[e-med] Côte d'Ivoire: Les intoxiqués décrient la prise en charge

Côte d'Ivoire: Les intoxiqués décrient la prise en charge
Fraternité Matin (Abidjan), Publié sur le web le 12 Septembre 2006
Doua Gouly, Hervé Koutouan, Nimatoulaye Ba et Casimir Djézou

Centre hospitalier universitaire (CHU) de Yopougon ce lundi matin. De nombreux patients sont regroupés sous une bâche dressée devant le service de ORL. C'est là que sont accueillies les victimes des déchets toxiques déversés sur Abidjan.
Ici, l'air n'est pas à la réjouissance. En plus des maux qui rongent les patients, ils sont confrontés au problème de prise en charge.
" Je suis arrivé ici avant 7 heures ce matin. A 12 heures, je ne suis pas encore reçu par le médecin. Et je ne suis pas sûr de l'être avant la fin de la journée ", explique M. Lohi Marcel. Cet ouvrier, dans une usine de la zone industrielle de Yopougon, souffre, comme bien d'autres personnes présentes en ce lieu, de maux de tête, de vomissements, de douleurs thoraciques.
" A quoi bon continuer d'inscrire les gens si les premiers sont toujours dehors ", se plaint Ouattara Abou venu de Port-Bouët 2. Il est arrivé sur le site à 8 heures et jusqu'à 12 heures 45, il n'avait reçu que la fiche d'identification.
Dans les couloirs du service de gastro-entérologie, des femmes et des enfants sont assis à même le sol. Les bancs sont tous occupés. Et ceux des patients encore capables de se tenir debout paraissent nerveux. " Qu'on nous dise la vérité. Nous sommes fatigués ", entend-on ça et là. Un agent, approché, pour savoir les conditions de la prise en charge, a déclaré : "Le dossier des déchets toxiques est délicat. Allez-y voir le DAF. C'est lui qui assure l'intérim du directeur. A défaut, voyez Mme Soumahoro, le sous-directeur des soins infirmiers. C'est elle qui pilote les prises en charge ". Aucune des deux responsables n'était à son bureau à 12 heures 30.

Détresse au CHU de Cocody
" Depuis 8 heures, j'attends sous le soleil. Et jusqu'à présent, je n'ai pas encore été reçue par les médecins. Il y a trop de monde. Et je n'ai pas eu de place assise alors que j'ai l'impression que j'ai un poids sur la poitrine et j'ai du mal à respirer". Mme Zéhi Amédée, qui se plaint ainsi ce lundi matin, n'est pas à sa première visite au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Cocody. Elle y était le 5 septembre. " Les médecins, dit-elle, n'ont fait que me poser des questions. Ils m'ont demandé de décrire les maux que je ressentais. Aucune radiographie ou analyse ne m'a été faite". Au dire de cette dame, les médecins lui ont prescrit de l'Efferalgan, de l'Amoxicillin et de l'Otrivin. "Rien que des médicaments qu'on a déjà à la maison ", s'indigne-t-elle.
Mme Zéhi Amédée fait partie des nombreuses personnes victimes des déchets toxiques venues se faire prendre en charge par cette structure. A l'espace vert situé tout près des urgences du CHU de Cocody, cinq tentes ont été installées.
Un homme adossé à l'un des arbres qui délimitent cet espace de prise en charge somnole. De nombreux enfants l'entourent et le regardent tristement. A quelques mètres de lui, une femme, la main sous le menton, est assise sur un foulard. L'air pensive, elle regarde la longue file de personnes qui attendent sous le soleil accablant.
Sous l'une des bâches installées un peu plus en arrière, un homme distribue des cartes sur lesquelles sont inscrits des numéros d'enregistrement. A côté, une longue file de patients. Partout, la désolation et la tristesse se lisent sur les visages.
Devant chaque tente, un groupe de personnes crie son ras-le-bol. Il s'agit du Collectif des victimes mis sur pied dans l'optique de recenser et d'informer toutes les victimes des déchets toxiques. Mme Coulibaly Florentine, membre de ce collectif, explique à son auditoire la nature des médicaments qui leur sont prescrits. Elle leur fait comprendre aussi que la solution idoine à ce problème serait de diagnostiquer leur mal par des analyses, des examens cliniques et des radiographies avant de leur prescrire un quelconque remède.
Par moments, l'on entend les patients lancer des propos de mécontentement. Kévin Abdoulaye, un autre patient, lance sur un ton de colère : "Il reste à savoir si les soins que nous recevons sont appropriés à cette situation".
Aux environs de 12 heures 20, une jeune fille perd connaissance. Elle est aussitôt transportée aux urgences par un groupe d'hommes dont l'un est vêtu d'une blouse blanche.
Pour les victimes, on ne peut pas parler de véritable prise en charge. " Nous sommes obligés d'acheter certains médicaments, car ils ne sont pas tous disponibles", précise Adou Kouakou, président du Collectif des victimes des déchets radioactifs de Côte d'Ivoire (COVIDERCI). Et d'ajouter qu'il a déjà surpris des agents de santé du CHU " sortir frauduleusement les médicaments ".
Et pourtant, au dire de Koffi Kouassi Sylvestre, du service de communication du CHU, toutes les dispositions sont prises pour prendre en charge les victimes. Il explique que le patient se fait d'abord enregistrer à son arrivée. Ensuite, il est reçu par des médecins pour établir une fiche de prise en charge portant des informations sur son identité et les symptômes présentés. Et enfin, le patient fait, si cela s'avère nécessaire, une radio. Et le médecin lui délivre une ordonnance. Selon Koffi Kouassi Sylvestre, trois postes de consultation ont été ouverts au CHU de Cocody. Dont deux prennent en charge les enfants. Celui qui s'occupent des adultes compte onze médecins. En outre, deux postes de pharmacie ont été installés pour servir "gratuitement" les médicaments prescrits aux malades. Le CHU de Cocody reçoit en moyenne 600 à 700 personnes par jour, affirme Koffi Sylvestre.

Port Bouet, beaucoup de plaintes
Elles étaient nombreuses ces victimes des déchets toxiques, avoir pris d'assaut, lundi matin, les structures sanitaires retenues pour les consultations gratuites. A l'hôpital général de Port-Bouet, certains malades avaient commencé à déchanter en début d'après-midi, à cause des longues heures d'attente et aussi de la qualité des prestations. M. Zo Ignace, las de se contenir, lâche des jurons. "On donne l'impression qu'on nous soigne, alors que ce sont des cachets de paracétamol qu'on nous distribue ".
La trentaine de patients qui attend, depuis huit heures du matin, d'être reçus par le médecin, acquiesce aussitôt. M. Koua Michel lui crie à l'arnaque. " Nous avons écouté sur les ondes que nous devrions être pris en charge médicalement. Au lieu de cela, on nous prescrit des médicaments de première nécessité assortis d'une ordonnance à payer en pharmacie ".
Formation sanitaire de Koumassi. Il est 14 heures. Le personnel médical en charge des victimes est en pleine activité. Mais, se refuse à tout commentaire, arguant que seul le comité interministériel présidé par le Ministre d'Etat Paul Bohoun Bouabré est habilité à donner des explications.
Dans ces deux centres de santé, les malades rencontrés se plaignent pour la plupart de ballonnement de ventre, de rhume, de violente céphalée, de diarrhée et de saignement nasal.
Mme Kouamé Adjoua Marie, elle, crie vengeance. "Ces personnes qui ont déversé ces déchets sont des criminels", crie-t-elle comme pour se consoler
Au Centre sanitaire urbain à base communautaire de Vridi canal, la cinquantaine de personnes rencontrées sur les lieux semblent un peu plus soulagées. " Nous avons reçu les médicaments ce matin. Les populations pourront être enfin soulagées ", soutient Dr Kouassi, l'un des trois médecins chargés du suivi des personnes intoxiquées dans ce centre qui dispose d'une équipe permanente (24 heures sur 24). Il reçoit une cinquantaine de patients par jour. Dr Allah, un autre membre de l'équipe, a quand même une inquiétude. " Les médicaments risquent d'être épuisés dans quelques jours ", fait-il savoir. Cette inquiétude est d'autant plus vérifiée que Vridi est l'une des zones touchées par les déchets toxiques.
Les maux de tête, le rhume et le mal de gorge font désormais partie du quotidien des populations de ce quartier. Le fait de recevoir gratuitement les médicaments de premiers soins, en cette journée, est, pour elles, un véritable " signe d'espoir ".

Lassitude au CHU de Treichville
" Depuis deux jours, je saigne de la bouche, je vomis, j'ai la migraine et je ressens des douleurs intenses au niveau de la colonne vertébrale. C'est pourquoi je suis venu me faire consulter. Je suis arrivé à 8 heures. Mais, j'étais la 262ème personne sur la liste d'arrivée. J'ai été admis à la salle de consultation à 13 heures, d'où je suis ressorti quelques minutes plus tard". Ces propos sont de Yao Kouassi Jacques, la trentaine, l'une des nombreuses victimes d'intoxication rencontrées hier, au CHU de Treichville. Il était visiblement épuisé et affaibli par la maladie.
La victime des produits toxiques vient de sortir de la salle de consultation, avec en main une ordonnance et doit se rendre à la pharmacie du CHU pour retirer les médicaments prescrits. Pendant ce temps, plusieurs patients attendent encore dans un long rang. Tous étaient fatigués et se plaignaient de la lenteur des consultations. "Il faut que les responsables de l'hôpital multiplient les salles de consultation, car nous sommes très nombreux", souhaite M. Camara Losséni, l'une des victimes. Qui affirme être à sa deuxième journée consécutive. "Car, explique-t-il, dimanche, j'ai désisté à cause du trop grand nombre de personnes ".

Repères
Rumeurs. Des rumeurs persistantes font état actuellement de l'existence d'un stock de déchets non encore déversé. Selon ces rumeurs, des camions-citernes seraient à la recherche de sites. Ne sachant pas ùdécharger ces dangereux produits.
L'Université. De nombreux travailleurs de l'Université de Cocody ont été intoxiqués par les déchets. Car ils habitent, pour la plupart, les zones de l'Ecole de police et la Riviera, plus proches de leur lieu de travail. Cette information a été donnée par un membre du corps médical de cette université.
Réactions chimiques. Au contact de l'eau, les produits toxiques provoquent des réactions chimiques. Rendant ainsi les odeurs plus fortes et plus insupportables.