Covid-19 : Les vérités sur Ebola, la Covid-19 et le Vih (Pr Peter Piot, microbiologiste, codécouvreur du virus Ebola)
(Dakaractu 17/2/21)
Le Pr Peter Piot est de ces autorités sanitaires qui se félicitent des efforts fournis par le continent africain face à la pandémie du coronavirus. Codécouvreur du virus Ebola, en 1976 au Zaïre (actuel Rdc) et actuellement conseiller spécial de la présidente de la Commission européenne sur la Covid-19, il a fait une déclaration, à la faveur d’une conférence de presse virtuelle initiée, il y a quelques jours, par l’Oms. Et c’était pour rappeler la nécessité pour le reste du monde de soutenir le continent noir afin que sa population puisse participer activement à la prévention contre la Covid-19. Médecin et microbiologiste belge, ancien directeur d'Onusida (de 1995 à 2008), il évoque la maladie à virus Ebola, le Vih et surtout le vaccin contre la Covid-19.
‘’Nous avons en effet franchi, une étape importante qui pousse à la réflexion. Et je pense que nous devons nous rendre compte que nous n'en sommes qu'à la fin du début, peut-être, mais certainement pas encore au début de la fin de cette crise. C'est une réalité qui donne à réfléchir. Et le Dr Moeti a déclaré que l'impact économique et celui sur les moyens de subsistance des gens sont énormes, en plus de l'impact sur la santé publique. Mais, je dirais que l'Afrique a certainement de quoi être fière de sa réponse initiale. Et qu'elle a certainement fait beaucoup mieux que l'Europe. Je veux dire, par-là, que Moeti a mentionné près de 100.000 décès pour le continent, au Royaume-Uni, elle a franchi la barre des 100.000 décès pour un seul pays. Ce qui montre bien que l'Europe n'a pas de leçons à donner, en tout cas en ce qui concerne la réponse à la pandémie’’.
Il dit penser que ‘’l'une des raisons est que de nombreux dirigeants ont réagi, très tôt et de manière coordonnée en mettant rapidement en œuvre des mesures de santé publique. Nous savons, par expérience, que ce soit à cause du VIH ou du virus Ebola, qu'en cas d'épidémie, il est essentiel d'agir rapidement. Et vraiment, en matière de lutte contre le Sida, quand on agit tôt, on ne prévient pas seulement le premier cas qui pourrait être contaminé par une personne. Donc, il est vraiment important d'agir tôt. Et je pense que la crainte que j'avais au départ qu'il y ait une épidémie majeure ne s'est pas concrétisée, mais le Dr Moeti a dit que nous sommes maintenant dans une situation différente avec des impacts majeurs dans de nombreux pays qui sont fortement touchés par la Covid-19. Et je pense que les leçons des grandes épidémies précédentes sont toujours là. La plus grande de toutes, dans l'histoire récente pour l'Afrique et pour le monde entier, est bien sûr l'épidémie de grippe aviaire collective, 35 millions de personnes sont mortes. Et je dirais qu'au départ, il y a eu beaucoup de déni, à quelques exceptions près. Et encore une fois, ce sont les pays qui ont pris cette décision plus tôt qui ont eu le meilleur impact. Et c'est en ce moment que le Dr Moeti et moi-même travaillions en étroite collaboration, ce qui semble lointain. Mais le VIH est toujours pas là’’, regrette le virologue Belge.
‘’Ce qui montre bien que l'Europe n'a pas de leçons à donner’’
Ce dernier a fait état d’une grande différence dans la prise en charge des maladies Ebola, Vih et Covid-19. ‘’Il existe une grande différence, bien sûr. C'est qu'il y a eu un réveil et qu'un tournant s'est produit en avril 2001 lorsque le président Obasanjo, qui présidait alors l'organisation de l'Unité africaine, a convoqué un sommet au cours duquel tous les présidents ont reconnu que nous avions un problème et que nous devions faire quelque chose pour y remédier. Et c'est un premier pas. Depuis lors, il y a eu beaucoup de progrès, la mortalité a certainement diminué grâce à l'introduction de la thérapie antirétrovirale. Mais il ne faut pas oublier (…) qu'il a fallu dix ans pour qu'un million d'Africains bénéficient de l'accès à la thérapie antirétrovirale. Nous ne pouvons pas nous permettre aujourd'hui d'avoir le même rythme que vous connaissez. (…). C'est donc une leçon très importante que le leadership est si important’’, note Dakaractu qui prenait part à cette conférence virtuelle.
Le Pr Piot d’ajouter, en second lieu, que ‘’les épidémies d'Ebola, jusqu'en 2014, ont toujours été limitées en Afrique centrale. Vous savez, les premières épidémies identifiées dans ce qui s'appelait alors le Zaïre, aujourd'hui devenu République démocratique du Congo (Rdc), étaient considérées comme un problème d'Afrique centrale. Et, avec les épidémies de temps en temps, comme l'a dit le Dr Moeti, il y a encore deux cas au Kivu et à Mutembo. Mais la perception et la réalité ont changé quand il y a eu cette énorme épidémie en Afrique de l'Ouest impliquant trois pays : le Liberia, la Sierra Leone et la (République de) Guinée. Et c'est donc quelque chose qui a été à nouveau une action plus précoce qui aurait pu éviter plus de décès, mais encore une fois, à la fin, juste pour le VIH, la mobilisation de la communauté a été un facteur clé dans le contrôle de l'épidémie. Plus vous savez, une action résolue et pour le virus Ebola, nous avons un vaccin; contre le VIH, nous n'avons toujours pas de vaccin, c'est ainsi près de 40 ans après l'isolement du virus. Mais en raison de nombreuses difficultés techniques liées au virus Ebola, nous disposons maintenant d'un vaccin. Une autre conséquence de la crise du remix du VIH ou de l'Ebola est que de nombreux pays ont maintenant des instituts, des institutions et des systèmes de santé publique beaucoup plus solides qu'auparavant. Mais ils sont sous-financés. Et c'est très inégal entre les pays du continent’’.
‘’Tant qu'un pays du monde sera touché par le virus, il y aura de nouvelles variantes’’
‘’Maintenant, pour revenir à la question de savoir si nous sommes confrontés, comme l'a dit le Dr Moeti, non seulement à une nouvelle situation de propagation du virus du Coronavirus, mais aussi à de nouvelles maladies, il s'agit d'un nouveau défi. Un nouveau défi non seulement pour l'Afrique, mais aussi pour le reste du monde. L'efficacité des vaccins est bien sûr une question importante, mais la vérité est aussi que tant qu'un pays du monde sera touché par le virus, il y aura de nouvelles variantes, aucun pays n'est sûr. C'est très important. Car l'accès aux vaccins en Afrique et ailleurs n'est pas seulement une question de solidarité morale, mais aussi un impératif pour tous ceux que vous connaissez. Tant que les Africains ne seront pas vaccinés, le monde entier en souffrira, comme l'a déclaré le président (Paul) Kagame (du Rwanda) lors du sommet de l'Union africaine le week-end dernier. Rappelons-nous donc aussi que cela va devenir l'un des grands problèmes géopolitiques de notre époque : l'accès à la vaccination et, pour l'instant, la pénurie. Il n'y a pas de contrats, y compris pour l'Afrique par le biais de l’Initiative Covax et de l'Union africaine, pour des centaines de millions de doses de vaccins, mais la production de vaccins est en cours. Le secteur manufacturier est à la traîne et la pénurie est un ennemi majeur de l'équité. Nous devons donc investir davantage dans le secteur manufacturier, y compris dans des activités qui peuvent avoir lieu en Afrique. N'oublions pas que, par exemple, l'un des quatre vaccins contre la fièvre jaune qui sont approuvés et utilisés dans le monde est fabriqué en Afrique : C’est au Sénégal par l'Institut Pasteur (Ipd). Il est donc possible de le faire mais cela nécessite plus d'investissements’’.
‘’Tant que les Africains ne seront pas vaccinés, le monde entier en souffrira’’
Pour lui, la prévention va au-delà des simples injections de vaccin. ‘’Je dirais, enfin, qu'il ne s'agit pas seulement de prévention et de vaccination, mais aussi de soins aux personnes infectées et affectées. J'espère donc que cela va aussi réveiller le monde et l'inciter à prendre au sérieux la menace des épidémies et leur prévention. Le risque est que nous ayons de plus en plus de pandémies à cause du changement climatique, de la distraction de la nature, de l'interaction avec les animaux. Car, ce sont des zoonoses et nous devons donc travailler tous ensemble’’, rappelle-t-il avec insistance.