Absolument daccord sur lambivalence de lintérêt porté par les occidentaux issus des sociétés riches pour les plantes « actives » venues dAfrique ou dailleurs (lIboga et lAyahuasca étant les plus en vogue). Je suis cothérapeute au Centre Georges Devereux (ethnopsychiatrie, Saint-Denis) et nous avons régulièrement loccasion de travailler avec Patrick Deshayes, anthropologue spécialiste des substances psychoactives et dautres chercheurs qui se préoccupent de ces questions. Ayant été habilités pendant 5 ans à prendre en charge des personnes sorties de sectes ou désireuses den sortir, nous avons pu avoir une idée des dérives qui peuvent exister autour de lusage de ces plantes et des promesses de guérison qui peuvent être faite par les sectes. Aujourdhui, lAyahuasca est interdite en France, ce qui paradoxalement la protège contre une exploitation mercantile, tout en limitant le travail qui pourrait être entrepris dans le domaine de la recherche. Le cheminement de lIboga semble assez proche et cela risque de lui faire prendre le même chemin (simplifications, usages qui deviennent solitaires, sacralisation excessive, ou au contraire désacralisation, charlatanisme etc.) Je suis très sensible à votre proposition dassocier les populations concernées aux décisions commerciales ou scientifiques qui les concernent, lidée dune mise en commun des savoirs, dans le respect des cultures auxquelles sont associées ces plantes et leurs usages, me paraît bien illusoire. Les intérêts commerciaux font déjà fi de tout le reste (santé publique, accès aux soins par exemple), alors les cultures, les peuples, vous pensez !
Pour ceux que les usages de plantes issues de mondes traditionnels intéressent, je recommande la très bonne revue Psychotropes : « Dossier Rituels, initiation et thérapie », Psychotropes, Vol. 10 2004/3, De Boeck Université, ISBN 2-8041-4501-8, 240 pages
Lien vers le sommaire : http://www.cairn.be/sommaire.php?ID_REVUE=PSYT&ID_NUMPUBLIE=PSYT_103
En particulier lavant-propos de P. Deshayes : « Que f
eshayes, anthropologue et maître de conférence à Paris 7, y écrit au sujet de lAyahuasca et de son usage par des occidentaux : « Cette posture tournée vers les pratiques chamaniques est finalement une posture inverse et culpabilisée de la posture coloniale. Il n'y a pas si longtemps, l'Occident voulait apporter, ne fut-ce que par la force, ses progrès médicaux et éradiquer ces croyances archaïques de sorcellerie et de chamanisme. Aujourd'hui, on se tourne vers ces peuples que l'on regarde toujours comme primitifs mais, cette fois, dans ce qu'ils auraient gardé de "sagesse première" et de proximité avec le divin. Ce sont bien sûr nos propres mythes que nous rejouons là. Déjà, découvrant l'Amazonie, des voyageurs du XVIe siècle pensaient retrouver le paradis terrestre chez des populations qui n'avaient pas honte d'être nues ! Croire que nous devons tout leur apporter, ou croire que ce sont eux qui doivent tout nous apporter sont des postures symétriques mais finalement semblables.
Ces psychothérapeutes s'approprient l'usage de l'ayahuasca pour en faire un rituel visant fianlement à élever le concept d'inconscient au rang de divinité. Ce faisant, ils convoquent l'inconscient avec une substance "magique" comme on convoque des divinités dans les cultes vaudous au lieu de le laisser apparaître sous forme d'une association libre lors de la cure psychanalitique. »
Par ailleurs, une chercheuse elle-même initiée au Bwiti, a travaillé la question des occidentaux qui partent au Gabon prendre de lIboga et se faire initier, avec les conséquences bénéfiques ET négatives à plus ou moins long terme. Son mémoire de DEA en anthropologie portait sur ce thème, sous la direction de Patrick Deshayes. Elle vient de publier un livre sur le Bwiti :
Marion LAVAL-JEANTET, Paroles dun enfant du Bwiti, Éditions Charles Antoni/LOriginel, mars 2005
Elle a également participé à la revue Psychotropes citée plus haut : « Approche thérapeutique de la prise diboga dans linitiation au Bwiti vécue par les Occidentaux », Marion Laval-Jea
Résumé : De plus en plus de voyageurs vont vers les thérapies traditionnelles africaines lorsquils considèrent que la thérapie psychologique ou psychanalytique occidentale sest avérée insuffi~sante à régler leur mal-être. Dans le cas du Gabon, la rencontre a lieu dans un processus initiatique au sein de la religion du Bwiti dont les conséquences sont complexes. Dautant plus complexes que «loutil» thérapeutique utilisé par les guérisseurs est une plante médiatrice, liboga, dont les effets psychotropes et physiologiques sétalent dans le temps. Quel est lusage rituel de liboga? Quest-ce qui est en jeu dans ce croisement entre patients occidentaux et thérapie gabonaise ? Comment des patients toxicomanes choisis~sent ce processus initiatique comme cure de désaddiction? Quels «soins » leurs sont effectivement apportés dans ce système théra~peutique?
Mots-clés : ethnopsychiatrie, initiation, iboga, usage thérapeutique.
Et je terminerais en proposant une réflexion : lactivité thérapeutique de la plante est-elle a chercher dans la plante elle-même ou dans les paroles prononcées au moment du « prélèvement » dans la nature, ou encore dans le pouvoir de la personne qui cueille et soigne avec la plante ? Les thérapeutes traditionnels nous disent que le pouvoir de la plante réside dans la divinité propriétaire de la plante Dans ce cas, nos microscopes pourront-ils identifier une divinité ?
Amitiés
Sandrine Dekens
Orphelins Sida International et Centre Georges Devereux
Dernière référence : Film ethnographique (que je nai pas vu malheureusement), « Iboga, les hommes du bois sacré », de Gilbert Kelner (Gabon, 2002), 53