[e-med] Course contre la montre pour mettre au point de nouveaux antibiotiques (Bulletin OMS)

Bulletin de l'Organisation mondiale de la Santé
Course contre la montre pour mettre au point de nouveaux antibiotiques

La deuxième partie d’une série de trois nouveaux articles sur la résistance
aux antimicrobiens s’intéresse à la manière dont les efforts de mise au
point d’antibiotiques se sont taris alors même que la résistance aux
médicaments existants est en augmentation. Par Theresa Braine.
Bulletin de l'Organisation mondiale de la Santé 2011;89:88–89.
doi:10.2471/BLT.11.030211
http://www.who.int/bulletin/volumes/89/2/11-030211/fr/index.html

En 2009, dans les quelques jours qui ont suivi l’accident de scooter dans
lequel il s’est éraflé la jambe, le jeune Brock Wade, neuf ans, s’est
retrouvé à l’hôpital luttant contre la mort à cause d’une infection à
Staphylococcus aureus résistant à la méthycilline (SARM). Une fois l’infection
– due à une des bactéries les plus souvent résistantes aux antibiotiques –
diagnostiquée, les médecins lui ont administré cinq antibiotiques
différents. «Après un mois d’hospitalisation et contre toute attente, Brock
a guéri et était suffisamment bien pour rentrer à la maison», indique Rhonda
Bailey-Wade, sa mère, sur le site web de la Infectious Diseases Society of
America (IDSA).

Des scénarios semblables à cette étude de cas de l’IDSA se produisent de
plus en plus souvent partout dans le monde. Mais les milliers de patients
qui contractent chaque année une infection bactérienne pharmacorésistante n’ont
pas tous autant de chances que Brock. Et il semble que le problème soit en
passe de s’aggraver. Si les germes infectieux deviennent de plus en plus
résistants aux médicaments actuellement en usage, on ne met pas au point
suffisamment de nouveaux médicaments pour les combattre.

Le jeune Brock Wade a passé un mois à l’hôpital à se battre contre une
infection résistante aux antibiotiques.

«Les infections à Staphylococcus aureus résistant à la méthycilline
continuent d’être une cause majeure d’infections résistantes aux
antibiotiques contractées dans la communauté», affirme le Dr Brad Spellberg,
un des auteurs du rapport 2004 de IDSA intitulé Bad bugs, no drugs.
«Toutefois, du fait qu’à la fin des années 1980 et au début des années 1990
les firmes aient pris la mesure de la menace que constituait le SARM, à
partir de 2000, nous avons pu obtenir de nouveaux médicaments. Pour l’instant,
nous avons suffisamment d’antibiotiques pour traiter les infections à SARM,
mais, comme la résistance les rattrape, nous aurons de nouveau des problèmes
à l’avenir.»

Il y a à cela de nombreuses raisons. L’une d’entre elles est scientifique:
«le plus facile a été fait», dit le Dr Spellberg. «Mais il ne faut pas
penser que nous avons épuisé toutes les solutions. Il nous faut maintenant
creuser la question plus avant, réfléchir davantage et plus intelligemment.»

Une autre est d’ordre commercial. Les antibiotiques, en particulier, ont un
faible retour sur investissement parce qu’ils sont consommés pendant une
courte période et qu’ils guérissent les maladies qu’ils ciblent. En
revanche, les médicaments qui servent au traitement des maladies chroniques,
par exemple à celui de l’hypertension, sont absorbés quotidiennement et à
vie. «Les firmes se sont aperçues qu’elles gagnent beaucoup plus d’argent en
vendant ces derniers qu’elles ne le font en vendant des antibiotiques»,
indique le Dr Spellberg, soulignant l’absence de motif pouvant inciter les
firmes à mettre au point de nouveaux antibiotiques.

C’est pourquoi de nombreuses firmes ont purement et simplement arrêté la
recherche-développement des antibiotiques. Seules cinq grandes firmes
pharmaceutiques – mais cinq parmi les plus grandes –, à savoir
GlaxoSmithKline, Novartis, AstraZeneca, Merck et Pfizer, avaient encore des
programmes actifs de recherche d’antibactériens en 2008, d’après un article
publié dans le journal Clinical Infectious Disease en janvier 2009.

Pour ajouter à ce sombre tableau, une étude exhaustive sur la mise au point
des antibiotiques, portant sur de petites firmes novatrices aussi bien que
sur les géants de la pharmacie, a permis de s’apercevoir qu’en 2008 seuls 15
antibiotiques sur les 167 à l’étude avaient un nouveau mécanisme d’action
susceptible de leur permettre de faire face aux difficultés de la
multirésistance. La plupart d’entre eux en étaient aux phases précoces de
développement, d’après l’étude intitulée The bacterial challenge: time to
react.

Mais il reste de l’espoir. «Étant donné que les antibiotiques dont nous
disposons aujourd’hui étaient à l’origine des sous-produits de la croissance
de bactéries que nous pouvons cultiver, et que nous avons cultivé moins de
1% des bactéries présentes sur notre planète, il y a là de nombreuses
solutions potentielles», affirme le Dr Spellberg.

Il reste quantité de solutions biologiques que nous n’avons pas encore
entièrement explorées, comme la thérapie par les phages et l’utilisation
possible des enzymes lytiques trouvées dans le mucus et la salive pour tuer
les germes pathogènes (décrites par des chercheurs dans un article publié en
octobre 2010 dans la revue de l’Institut de Physique Physical Biology).

L’exemple des chercheurs de GlaxoSmithKline qui ont récemment décrit une
nouvelle classe d’antibactériens ciblant les topoisomérases de type IIA en
est une autre. Cet article a été publié dans la revue Nature en août 2010.
«Cette classe de composés à l’étude est active contre un large spectre de
bactéries à Gram positif et à Gram négatif», indique le Dr Mick Gwyn, l’auteur
principal de l’étude, un chercheur s’intéressant à la découverte de nouveaux
antibactériens chez GlaxoSmithKline.

La résistance aux antimicrobiens est la conséquence inévitable de la
prescription des antibiotiques. «Quelles que soient les infections que l’on
traite, les bactéries qui font partie de notre flore normale sont toujours
exposées à ces antibiotiques», affirme le Dr Hajo Grundmann, qui est à la
tête du Département des Maladies infectieuses et d’Épidémiologie de l’Université
de Groningen, et du Département de Bactériologie de l’Institut national de
la Santé publique des Pays-Bas. «En survivant simplement à l’attaque des
antibiotiques, elles développent des stratégies plus élaborées pour venir à
bout des antibiotiques les plus sophistiqués et les plus modernes.»

Il n’existe pas de données mondiales relatives au nombre de cas, y compris
mortels, d’infections bactériennes résistantes. D’après l’étude de 2008, il
y a chaque année au moins 25 000 patients dans l’Union européenne à elle
seule qui meurent d’une infection due à une bactérie multirésistante, et les
coûts de santé supplémentaires et la perte de productivité dus à ces
bactéries sont estimés à au moins 1,5 milliard d’euros.

Certaines des infections les plus résistantes sont causées par des
Acinetobacter à Gram négatif et par certaines souches de Klebsiella et
espèces de Pseudomona, selon le Dr Spellberg. Ces bactéries provoquent
toutes sortes de maladies qui vont de la pneumonie contractée à l’hôpital
aux infections abdominales, en passant par les infections hématologiques et
celles des voies urinaires dues aux cathéters; on voit même des cas de
méningite chez des gens soumis à des actes médicaux au niveau de la tête et
du rachis, par exemple des péridurales pendant le travail.
«Ces germes peuvent attaquer une partie quelconque de l’organisme. Et le
problème est que sans antibiotiques efficaces le taux de mortalité est bien
plus élevé», dit Spellberg.

La flambée due à des souches résistantes d’Escherichia coli – une cause
commune d’intoxication alimentaire – portant un gène appelé NDM1 (New Delhi
metallo-β-lactamase), survenue en Inde en 2010, qui s’est ensuite propagée à
d’autres pays, en témoigne. Jusqu’ici, des bactéries aussi totalement
résistantes n’avaient été trouvées que dans les hôpitaux, indique Spellberg,
mais «maintenant, nous commençons à voir des bactéries pratiquement ou
totalement pan-résistantes se propager dans la communauté».

La solution repose peut-être non seulement dans la recherche scientifique,
mais aussi dans des mesures d’incitation économique visant à encourager la
mise au point des médicaments. « Je pense que le Congrès comprend maintenant
qu’il y a un déséquilibre du marché et que des mesures d’incitation
économique sont nécessaires pour le corriger», dit-il.
Des partenariats public-privé pourraient offrir une solution, selon un
commentaire rédigé en mai 2010 dans le British Medical Journal, comme les
partenariats de recherche qu’a conclus GlaxoSmithKline avec le Wellcome
Trust et avec la United States Defence Threat Reduction Agency.

Faisant référence à la «double difficulté de conserver l’efficacité des
antibactériens existants et d’en développer de nouveaux», Anthony So,
Melissa Furlong et Andreas Heddini de l’Organisation non gouvernementale
ReAct basée en Suède, auteurs de l’article du British Medical Journal,
écrivent que «le fait de ne plus lier les coûts de la recherche et du
développement à l’établissement des prix et au retour sur investissement que
les firmes reçoivent permettrait de corriger des mesures d’incitation
économique mal alignées».

Cette suppression du lien entre coûts de la recherche et établissement du
prix des médicaments est quelque chose que l’industrie pourrait être
préparée à accepter, selon Richard Bergström, Directeur général de LIF, l’association
professionnelle de l’industrie pharmaceutique fondée sur la recherche en
Suède.

«Les mesures d’incitation qui séparent le retour financier de l’utilisation
d’un produit constituent la seule façon de modifier ce comportement», a
indiqué Bergström lors d’une conférence tenue à l’Université d’Uppsala en
septembre 2010. «Des mesures d’incitation intelligentes, tels des
engagements et des prix anticipés, permettent de fournir au développeur des
récompenses financières qui ne sont pas basées sur le volume d’utilisation
du nouvel antibiotique. Avec la bonne organisation, les firmes
pharmaceutiques ne seront plus incitées à mettre l’accent sur l’utilisation
des produits. Il se peut même qu’elles ne fassent plus aucune promotion.
Elles se mettraient d’accord sur l’usage des médicaments avec les
responsables de l’élaboration des politiques, les acheteurs et les systèmes
de santé nationaux.»

Richard Bergström a lancé un appel en faveur d’un «accord mondial» semblable
à celui conclu pour le programme des Nations Unies pour une bonne
gouvernance et un développement durable inscrit dans l’objectif 7 du
Millénaire pour le développement. Cet accord «pourrait être axé sur l’introduction
concertée et progressive – et la commercialisation et l’utilisation
avisées – des nouveaux médicaments».

«Un accord mondial exigerait que non seulement l’industrie mais aussi les
gouvernements, les médecins et les pharmaciens unissent leurs forces pour
préserver les nouveaux médicaments dont nos enfants et nos petits-enfants
ont besoin», a indiqué Richard Bergström. «Ce n’est pas un outil unique qui
permettra de résoudre le problème. Ce dont on a vraiment besoin c’est d’une
série de mesures d’incitation permettant de surmonter les nombreux obstacles
rencontrés.»

Cette année, l’Organisation mondiale de la Santé consacre la Journée
mondiale de la Santé du 7 avril à la sensibilisation au problème de la
résistance aux antimicrobiens. Pour en savoir plus, consulter:
Journée mondiale de la Santé - 7 avril 2011
http://www.who.int/world-health-day/2011/fr/index.html