[e-med] Danser pendant que les malades meurent

Chers tous,

A l'occasion de la journée mondiale de la lutte contre le sida le 1er
décembre, le Secrétaire général des Nations Unies et la communauté
internationale partagent leur satisfaction relative aux résultats de la
lutte contre le sida,

le message officiel du SG se réjouit même: "au bout de 4 décennies, nous
sommes finalement en mesure de mettre fin à l'épidémie de sida".

les journalistes reprennent gaiement les chiffres que les agences leur
servent, eux qui n'ont visiblement pas appris à les interpréter et à y
réfléchir avant de contaminer leurs lecteurs: ainsi la litanie sur la
prévention de la transmission maternelle et infantile n'en finit pas de
mentir: ce serait : "48% des femmes enceintes vivant avec le VIH ont reçu un
traitement efficace pour prévenir les nouvelles infections à VIH parmi les
enfants" (fiche d'information ONUSIDA en ligne).

Or il ne s'agit pas des femmes enceintes vivant avec le VIH, il s'agit des
femmes venues consulter et dépistées; qui plus est le protocole disponible
n'est pas toujours des plus efficaces malheureusement, sans parler de ces
situations gravement incohérentes où on va tenter de prévenir le sida de
l'enfant là où la mère risque elle-même d'être infectée en milieu de soins
tant les équipements et les matériels et les conditions d'hygiène s'y
prêtent

en réalité, nous ne savons rien de toutes ces femmes vivant avec le VIH qui
ne viennent pas dans les centres de santé dans les pays où le taux
d'utilisation des services de santé par les populations oscille entre 0.1 et
0.3 consultant par an et par habitant; femmes non dépistées, femmes perdues,
dont les enfants meurent anomymes et méconnus, comme leurs mères, des
programmes autant que des statistiques;

il en est de même pour les malades, dont nous dit-on, "près 47% des malades
pouvant prétendre à un traitement antirétroviral en bénéficie" (même
source).

Comme si toutes ces personnes vivant avec le VIH, qui ne sont pas dépistées,
qui s'ignorent séroposives, et meurent sans que le diagnostic n'ait jamais
été fait, ne pouvaient pas, elles aussi prétendre à la qualité des soins,
c'est à dire à un bon diagnostic devant leurs maux, et aux traitements
spécifiques pour les soulager et éviter qu'elles ne meurent;

comme si tout simplement tous ces gens qui n'accèdent pas aux services et
aux soins n'avaient jamais existé pour quiconque

Quand est-ce que les institutions de santé mondiale, de référence
s'annoncent-elles dans la profession, dans la société, vont-elles nous
présenter des statistiques dignes d'un élève de première année de formation
en santé publique? Quand est ce que tous les autres, y compris les
professionnels, cesseront-ils de s'engouffrer dans ce qu'il convient à tout
le monde de croire,et qui est faux?

Si le sujet a de l'intérêt c'est parce que tant qu'on ment sur la situation,
on se leurre sur la réponse, et on ne peut pas y arriver et en finir avec le
sida; le raisonnement vaut pour tous les problèmes de santé publique

quand j'entends ce témoignage hier me venant d'Afrique de l'ouest: "la
journée mondiale de lutte contre le sida ne m'intéresse plus, c'est du
bluff, les gens ne font rien pour améliorer les choses et ce jour là on met
tout en place pour danser et défiler pendant que les malades meurent", j'ai
envie de dire, oui moi aussi je vois les choses ainsi et depuis longtemps,
et c'est pour cela que j'ai une pensée pour toi aujourd'hui

alors redire que la réalité n'est pas réjouissante et que moi je ne fête pas
les succès de la lutte contre le sida et je continue de penser qu'on est à
30 ans d'échec de la prévention du sida en Afrique, continuer de le dire
même si les acteurs et les chercheurs ne s'intéressent pas à cela; continuer
de dire que plus d'argent ou moins d'argent importe peu si de toute façon
les réalités sont niées, injustes, tout particulièrement en Afrique
francophone, comme je le rappelais récemment dans Le Monde:

http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/11/02/les-dangers-du-desinteret-de-
la-communaute-internationale-pour-la-sante-en-afrique_1596759_3232.html

bien cordialement

Dr Dominique Kerouédan
d.kerouedan@skynet.be

Bravo pour ce texte qui nous interpelle et doit nous engager à un recul
salutaire devant cette médiatisation

Dr JL Rey
Santé publique

-----Message d'origine-----