[e-med] Epreuve de l¹incorporation des antirétroviraux et temporalités des traitements du sida en Centrafrique

Extrait de
http://shsvih.hypotheses.org/280

Pierre-Marie David a soutienu sa thèse en Sociologie intitulée :
Le traitement de l¹oubli: Épreuve de l¹incorporation des antirétroviraux
et temporalités des traitements du sida en Centrafrique
Date & lieu : Jeudi 5 décembre 2013, 9h00
Pavillon Roger Gaudry (salle S-116), Université de Montréal,2900 Boul.
Édouard-Montpetit, Montréal
* vidéoconférence avec une partie du jury à Paris le 5 décembre à 15h:
salle J402, bât Jacob au 4ème étage, Cermes, 45 rue des Saints-Pères.

Résumé:

Cette thèse propose une description ethnographique et une analyse
sociologique de l¹arrivée des traitements antirétroviraux (ARV) à Bangui,
c¹est-à-dire de cette rencontre singulière entre un programme
international à l¹ampleur inédite et une société locale durement touchée
par l¹infection. S¹appuyant sur trois années de terrain entre 2005 et
2011, la démarche qualitative vise à répondre à la question suivante : de
quoi les antirétroviraux sont-ils vraiment l¹incorporation ?

Les programmes d¹accès au traitement constituent un pouvoir thérapeutique
qui se structure comme une «politique de la vie» s¹articulant autour de
réseaux mettant en lien des médicaments, des ONG privées, des consultants
internationaux et une histoire postcoloniale. L¹affirmation de ce pouvoir
est majeure et structurante dans un contexte centrafricain de postconflit
faisant suite à une décennie de troubles militaro-politiques. Les
ressources accompagnant cette prise en charge renforcent une sociabilité
et une individuation fondée sur cette différence biologique que représente
l¹infection à VIH.

Pour rendre des comptes aux contribuables occidentaux et gouverner
localement l¹intervention, des techniques et pratiques d¹inscription sont
mises en place (indicateurs de performance, taux de décaissement, mesures
biologiques, etc.). Ces «pratiques scriptuaires» contribuent ainsi à
réduire la distance entre un pouvoir global et de lointains sujets. Elles
constituent le coeur d¹une traduction sociale entre le global et le local
qui alimente ce que nous appelons, en nous référant à Michel de Certeau,
une «économie scriptuaire» qui tient les comptes d¹un projet biopolitique
global pour satisfaire aux Objectifs du Millénaire.

Une autre distance, celle-là entre les prétentions et les réalités du
pouvoir thérapeutique explique les ambivalences ressenties lors de
l¹incorporation biologique et sociale des ARV. Finalement, le pouvoir
thérapeutique dans le contexte social centrafricain se caractériserait
alors moins par des formes exclusivement biomédicales de subjectivité, que
par un processus d¹individuation fragmenté basé sur des pratiques
biomédicales souples, démonstratives et oublieuses.
Il apparaît alors plus clairement que les programmes internationaux de
traitement de l¹infection à VIH contribuent à produire de l¹oubli ou plus
précisément à écrire l¹oubli à partir des «pratiques scriptuaires»:
l¹oubli des histoires individuelles enchâssées dans des inégalités
sociales insurmontables, mais aussi l¹oubli d¹une Histoire plus longue qui
montre que l¹infection à VIH est l¹incorporation d¹un passé colonial.

Finalement, dans cet oubli se jouent plusieurs recommencements en santé
publique internationale: celui de venir (et revenir) sauver des vies, de
montrer que c¹est possible et de proposer un futur qui façonne le présent.
Prendre un temps pour reconnaître ces temporalités du traitement paraît
alors de plus en plus nécessaire pour construire un présent qui émancipe,
plutôt qu¹il ne répète.