[e-med] (8)Essais prévention du sida en Afrique : les manquements

Bonjour,

J'ai du mal à comprendre en quoi une recherche en chimioprophylaxie
serait moins intéressante qu'un vaccin. La prévention chimique, que ce
soit par les microbicides ou par une chimioprophylaxie sont des pistes
à explorer. Le vaccin préventif ne donne pour l'instant pas de meilleur
résultat.

J'ai bien conscience qu'il y a un intérêt commercial derrière le
ténofovir et que les essais ont été menés par dessus la jambe du point
de vue éthique.

Il y a pourtant un énorme marché pour ce genre de produit et c'est
prendre un peu les futurs utilisateurs et utilisatrices pour des naïfs
que de croire qu'il ne vont pas se lancer à corps perdu sur cette
possibilité quand elle deviendra réelle. Cela fait plus de 20 ans
qu'on insiste auprès des populations, au Nord comme au Sud pour
utiliser le préservatif. Cette forme de prévention connaît ses limites,
comme on le voit par exemple au Nord avec le relâchement de la
prévention chez les gays. Il existe maintenant un discours de rejet du
préservatif, très construit et qui a ses adeptes. Du fait de la
prévalence élevée dans cette population, il y a aussi chez certains une
fatalité face à la contamination. La réponse est de proposer d'autres
outils complémentaires de prévention, soit le vaccin préventif soit la
prévention chimique. Si certains en ont assez de la capote, ils seront
les premiers à utiliser la chimioprophylaxie. Il faut être lucide. A la
vitesse à laquelle évolue l'épidémie en Afrique, que va-t-il se passer
dans 5 ans, dans 10 ans ou dans 20 ans en Afrique du point de vue de la
prévention ? Y aura-t-il diminution dans tous les pays, augmentation
encore dans certains, ou stabilisation ? Je ne sais pas. Dans les
communautés gays en Occident, dont on connaît l'épidémiologie depuis
pas mal d'années, on peut constater que si il y a eu une baisse des
contaminations celles-ci restent tout de même reste à un niveau
important. Depuis près de 10, dans la région de Londres, qui englobe la
majorité des contaminations du Royaume Uni, le taux de contamination
chez les gays est simplement à la moitié de ce qu'il a été au plus fort
de l'épidémie. La moitié, ce n'est tout de même pas rien. Alors, si
depuis 10 ans , ce taux reste stable à un niveau élevé, c'est donc que
la capote n'est pas le seul outil suffisant pour répondre à l'épidémie.
C'est de l'efficacité à long-terme de la capote comme outil convaincant
de prévention dont il est question, en Europe, en Afrique et ailleurs.

On peut donc dire dès à présent qu'il y aura un marché rentable au Nord
pour ces produits. Les militants gays américains ont bien compris
l'intérêt de ce type de prévention. Voir à ce sujet :
http://www.thebody.com/treat/tenofovir_research.html . Voir aussi le
projet T (http://www.sfaidsresearch.org/documents/ProjectTFactSheet.pdf
). Elle devient urgente (ce qui ne veut pas dire qu'il faut faire les
essais même dans des conditions déplorables comme certains militants
sida (et gays) américains sont prêt à l'accepter pour l'essai au
Cameroun). Et il se passera la même chose qu'avec les ARV, il n'y aura
aucune raison éthique valable pour que cette prévention ne puisse alors
pas être disponible à un coût abordable pour les habitants du Sud. On
se battra pour lors d'un nouveau Vancouvers.

Qu'un produit puisse être pris tout les jours, ou, ce serait mieux,
juste avant ou après un acte sexuel, pour prévenir une infection, ce
sera un peu du même ordre que la pilule pour éviter la grossesse. La
pilule a été un énorme progrès par rapport aux méthodes de
contraception précédentes. Pourtant c'est chimique. On est entouré
d'éléments chimiques dans notre vie de tous les jours. Alors un de plus
ne fera peur à personne.

Eric Rofes, un activiste américain des luttes civiques gays mais aussi
contre le sida, m'a dit lors d'une récente interview : " Ils ont l’air
de penser qu’il est étrange que des gays puissent avoir des rapports
oraux ou anaux sans capote. Je ne trouve pas que ce soit bizarre. ".
C'est là que se trouve la direction que prendront les utilisateurs,
qu'ils soient gays ou hétéros dans leur pratique sexuelle. Inutile de
voir les choses avec la seule raison logique. Les pratiques des
personnes influencent les stratégies de prévention. Il faut en tenir
compte. Certains continueront à mettre du latex, d'autres s'en
passeront avec plaisir.

Ce qui est scandaleux c'est qu'un essai dont l'enjeu vaut la chandelle
et qui se situe sur une question aussi importante puisse être menée de
manière aussi légère. Et que si peu d'associations ou d'acteurs de
lutte contre le sida se soient mobilisés pour forcer les agences
publiques, les comités éthiques à faire leur job correctement en
recherche en prévention chimique (dont vaccinale). Ce qui veut donc
bien dire que beaucoup trop pensent que la seule solution face à la
contamination, c'est le préservatif et n'imaginent pas que tenir un
discours de prévention basé sur le préso pendant plusieurs décennie est
très difficile.

Cordialement
Olivier Jablonski
www.theWARNING.info