BRUXELLES — Quelques dizaines de personnes revêtues de blouses blanches
ont manifesté sans incident vendredi devant le bâtiment où se déroulait le
sommet UE-Inde à Bruxelles pour réclamer le libre accès aux médicaments
génériques dans les pays pauvres.
"J'ai vu trop de gens mourir. Nous avons besoin de ces médicaments", a dit
le docteur Tido von Schoen-Angarer, directeur de la campagne de Médecins
sans Frontières pour l'accès aux médicaments essentiels.
MSF critique certaines dispositions des négociations en cours sur un
accord de libre-échange entre l'UE et l'Inde, qui pourraient compliquer
l'accès aux médicaments génériques pour les pays pauvres.
L'UE et l'Inde négocient depuis 2007 pour tenter d'aboutir à un accord de
libre-échange qui pourrait être conclu au printemps. Il s'agit de
"négociations laborieuses", a affirmé le Premier ministre indien, Manmohan
Singh, à l'issue de la réunion à laquelle participaient notamment le
président de l'UE, Herman Van Rompuy, le président de la Commission José
Manuel Barroso et le commissaire au Commerce Karel De Gucht.
Selon MSF, le projet d'accord actuellement en discussion "contient
plusieurs dispositions alarmantes sur la propriété intellectuelle, plus
strictes que ne l'exige aucun règlement de commerce international, et qui
menacent l'approvisionnement de médicaments essentiels venus d'Inde",
notamment pour le traitement du sida.
Parmi ces dispositions, MSF met en cause "l'exclusivité des données" qui
obligerait les groupes génériques désirant déposer un médicament à "mener
à nouveau tous les essais cliniques".
Si ce principe était mis en place, les fabricants indiens de médicaments
génériques ne pourraient plus se baser sur les données cliniques
existantes pour obtenir l'autorisation de mise sur le marché de leurs
propres médicaments.
Ils devraient mener eux-mêmes leurs proches recherches cliniques, au
risque d'augmenter sensiblement leur coût de production et, par
conséquent, leur prix de vente.
Plus de 80% des antirétroviraux utilisés pour traiter plus de cinq
millions de patients dans les pays en développement sont fabriqués en
Inde.
Au cours de ces dix dernières années, les prix des médicaments génériques
fabriqués en Inde ont diminué de 99%. Le coût annuel pour le traitement
d'un malade du sida est ainsi passé de 1.000 dollars à 70 dollars.
Plusieurs cargaisons de médicaments génériques indiens ont été stoppées
dans plusieurs pays de l'Union européenne ces dernières années alors
qu'ils étaient en transit, notamment à Francfort (mai 2009) et Paris
(octobre 2009).
Le premier cas remonte à fin 2008-début 2009 quand les Pays-Bas ont retenu
un bateau venant d'Inde et faisant escale à Rotterdam avant de rejoindre
le Brésil, le navire ayant été renvoyé à son expéditeur, pour "violation
de propriété intellectuelle".
Le Brésil et l'Inde, grands producteurs de génériques, ont d'ailleurs
porté plainte le 12 mai contre l'UE auprès de l'Organisation mondiale du
commerce (OMC) pour avoir empêché la livraison de ces génériques.
Dans leurs plaintes séparées, les deux pays ont accusé d'une même voix
Bruxelles d'avoir agi contre les règles du commerce mondial, estimant que
les pays développés utilisent le prétexte de la lutte contre la
contrefaçon pour empêcher la vente de génériques faisant concurrence à
ceux produits par leurs laboratoires.