde.
Fiona Godlee, rédactrice-en-chef du British Medical Journal
Bruno Toussaint, directeur de la revue Prescrire
©BMJ, Prescrire 16 septembre 2014