Intellectual Property Watch
18 October 2007
Les discussions sur le nouveau plan des Nations Unies concernant l’accès à
la santé publique et l’innovation s’annoncent difficiles
http://www.ip-watch.org/weblog/index.php?p=785&res=1024_ff
Par Paul Garwood
Le cycle de négociations qui s’ouvre le mois prochain sur le plan des
Nations Unies visant à améliorer l’accès aux médicaments pour les plus
pauvres s’annonce difficile, les États et les régions étant divisés sur des
sujets controversés tels que les droits de propriété intellectuelle et les
moyens permettant de faire bénéficier tous les pays des innovations
pharmaceutiques.
Le groupe de travail intergouvernemental sur la santé publique, l’innovation
et la propriété intellectuelle (IGWG) de l’Organisation mondiale de la Santé
tiendra sa seconde session du 5 au 10 novembre à Genève. Cette réunion a
pour but de finaliser le projet de stratégie et le plan d’action visant à
favoriser la mise au point, le développement et la fourniture de médicaments
abordables aux pays les plus pauvres. S’il est adopté, le document sera
présenté au Conseil exécutif de l’OMS en janvier 2008 ; il pourra
potentiellement, au terme d’une période de quatre mois, être soumis à
l’Assemblée générale pour approbation.
L’objectif de la stratégie est de trouver un moyen optimal de stimuler la
recherche et le développement de médicaments pour lutter contre les maladies
négligées, en particulier la tuberculose, le paludisme et le VIH/sida, en
particulier dans les pays en développement. La tâche de l’OMS, qui
consistait à définir une stratégie unique permettant de répondre aux besoins
de médicaments à l’échelle mondiale, s’est avérée relativement complexe,
selon certaines sources, compte tenu des relations entre les pays riches et
les pays pauvres, des flexibilités prévues par le droit commercial
international concernant l’accès aux médicaments et des pressions exercées
par l’industrie pharmaceutique et certains groupes de la société civile sur
des aspects essentiels des discussions que sont les questions de propriété
intellectuelle et de coûts.
Elil Renganathan, secrétaire exécutif du secrétariat de l’OMS sur la santé
publique, l’innovation, la recherche essentielle en santé et la propriété
intellectuelle, a rappelé que le groupe intergouvernemental était le premier
organe chargé de traiter les questions de l’innovation et de l’accès aux
médicaments, deux des aspects les plus importants en matière de produits
pharmaceutiques.
« Il est évident que nous ne pourrons pas contenter tout le monde, mais nous
essayons de rendre le processus aussi ouvert et transparent que possible et
de veiller à ce de nombreux acteurs soient impliqués, » a indiqué M.
Renganathan à Intellectual Property Watch. « Ces discussions revêtent une
importance considérable et auront un impact majeur sur l’innovation et
l’accès aux médicaments. La stratégie a pour objectif de stimuler
l’innovation, de renforcer la capacité des pays en développement et
d’améliorer l’accès aux médicaments. »
Le plus difficile sera de parvenir à un accord, certains diplomates se
montrant sceptiques quant à la possibilité de trouver un compromis au cours
des cinq jours pendant lesquels les discussions auront lieu à Genève.
« Il y a tant d’acteurs concernés et de questions à résoudre que nous devons
admettre l’éventualité qu’aucun accord ne soit trouvé à l’issue de la
réunion et que le processus soit un échec, » a déclaré un officiel qui a
demandé à être présenté comme un diplomate d’un pays industrialisé. « Ce
serait malheureux si cela arrivait. »
Bien qu’ils soient d’accord sur la nécessité de stimuler l’innovation pour
lutter contre les maladies négligées, certains pays développés, ainsi que
des grandes entreprises pharmaceutiques opérant sur leurs sols, sont
soucieux de veiller à ce qu’aucun coût négatif ne résulte pour l’industrie
pharmaceutique d’un meilleur accès aux médicaments, notamment la perte des
droits de propriété intellectuelle.
Actions à entreprendre, leadership
Les pays en développement et les divers acteurs de la société civile
estiment, de leur côté, que davantage doit être fait pour stimuler
l’innovation dans le domaine des médicaments et lutter contre les maladies
négligées dans les pays les plus pauvres. Ils appellent à un meilleur accès
à la technologie et au savoir, ainsi qu’au renforcement de la capacité des
pays en développement afin de les aider à mettre au point des médicaments,
des vaccins et des diagnostics à des prix abordables.
Ahmed Ogwell, chargé des relations internationales pour la santé au
Ministère de la santé du Kenya et vice-président du processus IGWG pour la
région Afrique, a estimé qu’un nouveau mécanisme était nécessaire pour
promouvoir l’innovation en matière de médicaments destinés à lutter contre
les maladies négligées.
« Le droit de propriété intellectuelle n’a pas permis de garantir l’accès
des plus pauvres aux médicaments, en particulier en Afrique. Aussi, il
convient de revoir et de modifier les mécanismes existants afin de mieux
répondre aux besoins, » a indiqué M. Ogwell. « Nous devons envisager toutes
les possibilités en matière de financement en vue de favoriser l’innovation.
»
Ahmed Ogwell s’est montré critique sur le projet de plan présenté par le
Secrétariat de l’OMS en préparation de la réunion de novembre, estimant
qu’il ne traitait pas de manière adéquate des mécanismes de financement
nécessaires pour stimuler l’innovation sur les marchés où les profits sont
faibles. « Le principal problème ne réside pas dans la propriété
intellectuelle. De fait, si nous ne mettons pas en place les mécanismes de
financement adéquats, nous ne serons pas en mesure de répondre aux objectifs
fixés, » a t-il ajouté.
Divers mécanismes ont été envisagés par le groupe intergouvernemental pour
financer la recherche et le développement de médicaments, notamment les
partenariats public-privé, les prix récompensant l’innovation et les
engagements d’achat anticipé, qui permettent de financer l’achat de vaccins
non encore disponibles.
Le représentant du gouvernement kenyan a également reproché au projet
élaboré par l’OMS de ne pas définir clairement les responsabilités en
matière d’innovation et d’accès aux médicaments. « Le projet reste très
général s’agissant du rôle et des responsabilités des acteurs concernés, » a
t-il expliqué. « Certaines responsabilités ont été définies, mais aucun rôle
leader n’a été attribué. Nous devons être très clair sur le fait de savoir
qui est responsable de la fourniture des médicaments. »
Pendant des semaines, des groupements régionaux de pays, des organisations
non gouvernementales, des groupes industriels et des particuliers se sont
penchés sur le projet de plan qui, selon les responsables de l’OMS, a
vocation à inclure toutes les propositions des États membres avant d’être
affiné lors de la réunion de novembre.
Poursuite des consultations
Les discussions ont commencé entre les divers pays en développement et
représentants du Sud afin de parvenir à un consensus sur les questions clés
avant le début de la réunion. « Il est essentiel que nous parvenions à un
accord avec les autres régions du monde avant le début des négociations car
il paraît difficile d’y parvenir en cinq jours, » a déclaré Ahmed Ogwell. «
Nous sommes engagés dans de nombreuses consultations informelles avec des
pays situés dans diverses régions du monde de manière à pouvoir résoudre
certaines questions difficiles avant la réunion. »
Au rang de ces pays figurent les pays d’Amérique latine, emmenés notamment
par le Brésil, qui militent pour un meilleur accès aux techniques de
fabrication des médicament, notamment la technologie nécessaire pour mettre
au point des médicaments génériques.
Rodrigo Estrela, de la mission du Brésil auprès des Nations Unies à Genève a
estimé qu’un consensus n’était possible entre les pays du continent
américain, qui comprend les pays d’Amérique latine, les Caraïbes, les
États-Unis et le Canada, qu’à la condition que les deux derniers accèdent,
au moins en partie, aux demandes formulées par les pays en développement de
la région.
« Les discussions s’annoncent difficiles car de nombreux pays d’Amérique
latine ont émis des propositions qui, d’une certaine manière, modifient la
nature du texte présenté par le Secrétariat. Or, nous ne savons pas si les
Etats-Unis sont prêts à l’accepter, » a indiqué Rodrigo Estrela à
Intellectual Property Watch.
L’OMS et les relations commerciales
Les pays d’Amérique latine souhaitent que l’OMS joue un rôle plus important
dans la promotion et la mise en œuvre des flexibilités prévues par les
déclarations de Doha de 2001 et l’Accord de l’Organisation mondiale du
commerce (OMC) sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce (ADPIC), a déclaré Rodrigo Estrela. Ces flexibilités
permettent aux pays, en particulier les pays en développement, de délivrer
des licences obligatoires et ainsi de permettre à des entreprises locales de
fabriquer des versions génériques de produits brevetés sans le consentement
du titulaire du brevet en vue d’approvisionner le marché intérieur en cas
d’urgence nationale, de préserver la santé publique ou de favoriser des
usages non commerciaux. Elles ont été renforcées par la déclaration de Doha
de 2001.
« Les pays développés ont souvent dit que la question des droits de
propriété intellectuelle concernait l’OMC et non l’OMS, » a indiqué Rodrigo
Estrela. « Il est clair aujourd’hui que l’OMS a un rôle à jouer dans ce
domaine, notamment pour favoriser la mise en œuvre des dispositions de
l’ADPIC relatives aux flexibilités.
Lors d’une réunion qui a eu lieu à Rio de Janeiro au mois de septembre, les
pays d’Amérique latine ont formulé huit principes qui ont été critiqués, à
l’instar d’autres documents, par les représentants des pays industrialisés
du fait de l’importance qu’ils accordent aux droits de l’homme.
De fait, les principes de Rio soulignent le droit universel à la santé, un
droit qui prime sur les intérêts commerciaux. Selon ces principes, les
droits de propriété intellectuelle ne doivent pas restreindre l’innovation
et les transferts de technologie. Les principes établies par les pays
d’Amérique latin soulignent également la nécessité de promouvoir une
application large des dispositions de l’ADPIC et de favoriser la recherche
et le développement dans les domaines qui sont les importants pour ces pays.
Prangtip Kanchanahattakij, un diplomate thaïlandais basé à Genève, est
d’accord sur le fait que le processus IGWG doit permettre aux pays en
développement de mieux utiliser les flexibilités offertes par l’ADPIC. «
Nous voulons renforcer la capacité des pays en développement afin de les
aider à résoudre les questions liées au droit de propriété intellectuelle et
d’appliquer les flexibilités prévues dans l’ADPIC, » a déclaré Prangtip
Kanchanahattakij. « Il est important que les pays en développement ayant
acquis une certaine expérience dans ce domaine en fassent bénéficier ceux
qui ont besoin d’avoir accès aux médicaments. ». La Thaïlande a fait figure
de pionnière en utilisant les dispositions de l’ADPIC relatives à la
délivrance de licences obligatoires afin de fabriquer des médicaments
anti-rétroviraux, ce qui n’a pas été sans provoquer des batailles juridiques
et politiques avec les entreprises pharmaceutiques et les principales
capitales des pays industrialisés.
Selon les diplomates des pays développés, plusieurs questions à l’ordre du
jour de la session de l’IGWG feront l’objet d’âpres discussions, parmi
lesquelles l’exclusivité des données, le regroupement de brevets et les
essais pharmaceutiques, autant de questions relatives à l’accès au savoir.
Certains pays développés, à l’instar des Etats-Unis, soutiennent la notion
d’exclusivité des données, qui veut que les détenteurs de licence gardent le
contrôle sur les informations concernant les médicament et les innovations.
Ces restrictions, communément appelées ADPIC-Plus, vont à l’encontre des
flexibilités prévues par l’ADPIC et obligent bien souvent les pays les plus
pauvres à conclure des accords bilatéraux avec les pays les plus riches.
« Nous continuons de penser qu’il est important de protéger les droits de
propriété intellectuelle, les innovations favorisant le développement des
médicaments dont nous avons besoin, » a indiqué un diplomate. « Dans le même
temps, il appartient aux pays développés et aux pays en développement de
stimuler la recherche afin de lutter contre les maladies négligées et de
trouver de nouveaux mécanismes de financement par le biais d’engagements
d’achat anticipé ou de fondations décernant des prix. »
Selon ce diplomate, certains pays industrialisés s’opposent aux projets de
traité en matière de recherche et de développement, projets que les pays
d’Amérique latine et les pays africains soutiennent dans la mesure où ils
permettraient d’établir des priorités de recherche et de déterminer les
besoins et mécanismes de financement. « Je ne pense pas qu’un traité puisse
fonctionner car trop de pays en deviendraient partie, y compris le mien, » a
déclaré un représentant d’un pays industrialisé.
Matti Rajala de la délégation de la Commission européenne à Genève a estimé
que le projet de plan d’action présenté par l’OMS constituait une bonne base
de discussions en prévision de la session de novembre et qu’un accord était
possible, notamment dans les domaines favorisant la recherche et le
développement. Il n’en a pas moins ajouté que la réunion à venir s’annonçait
difficile.
« Ce ne sera pas une semaine très facile, mais nous abordons ces
négociations de manière positive en nous appuyant sur des bases
constructives, » a déclaré Matti Rajala.« La recherche-développement axée
sur les produits susceptibles de lutter contre les maladies négligées est un
domaine prioritaire, mais la question reste posée de savoir comment faire en
sorte qu’elle soit efficace ou que les ressources nécessaires pour soutenir
les efforts entrepris soient disponibles. Cet aspect reste problématique. »
« S’il ne fait aucun doute que certaines questions trouveront rapidement une
solution, il n’en est pas de même pour d’autres où des efforts
supplémentaires sont nécessaires, » a ajouté M. Rajala, qui n’a pas souhaité
en dire plus.
Les travaux de la CIPIH
Médecins Sans Frontières a estimé que le projet de plan d’action de l’OMS ne
mettait pas à profit le rapport de la Commission de l’OMS sur les droits de
propriété intellectuelle, l’innovation et la santé publique (CIPIH),
affirmant que le document ne reprenait pas suffisamment les conclusions et
60 recommandations formulées par la Commission pour guider le processus
IGWG.
« Certains points du plan d’action semblent ignorer les analyses et
conclusions du rapport de la CIPIH, en proposant une nouvelle démarche, ou
affaiblir considérablement la formulation ou la portée des recommandations
formulées par la Commission, » a estimé MSF dans sa proposition au processus
IGWG.
En particulier, MSF considère que le projet présenté par IGWG surestime le
rôle de la propriété intellectuelle dans le domaine des innovations
pharmaceutiques, la CIPIH ayant conclu que les « brevets ne constituent pas
un facteur pertinent ni un moyen de stimuler la R&D et d’amener sur le
marché de nouveaux produits pour lutter contre les maladies affectant des
millions de personnes dans les pays pauvres.
Toutefois, selon Elil Renganathan de l’OMS, le processus IGWG s’est efforcé
de rester neutre et de laisser aux pays le soin de décider entre eux, dans
le cadre de négociations ouvertes, quelle était la meilleure voie à suivre.
« Les Etats membres ont des intérêts et des besoins divergents, mais je
pense que tous ont la volonté de travailler ensemble et de parvenir à une
solution, » a-t-il ajouté. « Nous avons fait de notre mieux pour faire en
sorte que cela soit possible, mais il revient aux Etats membres de le faire
ou non. »