Bonjour,
Je suis toujours étonné qu'au fil des discussions et messages répétés qui ont pour objet les questions de "médicaments illicites", les réponses et les solutions réclamées - qu'elles proviennent du monde professionnel (eg, les pharmaciens, les ordres de pharmaciens, l'inspection pharmaceutique) ou institutionnel (eg, ministère de la santé, les industriels du médicament, le monde politique, etc.), soient toujours centrées sur le seul aspect de la répression et de la pénalisation.
Si l'existence et la dynamique d'un secteur pharmaceutique informel doit être combattue, qu’il s’agisse de médicaments falsifiés ou détournés, si la qualité du médicament n’est pas questionnable, pourquoi les seuls instruments disponibles ne seraient que la répression et l'exemplarité des sanctions (eg, convention « Medicrime », autodafé de médicaments suspects). Certes le pénal est indispensable et a sa place, surtout quand ce marché illicite est parfois aux mains de groupes organisés dont les seules motivations sont d'ordre financière et n’ont rien avoir avec la santé des populations. Si cette situation est ancienne (la falsification et l’informel accompagne toute l’histoire de la pharmacie jusqu’à nos jours, notamment dans les pays occidentaux : des quid pro quo du Moyen Age, aux thériaques du XIXème siècle scientiste et au XXIème siècle des pilules miracles de l’e-commerce), elle est de plus en plus préoccupante car répandue, sans frontières et en développement extensif, et que les falsificateurs en pharmacie ont toujours un coup d’avance sur la police pharmaceutique, quand elle existe.
Jamais – ou rarement, n’est mentionné ce qui est une des moteurs de ce problème complexe, à savoir la demande et les attentes des individus et des populations. L’homme, la femme, la famille quand l’un des siens est malade et nécessite une prise en charge médicamenteuse et si ce besoin est fondé attend une réponse spécifique et appropriée, qui - si elle a été analysée par les anthropologues et les sociologues (cf. M. Akrich ou D. Fassin), a été le plus souvent ignorée de la communauté pharmaceutique.
Il/elle (le malade) a besoin d’une pharmacie privée ou publique ou d’un dépôt pharmaceutique qui lui soit accessible géographiquement et culturellement. Généralement les pharmacies sont concentrées dans les zones urbaines où souvent n’y vit pas la majorité de la population, et les dépôts officiels ou officieux sont disséminés et rares car les pharmacies y voient une concurrence ou une atteinte à leur monopole pharmaceutique et commercial. Cette officine pharmaceutique dans sa vitrine, son affichage et son fonctionnement à modernité revendiquée - qu’elle soit à Bamako ou Antananarivo, est la copie conforme de celle que l’on trouve à Marseille ou à Saint Denis : ne nous étonnons pas qu’elle puisse apparaitre comme un lieu étranger et inhospitalier pour beaucoup. La famille et le patient - qu’elle que soit sa culture ou ses racines, attend du pharmacien qu’il ait une capacité d’écoute, de compréhension, de confiance et non qu’il soit un simple distributeur exclusif ou un revendeur patenté, car le médicament est plus qu’une boîte, un flacon ou un RCP, c’est un objet technique et social au cœur de la relation thérapeutique et de soins. Même si c’est à déplorer et que cela comporte des risques certains, le plus souvent le secteur informel est plus à même de répondre directement à ces attentes par le biais et la proximité géographique et culturelle des étals retrouvés sur les marchés, des pharmacies « par terre », ou des réseaux de vente clandestins qu’ils aient une assise confessionnelle ou communautaire. Le secteur informel occupe ainsi une niche que le secteur formel (la pharmacie d’officine) ne sait pas toujours remplir.
Le malade et sa famille dans sa recherche d’un traitement médicamenteux en lien avec son besoin de santé, attendent de la communauté, de la région ou de l’Etat qu’existe un cadre socialisé de prise en charge de l’épisode maladie (eg, mutuelles de santé). Etre malade est synonyme de dépense financière induite (achat de médicaments, hospitalisation, frais de déplacement) - surtout quand l’antienne de la communauté internationale a été depuis l’Initiative de Bamako (1987) « le recouvrement des coûts » (c'est-à-dire faire payer le malade au moment où il est malade), permettant plus ou moins aux Etats de se défausser de leurs responsabilités sociales sur le dos du patient et de faire fonctionner des formations sanitaires dont les lits sont parfois à moitié-vide car peu accueillantes. Etre malade, signifie également une charge pour la famille, car si le malade coûte, il devient en outre inapte pour subvenir aux besoins de la famille ou du groupe. Alors quand vous êtes hospitalisé et que l’hôpital - soit par rupture de stock, absence de référencement ou mauvaise gestion, vous envoie à la pharmacie installée juste en face (car ce type d’aller et retour est fréquent) où le prix de vente correspond à la seule logique économique, où le médicament générique est rare car le ministère de la santé n’a pas de politique incitative et que les industriels du médicament dénigrent jusqu’à la caricature et sans opposition ces médicaments, que l’officinal ne peut ou ne veut pas déconditionner et vous donne et vend 28 comprimés alors que vous n’en avez besoin que de 10, que l’on n’y trouve pas de « médicaments traditionnels améliorés »… alors le patient, et même si c’est une supercherie maligne et un risque de retard de soins (qui peut coûter cher à terme, mais quand on vit au jour le jour…), préfère ou se contraint à aller faire affaire avec le secteur informel de proximité.
Alors si le secteur informel est bien sûr une réponse inadéquate à une attente légitime et mal prise en compte (pouvoir se ou être soigné selon ses besoins), elle reste pour une grande partie de la population de nombreux pays l’unique et seule alternative offerte, par défaut. Se concentrer sur la seule répression et les actions pénales – outre que cela apparaitra rapidement comme une simple défense d’intérêts corporatistes (défense de la profession, lutte contre les atteintes au monopole, malthusianisme professionnel, extension abusive du droit des brevets, etc.), n’empêchera jamais le secteur informel de proliférer.
Patrice Trouiller
Université de Grenoble
Centre Hospitalier Universitaire de Grenoble