Bulletin de l'Organisation mondiale de la Santé
L'accès aux médicaments essentiels dans les Constitutions nationales
SK Perehudoff a, RO Laing b & HV Hogerzeil b
a.Faculté des Sciences exactes et des Sciences de la vie, Université libre d'Amsterdam,
Pays-Bas.
b. Département Médicaments essentials et politiques pharmaceutiques,
Organisation mondiale de la Santé, 20 Avenue Appia, 1211, Genève 27, Suisse.
Correspondance à adresser à Hans V Hogerzeil (courriel: hogerzeilh@who.int).
Bulletin de l'Organisation mondiale de la Santé 2010;88:800-800. doi:
10.2471/BLT.10.078733
https://www.who.int/bulletin/volumes/88/11/10-078733/fr/index.html#
L'accès aux médicaments essentiels est bien établi en droit international
comme faisant partie du droit au niveau de santé le plus élevé possible («le
droit à la santé»). Le Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels adopté en 1966 appelle les États Parties à prendre des
mesures pour garantir l'accès aux services médicaux pour tous. L'observation
générale 14, ajoutée en 2000, applique les principes d'accessibilité, de
disponibilité, d'adéquation et de qualité assurée des biens et services, y
compris des médicaments essentiels tels que définis par le Programme d'action
pour les médicaments essentiels de l'Organisation mondiale de la Santé
(OMS).
La prise en compte des principes du droit à la santé dans la Constitution
nationale est un facteur de réussite important pour l'application légale de
l'accès aux médicaments. Selon une étude, dans 11 pays à revenu
intermédiaire sur 12 dans lesquels des actions en justice couronnées de
succès en faveur de l'accès ont eu lieu, le texte de la Constitution
apportait un fondement juridique et dans le douzième pays, des traités
internationaux ratifiés par l'État ont valeur de droit national 1.
La reconnaissance dans la Constitution du droit d'accès aux produits et aux
technologies médicaux est donc devenue un indicateur de progrès des pays
dans le cadre du Plan stratégique à moyen terme de l'OMS pour 2008 20132. L'OMS
a récemment publié une première étude de base concernant cet indicateur,
comprenant une base de données et une analyse de tous les textes liés à la
santé figurant dans les Constitutions nationales 3.
L'étude rapporte que 135 Constitutions nationales sur 186 (73%) contiennent
des dispositions relatives à la santé ou au droit à la santé. Là-dessus, 95
(51%) mentionnent le droit d'accès aux établissements, aux biens et aux
services de santé, 62 (45%) font référence à l'équité et à la
non-discrimination et 111 (82%) contiennent un ou plusieurs articles
établissant le droit à être traité sur un pied d'égalité ou sans
discrimination.
Quatre Constitutions nationales (2%) mentionnent expressément l'accès
universel aux médicaments. Au Mexique, "(les femmes) ont droit aux soins
médicaux et obstétricaux, aux médicaments, aux soins infirmiers et aux
services de soins infantiles. Les membres de la famille d'un travailleur ont
droit aux soins médicaux et aux médicaments, dans les cas et dans les
proportions précisées par la loi»: au Panama, «l'État est au premier chef
tenu de (.) fournir des médicaments à tous». Aux Philippines, «l'État doit
(.) s'efforcer de mettre les médicaments essentiels, les services de santé
et autres services sociaux à la disposition de tous les individus à un coût
abordable». En République arabe syrienne, «l'État protège la santé des
citoyens et leur fournit les moyens de se protéger, ainsi que l'accès au
traitement et aux médicaments».
Certaines Constitutions telles que celles de l'Afrique du Sud, de Cuba et du
Nicaragua décrivent de façon très claire l'accès aux soins, aux biens et aux
services de santé en termes plus généraux en utilisant des expressions
telles que «sans exclusion», «tous» et «les citoyens indépendamment de».
Certains textes visent plus particulièrement les groupes pauvres et
défavorisés, par exemple au Nicaragua, aux Philippines et au Viet Nam. Les
Constitutions de l'Équateur et du Panama précisent que des politiques
pharmaceutiques nationales seront établies et mises en ouvre pour respecter
les obligations constitutionnelles.
Il existe au moins trois moyens différents pour reconnaître le droit à la
santé dans un cadre juridique national. L'engagement gouvernemental le plus
fort consiste à inscrire le droit aux biens et services essentiels dans la
Constitution nationale. La deuxième approche consiste à reconnaître dans la
Constitution que les traités internationaux ratifiés par l'État ont valeur
de droit national ou s'y substituent. Cette option est ouverte à 31 pays et
a déjà été utilisée en Argentine dans le cadre d'une décision de justice
historique 4. La troisième option, à savoir l'inscription du droit à la
santé dans d'autres textes législatifs nationaux, est plus facile à mettre
en place mais également plus facile à modifier ou à annuler. C'est le sujet
d'une autre étude en cours.
La gamme complète des stratégies visant à promouvoir l'accès universel aux
médicaments essentiels à travers une sélection rationnelle, des prix
abordables, un financement durable et des systèmes de santé fiables a fait l'objet
de nombreux autres documents 5,6. La reconnaissance dans la Constitution du
droit d'accès aux médicaments essentiels est un signe important d'engagement
national, mais n'est ni une garantie ni une mesure essentielle - comme l'ont
montré les pays dont les systèmes de santé laissent à désirer bien que la
Constitution contienne des dispositions satisfaisantes et ceux dans lesquels
l'accès est satisfaisant sans que la Constitution ne le stipule.
Mais de nombreuses actions en justice menées dans les Amériques ont montré
que la reconnaissance dans la Constitution constituait un élément important
sur lequel se fonder, notamment dans les pays à revenu intermédiaire où des
systèmes d'assurance-maladie sont en train d'être mis en place et où les
patients sont de plus en plus conscients de leurs droits et s'expriment
davantage pour les exiger 1. Les textes constitutionnels plus récents
semblent comporter des engagements plus forts et peut-être est-ce le reflet
de l'influence positive de l'évolution du droit à la santé dans le monde
depuis cinquante ans.
Les possibilités offertes sur le plan politique pour actualiser la
Constitution d'un pays sont une chance d'aligner les valeurs et les
aspirations nationales sur les normes internationales en matière de droits
de l'homme. Les nouveaux textes constitutionnels devraient donc prendre en
compte les principes essentiels en matière de droits de l'homme et plus
précisément le droit à la santé et l'accès équitable aux biens et services
médicaux essentiels. Les cadres constitutionnels pourront alors exprimer
véritablement les aspirations sur lesquelles fonder d'autres textes
législatifs ou politiques. Les exemples recensés dans l'étude récente de l'OMS
pourraient servir de modèle.
Références
Hogerzeil HV, Samson M, Casanovas JV, Rahmani-Ocora L. Is access to
essential medicines as part of the fulfilment of the right to health
enforceable through the courts? Lancet 2006; 368: 305-11 doi:
10.1016/S0140-6736(06)69076-4 pmid: 16860700.
Medium-term strategic plan 2008-2013. Geneva: World Health Organization;
2007:87.
Perehudoff SK. Health, essential medicines, human rights and national
constitutions. Amsterdam: Vrije Universiteit Amsterdam; 2008.
http://www.who.int/medicines/areas/human_rights/Perehudoff_report_constitutions_2008.pdf
[vérifié le 7 octobre 2010].
Campodonico de Beviacqua. Ana Carina vs. Ministerio de Salud y Acción
Social. Constitutional Court. File C. 2000;823:XXXV [Argentina].
Implementing the third WHO medicines strategy 2008-2013. Geneva: World
Health Organization; 2009. Available from: www.who.int/medicines [vérifié le
7 octobre 2010].
Hogerzeil HV. Human rights and essential medicines: what can they learn from
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10.2471/BLT.06.031153 pmid: 16710546.