[e-med] Des experts du médicament pris dans des conflits d'intérêts

Des experts du médicament pris dans des conflits d'intérêts
Un tiers des experts interrogés par la revue Nature avouent avoir
des liens avec l'industrie pharmaceutique.
Jean-Michel Bader
[20 octobre 2005]
http://www.lefigaro.fr/sciences/20051020.FIG0093.html?080118

LA REVUE savante britannique Nature publie aujourd'hui une enquête révélant
les liens étroits entre des chercheurs et des médecins experts du médicament
d'une part, et les firmes pharmaceutiques, d'autre part. Plus d'un tiers des
685 auteurs étudiés ont déclaré un conflit d'intérêt potentiel avec un ou
plusieurs laboratoires. Et dans 49% des cas étudiés, les recommandations
qu'ils établissent, souvent au nom de sociétés savantes, pour les règles du
bon usage des nouveaux médicaments, ne mentionnent jamais ces conflits
d'intérêts.

Selon Jim Giles, auteur de l'enquête, 70% des groupes d'experts en question
sont touchés par le phénomène.
Dans la vie d'un futur médicament, après des essais sur l'animal, des essais
cliniques sur l'homme sont organisés. Depuis septembre 2004, les grandes
revues médicales qui publient le résultat de ces essais ont décidé de
réclamer que tout essai soit préalablement déclaré aux autorités sanitaires.

Une fois tous les essais terminés, le dossier complet est étudié par la
commission d'autorisation de l'Afssaps (Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé) en France, ou par la Food and Drug
Administration (FDA) aux Etats-Unis. Une fois le médicament autorisé, il
faut donner des recommandations de bon usage (les doses, les durées,
l'étendue des indications) du médicament. En France, c'est l'Afssaps qui
produit ses recommandations. Mais aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, il
suffit d'avoir une qualification professionnelle, d'être affilié par exemple
à l'Association américaine du diabète ou à la Société royale de médecine
britannique, et de respecter une méthodologie de base. Or ces groupes
autoproclamés sont infiltrés par l'industrie à un niveau inégalé : sur 200
groupes de recommandations mondiales, déclarés en 2004 aux Etats-Unis, seuls
90 contiennent des détails sur les conflits d'intérêts de leurs auteurs et
seulement 31 de ces dernières sont libres de toute influence industrielle.
Plus d'un tiers des groupes comprenait au moins un membre titulaire
d'actions de la compagnie dont on étudiait le médicament. Or, pour Bruce Fye
(Mayo Clinic, Rochester, Minnesota), les médecins sont influencés
directement par ce type de recommandation qui a un effet direct sur les
ventes et donc sur la cote boursière des firmes.

Un exemple de ces recommandations «orientées» : dans le traitement de
l'anémie des sujets contaminés par le VIH, un groupe d'experts avait été
sélectionné par Paul Volberding (université de Californie, San Francisco).
Ce pionnier de la recherche sur le sida l'a fait à la demande de Ortho
Biotech, une firme américaine qui a payé les six experts, dont M.
Volberding. Le groupe a bien évidemment recommandé l'usage prioritaire du
produit commercialisé par Ortho Biotech.

«C'est grave à partir du moment où les recommandations sont faussées ou
mauvaises. Il faudrait alors remonter aux experts pour savoir s'ils ont des
conflits d'intérêts déclarés», estime un pharmacologue parisien expert de
l'Afssaps. Normalement nos voisins d'outre-Manche sont protégés de ces
dévoiements : des recommandations officielles sont établies par un institut
officiel. En fait, les meilleurs experts sont souvent très tôt recrutés par
l'industrie.