Cher amis,
Je voudrais attirer votre attention sur deux articles publiés récemment par
notre département. L'un d'eux, intitulé « L'accès aux médicaments essentiels
comme partie de l'accomplissement du droit à la santé est-il applicable par
les tribunaux ?», paraîtra dans le prochain numéro de The Lancet le 22
juillet. En voici le résumé :
**Hogerzeil HV, Samson M, Casanovas J, Rahmani-Ocora L. Is access to
essential medicines as part of the fulfillment of the right to health
enforceable through the courts?
Lancet 2006; 368: 305-311.
Contexte
La plupart des pays du monde sont parties prenantes d'un ou de plusieurs
traités de droit de l'Homme internationaux, créant ce faisant une obligation
des états auprès de leurs populations concernant la réalisation du droit à
la santé qui inclut l'accès aux médicaments essentiels. Mais nous ne savons
pas si un tel accès est applicable en pratique.
Méthode
Nous avons fait une recherche systématique afin d'identifier dans les pays à
faible et moyen revenus les affaires terminées pour lesquelles des individus
ou des groupes d'individus ont revendiqué l'accès aux médicaments essentiels
références à l'appui, au droit à la santé en général ou à des traités plus
spécifiques portant sur les droits de l'Homme ratifiés par le gouvernement.
Nous avons identifié et analysé 71 affaires dans 12 pays pour lesquelles l'accès
aux médicaments essentiels avait été revendiqué avec référence au droit à la
santé.
Résultats
Dans 59 affaires, l'accès aux médicaments essentiels comme partie de l'accomplissement
du droit à la santé pourrait en effet être appliqué par les tribunaux, la
plupart des pays provenant d'Amérique Centrale et Latine. Ce succès était
principalement lié à des dispositions constitutionnelles concernant le droit
à la santé, appuyées par les traités de droits de l'Homme. Un lien existant
entre le droit à la santé et le droit à la vie et le soutien des
organisations non gouvernementales d'intérêt public ont également contribué
à ce succès. Des cas individuels ont généré des allocations au travers d'un
groupe de la population, le droit à la santé n'était pas restreint par les
limitations de la couverture de sécurité sociale et les politiques
gouvernementales ont été contestées avec succès devant le tribunal.
Interprétation
Un litige habile peut être utile pour faire en sorte que ces gouvernements
remplissent leurs obligations issues des traités constitutionnels et
internationaux. De telles affirmations sont précieuses en particulier dans
les pays où les systèmes de sécurité sociale sont toujours en cours de
développement. Cependant, des mécanismes de réparation par les tribunaux
devraient être utilisés en dernier ressort. Les décideurs devraient même
plutôt faire en sorte que les standards des droits de l'Homme guident leurs
politiques et leurs programmes de santé dès le début.
Commentaire personnel
Pour autant que nous le sachions voici la première analyse systématique de l'effet
et de l'impact de telles affaires dans les pays en développement. Hormis l'identification
de ces affaires en vue d'une étude juridique supplémentaire, l'analyse
montre que quelques-unes de ces affaires constituent des événements marquant
d'un point de vue juridique puisqu'ils ont changé les politiques
gouvernementales et ont eu un fort impact sur de nombreux patients. En ce
qui me concerne, la conclusion principale de cette étude est par conséquent
que de telles affaires peuvent en effet faire la différence. Le fait que les
affaires qui ont eu le plus de succès jusqu'ici aient eu lieu en Amérique
Centrale et Latine pourrait encourager les individus et les groupes de
patients des autres continents.
L'autre article, qui est paru dans le bulletin de l'OMS en mai 2006, décrit
comment un décideur pourrait incorporer une approche de droits de l'Homme
dans ses programmes pharmaceutiques nationaux.
En voici le résumé :
**Hogerzeil HV. Essential medicines and human rights: what can they learn
from each other? WHO Bull 2006; 84: 371-375
Résumé
La plupart des pays ont adhéré à au moins une convention ou un traité
mondial ou régional confirmant le droit à la santé. Après des années de
discussions internationales sur les droits de l'Homme, de nombreux
gouvernements commencent maintenant à mettre en application leurs
engagements. Un exemple pratique serait d'une aide précieuse pour ces
gouvernements dont le but est de mettre en pratique leurs obligations
émanant des traités internationaux. Le programme de l'OMS pour l'accès aux
médicaments essentiels constitue un exemple de la manière dont cette
transition, des principes légaux à l'application pratique, peut être menée.
Ce programme est compatible avec les principes des droits de l'Homme depuis
son commencement au début des années 1980, dans le sens où il se focalise
sur l'accès équitable aux médicaments essentiels. Cet article présente un
bref tour d'horizon de ce que mentionnent les instruments de droits de l'Homme
concernant l'accès aux médicaments essentiels et propose cinq questions d'évaluation
et des recommandations pratiques pour les gouvernements. Ces
recommandations couvrent la sélection de médicaments essentiels, la
participation au développement du programme, les mécanismes de transparence
et d'imputabilité, l'accès équitable par les groupes vulnérables et les
mécanismes de réparation.
Commentaire personnel
La question-clef dans cet article est de se demander quelle est la valeur
ajoutée d'une approche juridique dans un bon programme de santé publique. La
réponse-clef est que la plupart des programmes de médicaments essentiels ne
font pas mal mais pourraient toujours faire mieux. Suivent les cinq
questions d'évaluation, pour alimenter la réflexion :
Cinq questions d'évaluation (tirées d'un article du Bulletin)
1) Quels médicaments essentiels sont couverts par le droit à la santé ?
La constitution nationale, ou toutes autres lois nationales, reconnaît-elle
le droit de chacun à la jouissance du plus haut standard de santé réalisable
? Existe-t-il des lois qui spécifient la responsabilité du gouvernement dans
l'assurance d'un accès équitable aux médicaments essentiels ? Existe-t-il
une liste nationale de médicaments essentiels mise à jour au cours des deux
dernières années ?
2) Les bénéficiaires des programmes pharmaceutiques ont-ils tous été
consultés ?
Existe-t-il une politique pharmaceutique nationale mise à jours au cours des
dix dernières années ? Les associations de patients et les communautés
rurales ont-elles été consultées quand la politique et le programme
pharmaceutiques nationaux ont été développés ?
3) Existe-t-il des mécanismes de transparence et d'imputabilité ?
La politique pharmaceutique nationale décrit-elle les obligations des
diverses parties prenantes ? Existe-t-il une base de données ciblée sur l'accès
aux médicaments essentiels d'après laquelle l'état d'avancement peut être
mesuré ?
4) Les groupes vulnérables ont-ils tous un accès égal aux médicaments
essentiels ? Comment le savez-vous ?
Des statistiques d'accès non agrégés sont-ils disponibles pour les jeunes
filles, les jeunes garçons, les femmes, les hommes et pour les populations
urbaines et rurales ? Les médicaments essentiels sont-ils disponibles en
prison ? Les matériels de formation et les brochures d'information sur le
médicament sont-ils disponibles dans toutes les langues ethniques communes ?
5) Existe-t-il des mécanismes de sauvegarde et de réparation dans un
cas de violation des droits de l'Homme ?
Des mécanismes juridiques sont-ils disponibles et ont-ils été utilisés pour
déposer des plaintes concernant le manque d'accès aux médicaments essentiels
?
Dans l'attente d'une discussion sur la manière dont ces idées peuvent être
mises en pratique, je vous adresse mes sincères salutations.
Dr Hans V. Hogerzeil
Director
Medicines Policy and Standards
World Health Organization
CH-1211 Geneva 27
Switzerland
Tel: +41-22-791-3528
Fax: +41-22-791-4730
email: hogerzeilh@who.int
[remerciements à M. Chosseler pour la traduction de cet article]