Ebola, bring back our doctors !
SOCIETE - PAR BERTRAND LIVINEC ET SIMON KABORE - Publié le 23 Sep, 2014
http://mondafrique.com/lire/societe/2014/09/23/ebola-bring-back-our-doctors-and-nurses
Avec plus de 2800 morts et des risques de progressions alarmants pouvant
atteindre 20 000 cas d'ici novembre, l'épidémie de fièvre Ebola met en
lumière l'échec généralisé des politiques de santé menées depuis des
décennies dans les pays africains. Impulsées le plus souvent par les
organisations internationales, les stratégies lancées par ces Etats dans le
domaine de la santé n'ont en rien permis de pallier le manque de moyens et
de personnel médical dont souffre le secteur. Au contraire, l'exode des
professionnels de santé africains vers les pays du Nord incapables de
former suffisamment de personnels de santé continue de faire baisser les
effectifs. Une pénurie de mdédecins qui a particulièrement favorisé la
propagation d'Ebola.
Fin septembre 2014, la crise Ebola qui secoue plusieurs pays d'Afrique de
l'Ouest n'est toujours pas sous contrôle. Récemment, lors d’un discours aux
Nations Unies, la Présidente de Médecins Sans Frontières a avoué que le
monde était en train de perdre la bataille contre Ebola. Plus de 2600
personnes sont décédées selon les chiffres de l’Organisation Mondial de la
Santé, les professionnels de santé ayant déjà payé un lourd tribut.
Une crise sans précédent
Cette crise Ebola est, de loin, celle qui aura eu les conséquences les plus
graves depuis la découverte de ce virus en 1976. Les précédentes avaient
été maîtrisées en quelques mois et n'avaient jamais pris une telle ampleur.
Auparavant, le nombre maximum de cas avait été constaté en Ouganda en 2000
avec près de 425 cas. Jusqu’à la crise actuelle, le pic de décès du à Ebola
avait quant à lui été observé au Zaire en 1976 avec près de 260 cas.
Contrairement à ce qui s’était passé lors des précédentes crises localisées
en Afrique Centrale, les principales organisations internationales
impliquées craignent, six mois après l’apparition des premières victimes,
une très forte augmentation des cas à venir. L'OMS évoque même le risque
d'atteindre 20,000 cas dans les prochains mois si la tendance continue.
L’organisation MSF a quant à elle récemment déclaré l'épidémie hors de
contrôle.
Il est important à ce stade de tenter de comprendre pourquoi cette crise
Ebola s’étend aussi rapidement et semble si difficile à freiner. Au moins
sur les trois pays les plus touchés : Guinée, Libéria et Sierra Leone.
La santé, un secteur sinistré
Il est difficile d'établir un comparatif avec les crises précédentes
concernant la réactivité des autorités locales ou nationales, celle des
organisations internationales, ou la qualité des systèmes de soins
nationaux. Que ce soit en Afrique Centrale ou en Afrique de l'Ouest, on
peut surtout mettre en évidence des points communs sur les problèmes de
gouvernance et de performance des systèmes de soins.
Ainsi, malgré des progrès, les systèmes de soins en Afrique sub-sahariennes
restent assez souvent défaillants, en particulier pour les soins dits
primaires, c'est à dire qui concernent les soins élémentaires pour la
majorité des populations. On le sait déjà, les Objectifs du Millénaire pour
le Développement définis par les pays membres des nations unies en 2000 ne
seront pas atteints dans la plupart des pays d'Afrique Sub-Saharienne à la
date butoir de 2015. En grande partie en raison de la défaillance des
systèmes de santé.
Les causes des faiblesses de ce secteur sont pourtant bien connues. Après
l’impact négatif des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) prônés par
les institutions financières internationales, les systèmes de santé en
Afrique souffrent aujourd'hui d'un manque d'investissements financiers des
Etats dans le secteur de la santé. Les financements viennent en effet
principalement de bailleurs extérieurs qui privilégient des programmes
centrés sur quelques maladies seulement et imposent des priorités souvent
en déphasage avec les besoins réels et les systèmes en place. Ces
programmes se caractérisent par ailleurs par une mauvaise gouvernance des
ressources mobilisées et une incapacité à impliquer les communautés dans la
construction des systèmes de santé. Les chiffres montrent des dépenses de
santé très variables selon les pays affectés par la crise Ebola : le
Libéria et la Sierra Leone qui ont connu la guerre il y a près de 10 ans
ont des dépenses de santé plus élevées (soit 15,5% du PIB pour le Libéria
et 15,1% pour la Sierra Leone en 2012) que la Guinée dont les dépenses sont
très faibles (6,3% du PIB en 2012).
Par ailleurs, il convient de pointer les problèmes de gouvernance auxquels
sont confrontés ces pays minés par la corruption. L'indice de perception de
la corruption de Transparency International suggère les scores suivants
pour ces pays : la Guinée est classée au 150ème rang sur 177 pays notés
tandis que la Sierra Leone et le LIbéria occupent respectivement la 119ème
et 83ème place*. La Guinée est très mal classée sur le plan de la
corruption, le Libéria ayant semble-t-il fait des efforts plus importants.
L'impact des inégalités
Par ailleurs, les niveaux d'inégalités, qui ont un impact considérable sur
le domaine de la santé, sont élevés dans ces pays. Les coefficients de Gini
- une unité servant à évaluer le degré des inégalités - en Guinée, en
Sierra Leone et au Libéria s'élèvent respectivement à 39,35 ; 42,52 et
38,16. Ils sont donc largement supérieurs à la France (32,74), et pour deux
d'entre eux supérieurs à celui des USA (40,81). Or, les inégalités de
revenus ont un impact très significatif sur l'état de santé des
populations, laissant une frange significative de la population hors des
systèmes éducatifs et de santé publique.
Notons que la crise Ebola touche aussi bien des campagnes que des grandes
villes, où les systèmes de soins ne sont pas forcément très bons, surtout
dans les quartiers défavorisés.
Médecins en fuite
Par ailleurs, les pays les plus touchés par Ebola sont en proie à une
pénurie de personnel médical. Le ratio observé du nombre de personnes pour
un médecin y est en effet très faible. Soit 1 médecin et moins de 0,5
infirmiers et sages-femmes pour 10 000 habitants en Guinée. Moins de 0,5
médecins et environ 2 infirmiers et sages-femmes pour 10 000 habitants en
Sierra Leone. Et moins de 0,5 médecins et 3 infirmiers et sages femmes pour
10 000 habitants au Libéria.
http://www.who.int/gho/publications/world_health_statistics/FR_WHS10_Full.pdf
Sur le terrain, les professionnels de santé disponibles sont souvent
surchargés et doivent de plus faire face à des populations souvent
surinfectées par de nombreuses maladies. Ils sont souvent très mal payés et
découragés par leur tâche, un bon nombre d'ailleurs cherchant à s'exiler
pour fuir des situations particulièrement difficiles. Au Libéria par
exemple, en décembre 2013 et donc avant la crise Ebola, des grèves
d'infirmières ont eu lieu dans la capitale pour revendiquer des
améliorations salariales. L'exode des professionnels de santé africains
vers l'Amérique du Nord ou l'Europe reste un grave problème et les pays
occidentaux ne peuvent pas d'un côté déplorer le manque de professionnels
en Afrique et d'un autre côté laisser le brain drain s'opérer librement.
Ainsi, les Etats Unis actuellement très présents dans la lutte contre Ebola
(on rappellera que leur aide publique au développement en % de leur PIB est
l'une des plus faibles du monde occidental), oublient de dire qu'ils sont
l'un des principaux responsables de cet exode de professionnels de santé
africains. La crise Ebola est en effet aussi la conséquence de cette
hémorragie des ressources rares et compétentes du Sud vers le Nord, du fait
de l'incapacité des pays du Nord à former suffisamment de personnels de
santé. C'est ainsi qu'aux Etats Unis, on estimait en 2008 que 26% des
médecins en exercice ont été formés à l'étranger !
Ce rapport de l'OCDE et de l'OMS de 2008 pointait déjà du doigt cette
hémorragie, dont les conséquences sont extrêmement graves dans les pays
d'Afrique Sub-Saharienne, citant notamment la Sierra Leone et le Libéria
parmi les pays les plus impactés.
« La situation est toutefois fort différente dans le cas de certains pays
dont plusieurs africains. Parmi les pays où le taux d’expatriation des
médecins est supérieur à 50 % (ce qui signifie que les médecins nés dans
ces pays sont aussi nombreux à travailler dans les pays de l’OCDE qu’à
travailler dans leur propre pays) on trouve de petits États insulaires des
Caraïbes et du Pacifique, ainsi que cinq pays africains – Mozambique,
Angola, Sierra Leone, République Unie de Tanzanie et Liberia. Plusieurs
pays africains francophones ont aussi des taux d’expatriation élevés,
supérieurs à 40 %. »
http://www.oecd.org/fr/els/systemes-sante/44786070.pdf
La crise Ebola dans ces pays, a entrainé un surplus de travail considérable
pour ces professionnels de la médecin, bien souvent incapables d'y faire
face. Leur équipement dans les centres de santé souvent insuffisants, pour
ne pas dire dans de nombreux cas dérisoires. Même en situation normale, il
manque souvent le nécessaire pour garantir l'hygiène ou même la protection
des professionnels face aux malades. Des grèves à l'hôpital de Monrovia au
Libéria ont montré la détresse de ces professionnels. En Guinée, des
patients ont préféré déserter les centres de santé, compte tenu des risques
de contamination qu’ils considèrent élevés dans le principal hôpital du
pays.
Il semble que le point le plus critique dans la crise Ebola soit le manque
de personnels de santé. A ce titre, l'annonce récente par les autorités
cubaines d'envoyer 165 médecins en Sierra Leone est plutôt un geste à
saluer.
Une action internationale inadaptée
Les stratégies de santé en Afrique Sub-saharienne sont très influencées
voire directement pilotées par les organisations internationales. Même s’il
est vrai que la mobilisation autour de certaines pathologies dites
prioritaires (VIH/Sida, paludisme, tuberculose) sont des opportunités de
mobilisation des ressources, les interventions à financer devraient
pourtant se baser sur une approche holistique et systémique sur le terrain.
Malheureusement, nous constatons que les ressources mobilisées pour ces
pathologies ont engendré la création de structures et des circuits
exceptionnels parallèles aux systèmes classiques. C’est ainsi que les
systèmes d’information sanitaire, d’approvisionnement en médicaments et
autres réactifs, de coordination des agents communautaires ont été
perturbés dans la plupart des pays Africains. En outre tout laisse croire
que les priorités dans les pays sont en réalité fortement influencées par
les lobbies qui mobilisent et orientent l’utilisation des ressources
internationales.
Par ailleurs, l'absence de réflexion sur les déterminants sociaux, comme
les inégalités sociales et les pesanteurs socio-culturelles ne permet pas
d'agir de manière optimale sur le fonctionnement de la société en amont
pour diminuer les infections, alléger le poids du travail des
professionnels de santé surchargés. Les systèmes de santé en Afrique ont
une approche trop médicalisée où la priorité et les énergies sont investies
essentiellement sur le curatif. La promotion de la santé, susceptible
d’éviter de nombreux cas de maladies et qui est moins couteux que le
curatif est négligée dans la plupart des pays. L’adage qui dit que « Mieux
vaut prévenir que guérir » n’a pas encore été adopté par la grande majorité
des autorités sanitaires africaines. Potentiellement, l'Afrique
Sub-Saharienne avec sa forte charge de morbidité et une vision curative des
systèmes de santé au détriment de la prévention représente une terre
d'avenir pour les laboratoires pharmaceutiques.
La crise Ebola vient rappeler que les mesures d'hygiène les plus
élémentaires sont souvent les plus efficaces pour combattre un grand nombre
de maladies. Un grand nombre de résolutions dans le domaine de la santé
sont adoptées chaque année, mais restent juste souvent des vœux pieux,
faute de volonté politique pour les mettre en œuvre. Par ailleurs, on peut
se demander si les néo-libéraux, qui ont une forte capacité d'influence
dans les instances internationales, ne cherchent pas à saboter les
politiques de santé publique à caractère systémique, en préférant
privilégier le développement des initiatives privées dans la santé.
Alarmisme ambiant
L'opinion publique internationale reçoit chaque jour un nombre très
important d'articles sur la crise Ebola. Ils témoignent d'une dégradation
de la situation sur trois pays (Guinée, Libéria, Sierra Leone) ce qui est
parfaitement exact, mais regorgent également d'articles établissant des
prévisions catastrophiques à l'avenir en Afrique. Or, sur ce deuxième
point, on peut parfois se demander sur quelles bases sont formulées ces
prévisions et à quel dessein.
Générer de la panique inutilement ne servira pas à stopper rapidement
l'épidémie d’Ebola sur les trois pays les plus touchés. Ces rumeurs et
paniques peuvent éventuellement pousser certaines autorités, en particulier
internationales, à mettre sur pied dans l'urgence un fonds international
avec en ligne de mire l'accès aux traitements via les laboratoires
pharmaceutiques qui sont déjà sur les rangs.
La Banque Mondiale elle même, ne cesse d'envoyer des communiqués alarmistes
indiquant que la peur pourrait faire chuter massivement le PIB des pays
impactés. Si la Banque Mondiale souhaite réellement que les rumeurs et la
peur cessent, elle ferait alors bien de changer de stratégie de
communication. On pourrait également s'interroger sur le rôle de la Banque
Mondiale dans le financement du renforcement des soins primaires en Afrique
ces dernières années, l'OMS émettant depuis de nombreuses années les mêmes
recommandations sur l'amélioration indispensable de l'hygiène, alors que
leur défaillance est mis en évidence dans cette crise. La Banque Mondiale
et le FMI auraient plus de crédibilité dans l'opinion publique s'ils
tiraient régulièrement la sonnette d'alarme sur les risques pesés par les
inégalités sociales en Afrique et les mauvaises conditions d'exercice des
professionnels de santé.
Il serait aussi judicieux d'étudier le rôle des media dans la crise Ebola.
Ont-ils préféré diffuser de manière systématique les messages les plus
catastrophiques dans une forme de surenchère augmentant par cette approche
les rumeurs ou les peurs, ou bien ont-ils cherché à enquêter de manière
approfondie sur les tenants de la crise et les lacunes structurelles de ces
pays ? Là aussi, la responsabilité des media devrait être de se baser sur
des faits et de connaître précisément dans quelles conditions vivent les
populations concernées et l'action réelle des institutions chargées
normalement de répondre à leurs besoins de base.
Or l'urgence, c'est d'agir concrètement sur le terrain en apportant des
ressources complémentaires, notamment en personnels de santé, aux pays qui
en manquent.
Il est nécessaire de noter par ailleurs que pour le moment, l'épidémie
d'Ebola reste globalement confinée à trois pays (Guinée, Libéria, Sierra
Leone), quelques cas ayant été détectés au Nigéria. Sur les autres pays
limitrophes (Sénégal, Mali, Côte d'Ivoire, Guinée Bissau), il semble que la
situation soit à ce jour maîtrisée. Rien n'indique pour le moment, que
l'épidémie d'Ebola va forcément se déployer en dehors de ces trois pays.
Echec d'anticipation
Ces derniers subissent sont durement touchés, nous l'avons vu, du fait de
l'incapacité des soignants à délivrer correctement les autres prestations
de santé aux populations. La faiblesse des systèmes de soins de ces pays
est clairement mise à nue. Le manque de ressources en santé reste un
problème récurrent et les pays africains ne sont souvent pas à même de
surmonter de graves crises sanitaires par eux-mêmes.
Les Nations Unies viennent de demander un milliard de dollars pour lutter
contre Ebola, somme très importante dont on aimerait connaître la
destination et la stratégie envisagée. On peut regretter que les dirigeants
des Nations Unies ne soient pas capables d'anticiper de telles crises, ni
sanitaires ni de guerres civiles d'ailleurs. La santé des populations les
plus pauvres est-elle une priorité ou bien seulement quand celle des
populations riches est menacée ? Le silence des Nations Unies sur les
inégalités sociales très élevées en Afrique sub-Saharienne montre bien que
le bien-être des populations africaines n'est pas encore au cœur des
préoccupations internationales, ni même nationales lorsqu'on voit la
faiblesse des budgets nationaux de santé.
Les pays africains vont-ils rester encore longtemps dépendants des
stratégies extérieures ? Ils ont les moyens de proposer à toutes leurs
populations des soins primaires de qualité, notamment par une bonne
gouvernance et en diminuant les inégalités sociales. Cherche-t-on
réellement à ce que l’Afrique soit en bonne santé, où veut-on juste la
maintenir dans un état végétatif pour continuer à s’enrichir sur les coûts
de ses soins ?
Enfin, il devient crucial que les pays du Nord cessent de se servir dans le
vivier déjà faible des professionnels de santé africains. Cette crise
Ebola, où tout le monde a pu constater l'insuffisance de praticiens, montre
aussi la responsabilité de pays du Nord qui faute d'investissements en
formation de santé dans leurs propres pays n'ont aucun état d'âme à
récupérer des professionnels déjà formés issus de pays pauvres. A ce titre,
les politiques migratoires de certains pays (en particulier Etats Unis,
Canada, Royaume Uni) devraient être revisitées en étudiant de manière
directe et indirecte les dommages causés sur les systèmes de santé en
Afrique. Il est également de la responsabilité des dirigeants africains,
s'ils considèrent la santé comme une priorité, de dénoncer cette situation.
En parallèle ils se doivent de mettre en place des conditions de
rémunération correctes pour leurs professionnels de santé qui jouent un
rôle essentiel dans le développement de leurs pays.
*plus la place est loin dans le classement, plus le sentiment de corruption
est élevé.
Betrand Livinec est membre de l’association Développement et Santé
Simon Kabore est Directeur exécutif du RAME (Réseau d'Accès aux Médicaments
Essentiels, Burkina Faso).
--
Simon KABORE
Directeur Exécutif du Réseau Accès aux Médicaments Essentiels (RAME)
04 BP: 8038 Ouagadougou 04 Burkina Faso
Tel: bur (226) 50 37 70 16
Cel: (226) 70 24 44 55
E-mail alternatif: simonkabore@rame-int.org