(Et peut-être pas qu¹en France ? CB)
COMMENT LA MONDIALISATION ENTRAÎNE DES PÉNURIES DE MÉDICAMENTS EN France
L¹antibiotique Doxycycline® vient de disparaître totalement des pharmacies
françaises.
Explication officielle: plus de matière première. Ces situations de
ruptures de stocks se multiplient et inquiètent. Les pays de l¹Union
européenne sont totalement désarmés vis-à-vis de la Chine et de l¹Inde
devenus des géants de la chimie pharmaceutique.
Par Jean-Yves Nau <http://www.slate.fr/source/jean-yves-nau>
publié le 10/01/2014 à 10h30, mis à jour le 10/01/2014 à 10h34
http://www.slate.fr/france/82085/mondialisation-penuries-medicaments-en-fra
nce
C¹est un nouveau choc pour médecins et pharmaciens: plus de doxycycline
dans les rayons officinaux. Et ce au moins jusqu¹à la fin mars. Ce
médicament est présent sous de multiples formes.
«La situation est assez préoccupante et les médecins prescripteurs vont
devoir gérer au mieux cette situation de pénurie, confie à Slate.fr le Dr
Caroline Semaille, l¹une des responsables de l¹Agence nationale de
sécurité du médicament (ANSM). Des alternatives médicamenteuses pourront
être trouvées mais la difficulté sera réelle dans certaines indications et
lorsque des traitements de longue durée plusieurs semaines ou plusieurs
mois ont été instaurés.»
Découverte il y a un demi-siècle, la doxycycline est une molécule devenue
médicament générique. Elle est très fréquemment prescrite dans le
traitement de nombreuses infections respiratoires, génitales, urinaires,
oculaires ou générales, dans le traitement de certaines formes d¹acné,
ainsi que dans la rosacée
<http://fr.wikipedia.org/wiki/Rosacée_(pathologie)>, voire dans la
prévention du paludisme. On indique encore à l¹ANSM que si la France n¹est
pas le seul pays européen concerné par cette situation de pénurie, c¹est
l¹un de ceux où ces médicaments sont les plus prescrits et les plus
consommés.
Pourquoi cette pénurie durable d¹un médicament essentiel?
Sans donner plus de précision, l¹ANSM indique aux professionnels
<http://ansm.sante.fr/S-informer/Actualite/Fortes-tensions-d-approvisionnem
ent-des-formes-orales-de-doxycycline-Point-d-Information> que c¹est «en
raison de l¹augmentation des demandes rencontrée par le principal
fournisseur de cette matière première au niveau européen»associée à «de
fortes tensions d¹approvisionnement des formes orales des médicaments
contenant de la doxycycline». On se refuse à donner plus d¹informations.
Et l¹ANSM invite les professionnels de santé à réserver les stocks
résiduels de ces médicaments aux seules indications qu¹ils jugent
indispensables. Ils devront faire preuve de «vigilance» et«privilégier les
alternatives thérapeutiques disponibles».
Les précédentsCette alerte à la pénurie est particulièrement
spectaculaire, mais elle n¹est pas la première. Un précédent avait fait un
certain bruit chez les professionnels et les patients concernés. C¹était à
la fin mars 2013 et la rupture de stock concernait le Lévothyrox®
<http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr/extrait.php?specid=653157
98> médicament hormonal essentiel prescrit aux personnes souffrant
d¹hypothyroïdie. Les prescripteurs et les pharmaciens avaient alors été
informés par voie de presse. Le ministère de la Santé faisait état de
«tensions persistantes»sur le marché et la multinationale Merk Serono, en
situation de quasi-monopole, avait mis à la disposition des pharmaciens
l¹Eutirox®, spécialité proche mais alors commercialisée en Italie. On
découvrit à cette occasion que l¹approvisionnement était subitement devenu
difficile en France du fait d¹un accroissement de la demande mondiale.
Dans sa dernière livraison (janvier), le mensuel spécialisé Prescrire
révèle une autre affaire
<http://www.prescrire.org/fr/3/31/49111/0/NewsDetails.aspx> passée sous
silence par l¹ANSM: la rupture d¹approvisionnement durant plusieurs
semaines de l¹été 2013 d¹Esidrex®,
<http://base-donnees-publique.medicaments.gouv.fr/extrait.php?specid=661531
92>un médicament de référence dans l¹hypertension artérielle. Depuis, les
difficultés et les ruptures d'approvisionnement se multiplient dans les
pharmacies d¹officine comme dans les pharmacies hospitalières. La
situation est telle que l¹ANSM a jugé indispensable de mettre en ligne la
situation détaillée et actualisée
<http://ansm.sante.fr/S-informer/Informations-de-securite-Ruptures-de-stock
-et-arrets-de-commercialisation-des-medicaments> des ruptures de stocks.
La situation inquiète au premier chef la profession pharmaceutique.
«Durant le mois de septembre nous avons comptabilisé 539 médicaments
manquants»
<http://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/11/11/21508-medicaments-quand-penu
rie-menace>, expliquait il y a peu au Figaro Isabelle Adenot, présidente
du conseil de l¹Ordre des pharmaciens qui a publié un rapport sur le sujet
<http://www.ordre.pharmacien.fr/Communications/Rapports-Publications-ordina
les/Les-ruptures-d-approvisionnement>.«Tous ces médicaments ne sont pas
essentiels et la plupart peuvent être remplacés par un produit d'une autre
marque ou par un générique. Cela devient toutefois un casse-tête pour les
pharmaciens. Et les malades sont désorientés par des substitutions qui ne
sont plus motivées par la volonté de développer la vente de produits
génériques», soulignait le journal.
Ces tensions affectent également le monde hospitalier où les pharmaciens
doivent régulièrement gérer des ruptures d¹approvisionnement de plusieurs
médicaments prescrits dans des pathologies lourdes, en particulier de
nature cancéreuse.
En 2013, l¹Académie nationale de pharmacie
<http://www.acadpharm.org/index.php?zn=10&lang=fr&id=&ref=Accueil> s¹était
elle aussi saisie de la question, en avait analysé les causes et avait
formulé des recommandations. Dans le rapport rédigé à cette occasion
<http://www.acadpharm.org/dos_public/Recommandations_ruptures_de_stocks_et_
appro_VF_2013.04.24.pdf>, on apprend que les pénuries et les ruptures
d¹approvisionnement de médicaments se multiplient depuis plusieurs années
et que le phénomène est en augmentation au niveau mondial comme aux
échelons nationaux.
Des questions économiquesEn pratique, ce phénomène a diverses origines qui
sont toutes ou presque de nature économique. Il peut s¹agir de l¹abandon
de la production de certaines matières actives encore utiles à la santé
publique, de ruptures par défaut de qualité des matières premières
importées ou de pénuries du fait de l¹abandon des productions de certaines
formes pharmaceutiques de faible rentabilité. Sans compter les multiples
vicissitudes concernant les politiques de gestion des stocks et de
circuits de distribution, les appels d¹offres publics et les difficultés
inhérentes aux médicaments pédiatriques et orphelins.
Ce que le prescripteur, le pharmacien et le malade français perçoivent en
bout de chaîne trouve son origine première dans des mouvements tectoniques
d¹ampleur mondiale. A commencer par les demandes croissantes émanant des
populations des pays de moins et moins «émergents» où se situent désormais
les principaux lieux de production des matières premières. Entre 60% et
80% des matières actives à usage pharmaceutique sont désormais fabriquées
hors Union européenne, principalement en Inde et en Asie. Cette proportion
était de 20% il y a trente ans.
On peut aussi voir là une conséquence perverse d¹un souci légitime de
l¹environnement. «Le jeu combiné de la mondialisation, de la crise
économique, de l¹augmentation des exigences réglementaires,
pharmaceutiques et environnementales fait que l¹on assiste en Europe à
l¹abandon de fabrication de matières actives à usage pharmaceutique»,
souligne ainsi l¹Académie de pharmacie. Cette institution y ajoute la
perte quasi-complète d¹indépendance de l¹Europe en sources
d¹approvisionnement en matières actives, la perte du savoir-faire
industriel correspondant. Quant au tissu industriel européen de la chimie
fine pharmaceutique, il est confronté à des normes environnementales sans
commune mesure à celles s¹imposant aux opérateurs de pays tiers.
C¹est là une situation nouvelle et à bien des égards hautement
problématique du point de vue de la santé publique. Ce phénomène qui prend
constamment de l¹ampleur et qui n¹a rien de spécifiquement français est
pour beaucoup le symptôme d¹une globalisation mondiale de la fabrication
des spécialités pharmaceutiques et de la fuite de la chimie d¹un Vieux
Continent où elle prit naissance et triompha.
Dans ce contexte, l¹U
nion européenne, en dépit de son savoir et de ses compétences, apparaît
désormais comme très largement désarmée. C¹est à cette aune qu¹il faut
juger de la disparition durable de la doxycycline des pharmacies
françaises.
Jean-Yves Nau