[e-med] (2)Stratégie mondiale pour la santé publique, l'innovation et la propriété intellectuelle

Intellectual Property Watch
14 November 2007

La réunion du groupe de travail de l’OMS sur la santé et la propriété
intellectuelle a donné lieu à des progrès essentiels
posted by Catherine Saez @ 9:04 pm
http://www.ip-watch.org/weblog/index.php?p=823

William New
Les gouvernements membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ont
achevé une semaine de négociations intense sur la manière d’améliorer
l’accès des populations les plus démunies aux soins médicaux. Ils ont
notamment réalisé des progrès considérables concernant l’élaboration d’un
plan d’action. Cependant, les participants ont confié que le travail à
accomplir lors de la prochaine séance s’annonçait difficile.

« J’ai été très impressionnée par le niveau d’engagement de chacun », a
déclaré Margaret Chan, Directrice générale de l’OMS, au moment de clore la
séance de négociations. « Nous nous préparons pour faire mieux encore »,
a-t-elle ajouté, au Secrétariat de l’OMS.

Le groupe de travail intergouvernemental sur la santé publique, l’innovation
et la propriété intellectuelle (IGWG) a reçu pour mission d’établir une
stratégie et un plan d’action avant l’Assemblée mondiale de la Santé en mai
2008. L’objectif de ce travail est de s’intéresser aux insuffisances en
matière de recherche et développement concernant des maladies qui touchent
les populations démunies de manière disproportionnée.

Pour l’instant, il est prévu que l’IGWG se réunisse à nouveau du 28 avril au
3 mai 2008. Le Secrétariat rédigera par ailleurs un document relatif au
travail accompli jusqu’à présent, qui comprendra les termes qui ont été
fixés, ceux qui ont été mis entre parenthèses (qui ont fait l’objet de
discussions mais n’ont pas été fixés) et les points dont le groupe n’a pas
encore débattu. Les membres ont la possibilité de commenter les points qui
n’ont pas été traités lors des négociations jusqu’au mois de janvier 2008.
Le Secrétariat publiera ensuite ces commentaires dans un document. En
attendant, un rapport sera rédigé sur le plan d’action mis au point par un
sous-groupe. Une réunion de deux à trois jours est également prévue
immédiatement après la réunion du Conseil d’administration au mois de
janvier prochain.

Mme Chan a réaffirmé son engagement personnel ainsi que celui du Secrétariat
de l’OMS en faveur du travail accompli par le groupe. Elle a en outre assuré
que ce soutien allait s’accroître.

Samedi dernier, lors de la séance de clôture, l’intervention d’Ahmed Ogwell,
chargé des relations internationales en matière de santé au ministère de la
santé kényan, a souligné l’importance des négociations à venir.

« Permettez-moi de vous rappeler que si nous sommes réunis et que nous
débattons en ce moment, c’est précisément parce que les systèmes de santé
actuels n’ont pas permis de répondre au besoins des plus pauvres, a déploré
Ogwell. Les produits médico-sanitaires existants sont trop chers pour les
populations démunies et les travaux de recherche et développement consacrés
aux maladies appelées de type II et III sont délaissés. Monsieur le
président, j’espère que mes propos ne seront pas mis entre parenthèses ».
Cette dernière remarque faisait références aux parenthèses qui encadrent les
termes des négociations qui n’ont pas encore abouti à un accord.

« Le secteur de la santé est un passage obligé pour toutes les entreprises
humaines, a poursuivi Ogwell. Tout échec d’un secteur d’activité, qu’il
s’agisse de celui des transports, de l’environnement, du commerce ou du
domaine de la politique, entraîne des conséquences sur la santé ».

« Il est également évident pour nous que les systèmes de droits de propriété
actuels ont eu de graves répercussions sur la santé en Afrique et dans le
monde », a-t-il ajouté en des termes préalablement choisis. Le fait
d’ignorer les vrais problèmes ne permettra pas de résoudre ceux qui ont
conduit à la création de l’IGWG ». Ogwell a ensuite mentionné l’importance
de concevoir des modèles de financement durable en matière de recherche et
développement.

Les participants ont, aussi bien officiellement qu’officieusement, souligné
l’esprit positif qui s’est dégagé des négociations. Cependant, certaines
questions ont été soulevées sur la possible existence de manœuvres visant à
prolonger les discussions. Celles-ci consisteraient à débattre de questions
d’ordre sémantique en vue de ralentir le rythme d’un processus susceptible
d’aboutir à des changements radicaux dans le système de recherche et
développement actuel.

Le représentant d’un pays développé a affirmé que l’objectif des
négociations était de mettre au point un plan d’action conséquent. Il a
également précisé que, bien que le groupe espère parvenir à un résultat
cette semaine, le caractère positif de cet aboutissement restait sa
priorité.

Néanmoins, selon ce que le représentant d’un pays en développement a confié
à Intellectual Property Watch, « il faudra du temps et des efforts soutenus
pour effacer les gigantesques parenthèses tracées par l’industrie autour du
mot « santé » et de l’OMS en tant qu’institution des Nations Unies chargée
de promouvoir la santé pour le bien de l’humanité, au delà des intérêts
commerciaux ou à ceux des titulaires de droits de propriété ».

Certains groupes industriels affirment qu’ils partagent la volonté d’aboutir
à une amélioration notable de la santé des populations démunies. Toutefois,
le problème central qui se pose est le « maintien global du système
d’incitations » basé sur les brevets. Selon Harvey Bale, directeur général
de la Fédération internationale de l’industrie du médicament (FIIM), il
convient en effet de développer ce système plutôt que de le remplacer.

« En fin de compte, je suis presque certain que l’IGWG examinera différentes
solutions adaptées et n’enrayera pas le système [par l’adoption des mesures
moins strictes que l’Accord de l’Organisation mondiale du commerce sur les
aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce
(Accord sur les ADPIC)] », a révélé M. Bale lors d’une interview.

Harvey Bale a poursuivi sa réflexion en citant pour exemple la section 11.02
du renouvellement de l’autorisation délivrée en septembre par la Food and
Drug Administration américaine (organisme de surveillance des aliments et
des médicaments), qui permet une mise sur le marché accélérée de médicaments
conçus pour lutter contre les maladies tropicales. En effet, grâce à une
commercialisation plus rapide, les entreprises peuvent amortir leurs frais
plus tôt.

Certains participants ont affirmé qu’un soutien croissant en faveur d’un
changement radical s’était dégagé de la réunion, même si aucun n’a mentionné
une volonté de démanteler le système des brevets.

Alors que l’industrie et les gouvernements des pays développés cherchent à
compléter le système existant, notamment en développant les partenariats
entre le secteur public et le secteur privé, certains termes consensuels
indiquent que les initiatives prises au cours des dernières années ne sont «
pas suffisantes pour relever le défi qui consiste à garantir l’accès aux
produits de santé et aux dispositifs médicaux, et l’innovation dans ces
domaines ».

« Par ces termes, les membres s’accordent à dire que le fait d’accroître ce
qui existe déjà ne sera pas suffisant », a tenté d’interpréter un
participant.

Selon Sisule Musungu, qui a participé à la réunion en tant que spécialiste
invité par l’OMS, la rencontre s’est bien déroulée. D’autre part, la partie
relative à la propriété intellectuelle est apparue comme étant la plus
délicate. « Néanmoins, les débats prolongés ont permis une meilleure
compréhension des différents problèmes et points de vue, ce qui pourrait
amener les participants à modifier le système », a-t-il ajouté.

« Selon moi, les négociations ont pris une tournure qui pourrait influer de
manière importante sur le type de recherches sur lesquelles le groupe est
censé travailler, et conduire les participants à examiner sérieusement les
nouvelles idées qui font l’objet de propositions », a ensuite conclu M.
Musungu.

Concernant la propriété intellectuelle, la Norvège a lancé un projet
d’alternative au texte de négociations. En effet, ce dernier comptait un
grand nombre de parenthèses qui témoignait de l’absence de consensus. Le
document norvégien, dans lequel avaient été retirées les parties les plus
controversées du texte, semble avoir reçu un accueil favorable de la part
des autres États membres.

Nicoletta Dentico, membre de l’Initiative sur les médicaments pour les
maladies négligées (Drugs for Neglected Diseases Initiative/DNDI), a
déclaré, après avoir assisté aux négociations, que « la culture politique
relative à ce type de problèmes est en train de changer ». Elle a ensuite
fait remarquer que l’attention des plus hautes instances de l’OMS a été
éveillée. Selon Mme Dentico, des efforts vont être déployés pour maintenir
l’élan des négociations jusqu’à la prochaine réunion.

Le groupe de rédaction B a adopté un rapport de plan d’action non consensuel
qui fera l’objet d’un nouveau travail en janvier. La version du texte datant
du 9 novembre atteste des progrès qui ont été réalisés sur les projets
d’inventaire des programmes de recherche et développement dans le monde,
visant à identifier les maladies négligées. Les progrès démontrés concernent
également la mise au point de stratégies prioritaires, comme la promotion de
la médecine traditionnelle, l’augmentation des financements, l’amélioration
des programmes de recherche médicale et de la coopération, et l’aide en
faveur d’un meilleur accès aux connaissances et à la technologie.

Vendredi dernier, les participants on achevé le travail de négociation sur
le chapitre d’introduction du projet de stratégie. Ils sont quasiment
parvenus à un accord concernant le contexte, le but et les principes. D’un
commun accord, les participants ont renoncé à une partie du texte relative à
l’approche stratégique. Une ébauche du texte du 9 novembre montrait
l’introduction de nombreux principes issus d’une réunion de pays
latino-américains tenue à Rio de Janeiro en septembre. Ces principes
visaient à préserver les aspects sociaux de la propriété intellectuelle et
la santé publique.

Le texte du 9 novembre témoigne également du long débat sur l’éventualité
d’établir une situation de concurrence et de réduire ou de supprimer les
droits de douane à l’importation, afin de baisser les prix et de favoriser
l’accès aux produits de santé et aux dispositifs médicaux. L’industrie des
pays développés a exercé des pressions en faveur d’une réduction des droits
de douane.

Lors de la séance de clôture, les États-Unis, soutenus par l’Europe, ont
fait part de leur crainte que le texte d’introduction ne reflète pas les
débats de manière précise. Cependant, il semblait que chacun avait
clairement compris que des changements techniques pourraient être apportés
au texte.

La réaction des ONG est positive.

« Cette semaine, le monde entier s’est rallié au mouvement pour l’accès et
l’innovation », s’est réjoui James Love, directeur de l’organisation
Knowledge Ecology International. « Il s’agit d’un débat très important et
très sérieux sur la nécessité de concilier l’innovation et l’accès aux
produits de santé ».

« La progression s’est faite lentement, mais les problèmes sont très
complexes, a ajouté M. Love. La formulation du texte est appropriée. Ce qui
m’a impressionné c’est le sérieux avec lequel chaque délégation s’est lancée
dans le débat. Les participants s’évertuent à trouver le ton adéquat et la
bonne direction, et ils travaillent pourtant sur des problèmes extrêmement
complexes et importants ».

Selon une déclaration de Michel Lotrowska, responsable de la Campagne pour
l’accès aux médicaments essentiels menée par Médecins sans frontières, «
l’élément le plus encourageant est le fait que les gouvernements ne
considèrent plus le système commercial actuel comme convenable. Ils sont
prêts à envisager l’utilisation de nouvelles méthodes de financement de la
recherche médicale essentielle, afin que les fruits de l’innovation soient
accessibles à ceux qui en ont le plus besoin. Cette attitude se reflète
notamment dans la décision de poursuivre les discussions relatives à un
traité sur les travaux de recherche et développement essentiels dans le
domaine biomédical et de la santé ».

« Nous avons le sentiment que les États poussent l’OMS à prendre une part
plus active dans la résolution de la crise de l’accès aux médicaments et à
adopter une approche favorable à la santé en matière de propriété
intellectuelle, a ajouté M. Lotrowska. Des mesures sont également prises
pour combattre les causes fondamentales du déficit d’investissements qui
frappe l’innovation dans le domaine de la lutte contre les maladies qui
touchent les plus pauvres ».