Bonjour Carrine,
Merci pour cet article.
Premièrement, on peut
véritablement se demander s'il y a une volonté ou une détermination
des autorités chinoises de lutter contre la corruption ; étant
donné que ces mêmes autorités se sont largement enrichies de cette
corruption depuis longtemps. Certains rapports considèrent qu'il y a
plus de 80 milliardaires au sein de l'Assemblée Nationale dite
« Populaire » de Chine, les élites chinoises utilisent
par ailleurs très largement les paradis fiscaux pour leurs activités
économiques.
Deuxièmement, parmi les mesures prises par les autorités pour lutter
contre la corruption on peut aussi relever l'arrestation de militants
anti-corruption :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/01/26/chine-un-militant-a
nticorruption-condamne-a-quatre-ans-de-prison_4354625_3216.html
Troisièmement, la Chine a de plus en plus de « difficultés » à délivrer
des statistiques sur les inégalités, le coefficient de Gini étant
devenu un sujet particulièrement sensible :
http://lexpansion.lexpress.fr/economie/le-gouvernement-chinois-censure-un-i
ndicateur-de-revenus_279410.html
Je crois surtout que nous
sommes dans le domaine de la communication. Les autorités ont
l'habitude de faire de temps en temps quelques procès retentissants
et de faire marcher les pelotons d'exécution pour le grand public.
Méthode sacrificielle appliquée sur quelques brebis galeuses qui
évite de remettre en cause tout le système et de préserver les
intérêts d'une classe dirigeante très largement corrompue.
Parce qu'il faut bien comprendre une chose, c'est que la compression des
inégalités est
une catastrophe pour les multinationales (y compris chinoises), là est le
vrai enjeu.
Aussi, lutter contre la corruption sectorielle dans le secteur
pharmaceutique sans demander une ré-orientation des politiques
macro-économiques, ne sert pas à grande chose, puisqu'on laisse des
groupes de pression très puissants se développer plus rapidement que le
reste de l'économie. La corruption est
toujours liée à un abus de pouvoir ou un rapport de force biaisé.
Les professionnels de santé ne sont pas des saints, peuvent-ils
rester parfaitement honnêtes dans une société profondément
inégalitaire ?
Un pays comme les USA, qui est correctement noté dans les classements sur
la corruption est un
pays sous influence des lobbys pharmaceutiques, c'est l'une des
raisons pour lesquelles la consommation de services et produits
pharmaceutiques est aussi importante. D'une certaine manière , la
corruption institutionnelle est élevée même si c'est fait de
manière « propre » à travers le respect de lois
parfaitement approuvées par les autorités.
A ce titre, on peut faire une critique
sur des classements comme Transparency International où l'on va
retrouver des pays fortement inégalitaires et bien classés (idem
pour l'indice Ibrahim sur la gouvernance en Afrique comme je l'ai
déjà écrit). On mettra l'accent sur le respect des lois, souvent
fortement influencées par le travail amont des groupes de lobbys, mais ces
classements
sont t-ils éthiques puisque de nombreux citoyens sont à l'écart du
système. Ma réponse est clairement non, un pays très inégalitaire
est de facto vicié par la corruption ou par l'emprise de systèmes
oligarchiques même s'ils respectent les lois qu'ils ont créées. On
doit distinguer la lettre et l'esprit. L'explosion internationale des
inégalités a atrophié les états qui bien souvent ne font pas le
poids face aux multinationales.
Les activistes peuvent toujours hurler sur les conséquences de la
puissance des labos, mais
s'ils ne sont pas en capacité de modifier le système, alors leur
utilité est douteuse, ils agissent à la marge. D'une certaine
manière, on pourrait même considérer le système associatif comme
l'idiot utile de l'ulta-libéralisme ; il se focalise sur le
détail quand le système global lui échappe totalement dans les
tendances lourdes.
Je me permets à ce titre de partager cet article (Dying
for Growth: Global inequality and the health of the poor) très
intéressant qui date de 2000 sur le VIH et les inégalités, dont
l'un des co-auteurs est depuis 2012 devenu . le président de la
Banque Mondiale (Dr Jim Yong Kim).
http://ije.oxfordjournals.org/content/30/3/635.1.full
Voilà ce que j'aurais
souhaité que les organisations VIH disent quand je les interrogées
sur le VIH et les inégalités :
« Examination of complex economic and political history and recent economic
structural adjustment policies highlights the deadly synergy
between poverty and Aids¹ in the African continent. »
Mais depuis 2000, qu¹est ce qui a été fait pour lutter contre les
inégalités de revenus en
Afrique où se situe l'épicentre de l'épidémie du VIH. Soyons
clairs : rien du tout, bien au contraire.
La ligne qui entre temps a
triomphé est celle défendue par des gens comme Robert Zoellick
(ancien président de la BM jusqu'en 2012, ou son prédécesseur Paul
Wolfowitz.) La vision de Zoellick devant la fondation Heritage en
2001en est parfaitement claire : dérégulation, ouverture des
marchés, moins d'état.
http://www.ustr.gov/archive/assets/Document_Library/USTR_Speeches/2001/asse
t_upload_file901_4279.pdf
« We must move now if we are going to build on the global trends favoring
private markets, business competition, deregulation, limited
taxation, open trade, and flexible labor policies. »
« Stepping back, one can see that we are starting to move key pieces of the
President¹s trade strategy into proper position: We are advancing
trade liberalization and America¹s interests globally,
regionally, and bilaterally. We are creating a ³competition in
liberalization² with the United States at the center of a network
of initiatives. »
La fondation Heritage qui
d'ailleurs sur son site fait la promotion de la liberté économique
en donnant des arguments pour la lutte contre le VIH :
http://www.heritage.org/multimedia/infographic/2013/09/botswana-more-econom
ic-freedom-less-hiv
Les deux graphiques
présentés sont exacts individuellement, ils sont faux en termes de
corrélation. Le message adressé est donc le suivant : luttez
contre les entraves à l'économie libérale et le VIH baissera.
C'est une vaste supercherie, mais c'est le discours dominant qui a
régné ces dernières décennies, l'éthique a été remplacée par
le respect des législations. Les indicateurs internationaux suivis
(y compris OMD) ont été expurgés de la notion d'inégalités de
revenus.
La critique majeure que je
formulerai à l'encontre des acteurs VIH, même si il y a parmi eux
des gens parfaitement honorables, c'est qu'ils ont privilégié des
réponses spécifiques et sectorielles et non une vision globale des
déterminants de santé qui ne peuvent être dissociés des
politiques économiques globales.
Entre le document de 2000 sur les inégalités et le VIH et aujourd'hui,
c'est 14 années de
perdues. Mobiliser la communauté internationale sur quelques
maladies a été une réussite pour les multinationales : non
seulement cela leur a évité de payer plus d'impôts pour financer
une APD plus conséquente sur le développement en général, mais en
plus elles y ont gagné beaucoup d'argent en faisant la promotion du
libéralisme économique tous azimuts. Sur le plan tactique c'est un
coup de maître, le monde associatif est morcelé et divisé et
incapable de peser sur les grands enjeux mondiaux. Et quand le monde
associatif est associé, il est très largement sous influence parce
que le rapport de force est très largement défavorable.
Conclusion : je veux bien que les gens tirent sur les laboratoires qui ont
des pratiques
corruptrices, je suis pour à 100%. Mais si c'est pour ne pas bouger
le petit doigt sur les politiques macro-économiques et notamment
fiscales, tout ceci reste du bon sentiment. Les stratégies
spécifiques dans la santé permettent de ne pas mobiliser l'ensemble
des acteurs sur le cadre général, à ce petit jeu les
multinationales seront toujours gagnantes, qu'on ne s'y trompe pas.
Pour finir je partage cet interview de Jean-Louis Servan Schreiber
(journaliste et patron de
presse) qui fait une analyse très lucide et très pertinente de la
période dans laquelle nous vivons, il n'y a pas grand chose à
rajouter (cela concerne aussi les élites africaines, ni pires
ni meilleures que les autres) :
http://www.lexpress.fr/actualite/economie/pourquoi-les-riches-ont-gagne_131
2381.html
Le jour où le mondeassociatif (et autres) sera capable de faire de telles
analyses et
d'en tirer les conclusions sur sa capacité à se fédérer et se
focaliser sur les thèmes majeurs, le débat aura avancé. En
attendant, faute de contre-pouvoirs, le système avance tout seul et va
droit dans le mur (rappelons que le discours de Zoellick à la fondation
Heritage date de 2001, la crise des subprimes de 2008 ; d'autres crises
arrivent).
Bon week-end,
Bertrand