Bonjour Pr Kerouedan,
Merci pour ces éléments documentés en réponse au Dr Saoudogo.
Savez vous s'il existe t-il des études comparées entre les performances dans le domaine de la santé des pays francophones et anglophones ?
Pour ce qui concerne la question des inégalités d'accès aux soins, il est dommage que les scandinaves qui ont un historique reconnu dans la compression des inégalités (sous toutes ses formes) n'aient pas un poids plus important sur ces questions au niveau international, face aux USA qui ont un poids considérable et ne sont pas un modèle en matière d'égalités. Il faudrait s'interroger aussi sur ceux qui conçoivent les stratégies et leur vision de la société, pour ne pas ensuite constater que les stratégies menées ne réduisent pas les inégalités.
Pour l'aide technique et la recherche, il me semble que nous ayons une vision un peu trop colbertiste en France, et il est difficile de renforcer la recherche africaine si on ne facilite pas le renforcement et l'autonomisation de réseaux inter-africains déjà dans un premier temps. Il y a des compétences en Afrique, mais elles sont trop dispersées et agissent trop en relation directe avec les organisations du Nord qui conservent la maîtrise des projets. Je crois que les relations de plus en plus fortes entre l'Afrique et l'Asie, y compris dans le domaine de la recherche, devrait aussi favoriser la remise en question d'habitudes côté français.
Sans tomber dans les caricatures, ne pourrait-on pas penser qu'entre le "modèle français", centralisateur et qui dans l'accès est un peu sclérosant, et le "modèle anglo-saxon" par essence très libéral et générateur d'inégalités, les scandinaves plus inclusifs et égalitaires (également très portés sur la recherche) n'est pas un autre modèle qui mériterait une meilleure appréciation. On notera également que la plupart des dirigeants occidentaux (sauf scandinaves) ne respectent pas leurs engagement en matière d'APD (l'APD des USA est très faible par exemple en % du RNB), de même que la plupart des dirigeants africains ne respectent pas les leurs (notamment Abuja).
Autant tous les OMD sont louables (mais pas exhaustifs), autant je suis assez partagé sur le fait de fixer des OMD aux pays. Je crois qu'il est préférable de s'attaquer aux réformes de structures qui libèrent les énergies et laisser chaque pays fixer ses propres priorités spécifiques afin de développer une stratégie nationale cohérente (avec des politiques sectorielles interfacées). Je comprends les besoins de reporting et de communication des agences internationales, mais dubitatif sur l'efficacité du système (y compris dans la mobilisation des ressources financières). La santé est une affaire politique, l'engagement politique est le premier pilier de la performance dans la santé; OMD ou pas OMD cela se constate clairement sur les différents pays où la volonté politique différenciée génère des écarts très significatifs sur les résultats en bout de course.
Dans un tout autre domaine, on peut se poser la question si la mise en place des critères de convergence de Maastricht imposés à tous les pays européens qui ont adopté la monnaie commune (pour l'entrée dans la zone Euro) a renforcé leurs capacités économiques ou bien si cela les a figé dans un cadre économique contraignant. Y a t-il eu convergence des économies les moins robustes vers les plus fortes (on parle bien de convergence dans l'esprit et la lettre) ou bien ce système a t-il renforcé les inégalités entre pays ? Les pays n'ayant pas adopté les critères de Maastricht ont-ils fait mieux ou moins bien que les autres. Sur 27 membres, à ce jour seuls trois pays respectent les critères dits de convergence de Maastricht (Danemark, Finlande et Suède soit trois pays du Nord, le dernier n'ayant pas adopté l'euro).
J'ai pris cet exemple pour dire que ce n'est pas parce qu'on fixe un cadre général fixe que les pays qui l'adoptent vont automatiquement réussir. Par contre, dans tous les cas on renforce l'entité qui fixe les règles, impulse les stratégies et réalise les contrôles.
Par ailleurs, l'objectif 6 "Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies",a eu comme effet pervers d'inciter tous les pays à se focaliser sur 3 maladies (VIH, TB, Paludisme) parce qu'il y avait des financements internationaux et à délaisser d'autres maladies parce qu'il n'y avait pas de financement international. Sur les pays sahéliens par exemple, les hépatites tuent plus que le VIH, alors que pratiquement aucun Ministère ne dispose de ressources dédiées pour la coordination de la lutte contre les hépatites (ni les agences internationales en Afrique), avec quasiment pas de statistiques nationales officielles (pas d'enquêtes épidémiologiques nationales, y compris pour des pays qui ont des prévalences de 20% !). On n'a pas incité les pays africains à établir le diagnostic de l'ensemble de leurs priorités et comment affecter des ressources (financières et humaines) en conséquence. Le VIH, la TB et le paludisme sont des
priorités mais ne sont pas les seules.
A titre personnel, je pense que dans chaque pays il y a des dirigeants politiques qui doivent prendre leurs responsabilités. C'est eux et leurs politiques qu'il faut évaluer et qui sont comptables des résultats en matière de santé devant leurs populations. Les agences internationales n'ont pas d'obligation de résultat vis à vis des peuples, les dirigeants politiques si. Souveraineté et sanction des dirigeants devant leurs résultats sont des principes de base de la démocratie. Avant de passer aux OMD v2, il faudrait lister tous les responsables et entités qui n'ont pas respecté leurs engagements; sinon nous sommes dans une fuite en avant et rien ne dit non plus que les résultats en progrès obtenus ont été le fait de la fixation d'OMD. On ne le dit pas ouvertement, mais les dirigeants qui ont vraie volonté d'amélioration forte des résultats de santé sont connus, de même que ceux qui depuis des années sous-investissent volontairement
dans la santé et ont des résultats très médiocres. C'est là dessus que doit se faire le benchmark, il faut créer de la compétition entre dirigeants, mettre en avant les meilleurs et se poser de sérieuses questions sur les moins performants.
Dans une entreprise, lorsque des objectifs ont été définis et ne sont pas atteints, la logique est que les dirigeants soient changés. Pour les OMD, il faudrait savoir qui s'engage nominativement et en contrepartie de non atteinte des objectifs, en tirer toutes les conséquences. Je ne suis pas d'accord avec l'expression "tel pays n'atteindra pas les OMD", il serait préférable de dire "les politiques menées par tel dirigeant ne permettront pas à tel pays d'atteindre les OMD fixés". Une organisation ne réussit pas parce qu'elle a une bonne stratégie formelle, mais parce qu'elle a avant tout de bons dirigeants qui savent développer de bonnes stratégies adaptées à leur environnement.
Un système d'objectifs sans fixation de responsabilités individuelles et de sanctions appliquées est contre productif. Pour les critères de Maastricht, des sanctions étaient prévues pour les pays qui ne respectaient pas le pacte de stabilité, la plupart des pays ont délibérément choisi d'outre-passer les avertissements (y compris la France et l'Allemagne) sans sanction, on connait la suite.
En conclusion, je vois le système des OMD comme un outil de tracking de certains indicateurs (qui sont intéressants, mais ne sont pas les seuls) ; mais ce n'est pas un système d'objectifs-responsabilités puisqu'il n'y a pas d'obligation à tenir les promesses et des sanctions ne sont pas prévues. L'effet positif est peut être de mettre en avant certains indicateurs critiques, l'effet négatif de ne pas mettre en avant que c'est la volonté politique qui est dans tous les cas de figure motrice ni de couvrir toutes les priorités qui sont différenciées selon les pays.
Un site qui pourrait être intéressant si toutes les données par pays étaient disponibles (tout en sachant que les moyens sont une chose, l'efficacité stratégique et organisationnelle une autre) :
http://www.governmentspendingwatch.org/
C'était quelques réflexions pour discussion.
Merci et bonne journée,
Bertrand Livinec