N A T I O N S U N I E S
Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA)
Réseaux d'Information Régionaux Intégrés (IRIN)
AFRIQUE DU SUD : Certains patients sont 'moins égaux que d'autres'
JOHANNESBOURG, le 2 octobre (IRIN) - L'Afrique du Sud est le pays qui compte
le plus grand nombre de personnes sous traitement antirétroviral (ARV) au
monde, mais les patients des neuf provinces sud-africaines n'ont pas tous le
même accès au programme de distribution gratuite d'ARV lancé par le
gouvernement en avril 2004, selon des organisations de la société civile.
Dans certaines provinces, les ressources sont nombreuses, alors que dans
d'autres, les agents de santé doivent se battre pour parvenir à prodiguer
des soins à leurs patients. En revanche, les centres sanitaires du pays ont
tous un point en commun : ils manquent de personnel et sont débordés de
travail.
La province du Gauteng, coeur économique de l'Afrique du Sud, qui abrite
Johannesburg, est la province à la fois la plus petite et la plus peuplée du
pays. Elle abrite neuf millions d'habitants, dont plus de 1,4 million de
personnes séropositives.
Elle affiche le produit intérieur brut par habitant le plus élevé d'Afrique
du Sud. Son taux de prévalence du VIH/SIDA atteint les 14,3 pour cent - soit
le deuxième taux le plus élevé du pays.
Cette province est celle qui compte le plus grand nombre de patients
séropositifs sous traitement ARV. Il s'agit également de la province où le
ratio médecins/patients est l'un des plus élevés du pays.
Le Johannesburg General, le grand centre hospitalier universitaire de la
mégalopole sud-africaine, compte parmi les premiers sites de la province du
Gauteng à avoir distribué gratuitement des traitements ARV aux malades
porteurs du virus. A l'heure actuelle, il soigne plus de 3 000 patients
séropositifs.
Les services de traitement ARV de l'hôpital emploient 15 médecins et un
grand nombre d'infirmières formées. Ces services bénéficient de la présence
d'experts médicaux et de stratégies innovantes qui permettent de surveiller
la charge virale d'un patient.
Pourtant, «nos services ne seront jamais suffisants», a déclaré le
professeur Jeff Wing, directeur des services VIH/SIDA de l'hôpital. «Nous ne
pouvons soigner plus de 150 patients par jour, nous dirigeons donc les
malades vers d'autres services.»
Lorsque les patients ont débuté un traitement et que leur état de santé
s'est stabilisé, ils sont dirigés vers d'autres services afin de laisser la
place aux nouveaux malades. Grâce à ce système, les patients ne doivent
attendre qu'une ou deux semaines avant d'être reçus par l'équipe du
professeur Jeff Wing.
Les temps d'attente dans le service VIH/SIDA du Johannesburg general ont été
réduits en dépit d'une file active de 3 000 patients
Le professeur Wing a salué l'aide précieuse fournie par les organisations
non gouvernementales (ONG) : l'Unité de recherche sur le VIH et la santé de
la reproduction (RHRU, en anglais) de l'Université de Witwatersrand se
charge de payer le salaire d'un médecin, de deux agents sanitaires et d'un
pharmacien. L'ONG locale Community AIDS Response (CARE) propose, quant à
elle, les services de plusieurs conseillers.
«Sans cette aide, nous serions face à de grandes difficultés», a souligné
Sour Ursula Malao, responsable des services VIH/SIDA. Les services
nécessitent davantage d'infirmières, de conseillers et surtout d'un autre
pharmacien, a-t-elle cependant ajouté.
<b>Des objectifs loin d'être atteints</b>
Le Joint Civil Society Monitoring Forum, un regroupement de diverses
organisations universitaires, médicales et privées qui rédigent des rapports
sur le programme de distribution gratuite d'ARV, a noté, en juin dernier,
que le programme gouvernemental était menacé par une pénurie d'agents
médicaux formés, notamment «de pharmaciens, dans les provinces riches, comme
celle du Gauteng.»
Deanne Hazle, une étudiante en pharmacie qui effectue son service
communautaire au Johannesburg Central, est l'unique pharmacienne à plein
temps de l'hôpital. Elle est chargée de commander, contrôler et distribuer
les traitements destinés aux patients des services VIH/SIDA, de maternité et
de pédiatrie.
La pénurie de pharmaciens qui touche les hôpitaux publics ne la surprend
pas, compte tenu de la différence de salaire entre le service public et
privé.
Nicoli Nattrass, chercheur auprès de l'Unité de recherche sur le sida et la
société de l'Université de la ville du Cap, vient de publier une évaluation
du programme de distribution gratuite d'ARV en Afrique du Sud. Le
gouvernement s'était fixé comme objectif de placer un certain nombre de
patients sous traitement ARV avant la fin de l'année 2005.
Selon cette évaluation, seulement 30 pour cent du nombre de malades
initialement prévu ont pu avoir accès à des traitements auprès des services
publics, un pourcentage qui aurait certainement été encore plus faible sans
l'aide précieuse des ONG et des agences internationales de financement.
D'après le docteur Nomonde Xundu, responsable de l'unité VIH/SIDA du
gouvernement, l'objectif que s'était initialement fixé le gouvernement avait
été défini en fonction de données qui surestimaient considérablement les
besoins. Elle a néanmoins reconnu l'importance de l'aide apportée par les
bailleurs de fonds, tout en mettant en garde contre les programmes financés
par le service public et privé qui se recoupaient et qui gaspillaient les
ressources.
La province rurale de Mpumalanga, dans le nord-est du pays, affiche un taux
de prévalence du VIH/SIDA de 13,3 pour cent - le quatrième taux le plus
élevé du pays. On compte 446 000 personnes séropositives dans la province de
Mpumalanga, soit environ un tiers de moins que dans la province du Gauteng.
Certains patients parcourent plus de 100 kilomètres pour se rendre à
l'hôpital de Mapulaneng dans la province rurale du Mpumalanga
Cependant, en termes d'accès au traitement, fin 2005, la province de
Mpumalanga figurait parmi les plus mauvais élèves et arrivait avant-dernière
du classement.
Selon le docteur François Venter, spécialiste du VIH/SIDA auprès du RHRU de
l'Université de Witwatersrand, les chiffres ne correspondent qu'à la partie
émergée de l'iceberg. D'autres provinces dont les ressources sont aussi ou
encore plus limitées que celles de la province de Mpumalanga sont parvenues
à proposer des traitements à un plus grand nombre de patients.
<b>Moins de moyens mais plus d'efficacité</b>
Par exemple, les services sanitaires de la province du Nord-Ouest disposent
de moins de ressources financières, de médecins et d'infirmières que ceux de
la province de Mpumalanga.
Cependant, ils proposent des ARV à 24,5 pour cent des malades porteurs du
virus de la province, contre 20,9 pour cent à Mpumalanga. Cette différence
vient «d'un leadership fort et efficace», a analysé M. Venter.
Le service de traitement VIH/SIDA de l'hôpital Tintswalo, situé à Acornhoek,
une ville de la province de Mpumalanga, est géré par le Rural AIDS
Development Action Research Programme (RADAR), un programme mis en place par
la faculté de santé publique de l'Université de Witwatersrand et l'Ecole
d'hygiène et de médecine tropicale de Londres.
Ce service a ouvert ses portes en octobre 2005 et n'emploie que deux
médecins à temps complet et sept infirmières. Pourtant, il est parvenu à
prendre en charge 517 patients en seulement 10 mois, en adoptant une
démarche similaire à celle adoptée par le Johannesburg General.
RADAR propose une formation aux infirmières afin de les responsabiliser au
maximum. Ainsi, le rôle des médecins consiste uniquement à aider les
infirmières. Une ONG locale se charge de surveiller les patients qui ne
viennent pas chercher leur traitement.
«Dans la plupart des hôpitaux, c'est l'inverse qui se passe», a affirmé le
docteur Mosa Moshabela. «Cette démarche nous permet de prendre en charge un
grand nombre de patients.»
D'après Regina Mathumbu, coordinatrice du programme, la principale
différence entre l'hôpital Tintswalo et celui de Johannesburg ne provient
pas de la qualité des services, mais de la situation socio-économique des
patients.
En effet, dans la province de Mpumalanga, une région extrêmement pauvre, où
le taux de chômage atteint les 70 pour cent et le niveau d'éducation est
bas, la plupart des malades consultent des tradipraticiens et ne se rendent
dans les hôpitaux que lorsqu'ils sont à un stade avancé de la maladie.
Par conséquent, le personnel médical doit non seulement leur prescrire un
traitement ARV, mais également leur fournir des compléments nutritionnels,
traiter les infections opportunistes et les informer de l'importance de
l'observation du traitement.
«Nous sommes au maximum de nos capacités», a déclaré Regina Mathumbu. «Mais
nous ne pouvons pas rejeter les patients.»
L'hôpital Mapulaneng, situé à Bushbuckridge, dans la province de Mpumalanga,
à 35 kilomètres au sud de Tintswalo, a ouvert ses portes en septembre 2004.
Bien que l'hôpital ne compte qu'un médecin à plein temps au sein de son
équipe, il propose des traitements ARV à quelque 900 patients séropositifs.
<b>Trop peu de centres de traitements locaux</b>
Sans les ressources et les formations proposées par RADAR, les cliniques
rurales, inégalement réparties sur le territoire sud-africain, seraient
submergées de travail. Selon le docteur Nomonde Xundu, l'ouverture de
centres de santé dans les zones rurales dépend des infrastructures locales
telles que les routes, les transports publics et les systèmes de
communication.
«Au début, la province s'était engagée à accréditer davantage de cliniques»,
a fait savoir Lizzy Maluleke, une infirmière chargée de la mise en place du
programme de distribution d'ARV depuis l'ouverture du service VIH/SIDA de
l'hôpital Mapulaneng. «Mais certains patients doivent parcourir plus de 100
kilomètres [pour recevoir un traitement ARV] car leur hôpital local n'a pas
encore reçu d'accréditation.»
Tony Molapo, un médecin de Tintswalo qui propose ses services à la clinique
de Mapulaneng une fois par semaine, a expliqué que certains patients
mouraient avant d'avoir accès aux ARV.
Lizzy Maluleke a affirmé qu'il n'y avait pas de liste d'attente, mais a
reconnu que l'hôpital Mapulaneng manquait de personnel et de lits.
Habituellement, les patients arrivent très tôt le matin, remplissent la
clinique et attendent pendant de longues heures.
Selon le Programme commun des Nations unies sur le sida (Onusida), 78 pour
cent des patients dont l'état de santé requiert des ARV en Afrique du Sud y
ont accès. Pour des organisations de lutte contre le sida, comme le groupe
de pression Treatment Action Campaign (TAC), la distribution lente et
inégale d'ARV en Afrique du Sud est due au manque d'engagement et de
leadership de la part du gouvernement au niveau national et régional.
Le docteur Nomonde Xundu ne partage pas ce point de vue et a expliqué que le
programme gouvernemental de cinq ans n'était qu'à la mi-parcours et que le
ministère de la Santé avait déposé une requête au ministère des Finances en
vue d'obtenir des financements supplémentaires en faveur des services de
traitement ARV.
Selon le professeur Wing, la lenteur de la distribution des traitements ARV
est liée à un manque de compétences plutôt qu'à un manque de financement.
«Aller trop vite reviendrait à sacrifier la qualité au profit de la
quantité. Il faut réussir à trouver la bonne vitesse», a-t-il souligné.
Le docteur Mosa Moshabela partage le point de vue du professeur Wing : «Une
certaine lenteur est acceptable. Nous n'avions aucune expérience des ARV,
nous devions voir comment réagissaient les patients. Nous pouvons désormais
procéder plus rapidement.»
«Les 140 000 personnes qui sont venues dans nos services pour recevoir un
traitement étaient des patients faciles, soigner les 140 000 prochains
malades sera beaucoup plus difficile», a averti François Venter.
Il a souligné que l'Afrique du Sud avait certes le plus grand plan national
de traitement ARV au monde, mais également le plus grand nombre de personnes
séropositives. «Il faut que les gens cessent de croire que nous maîtrisons
la situation. Nous venons à peine de nous pencher sur le problème.»
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