[e-med] Financer la lutte contre le VIH/Sida : plus et mieux !

Point de vue
Financer la lutte contre le VIH/Sida : plus et mieux ! par Gilles Brücker,
Eric Delaporte,...
LEMONDE.FR | 30.03.10 | 14h41 • Mis à jour le 30.03.10 | 14h41
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/03/30/financer-la-lutte-contre-le-vih-sida-plus-et-mieux-par-gilles-brucker-eric-delaporte_1326246_3232.html

Dans les jours qui viennent de s'écouler, trois évènements importants pour
la lutte contre le sida se sont succédé. Au travers du Sidaction 2010, nos
concitoyens ont été appelés à exprimer leur solidarité en faveur de la
recherche et des familles affectées par le VIH.

Les 24 et 25 mars, s'est tenue à La Haye la première réunion préparatoire
à la "reconstitution" des financements du Fonds mondial de lutte contre le
sida, la tuberculose et la malaria, processus qui devrait se conclure cet
automne et qui couvrira les années 2011-2013.

Le 28 mars, s'est ouverte à Casablanca la 5e conférence francophone de
lutte contre le VIH. Celle-ci se tient, pour la première fois depuis sa
création en 2001 à Montréal, sur le continent africain, qui concentre les
deux tiers des 34 millions de personnes qui vivent avec le VIH dans le
monde et où 2 millions de nouvelles contaminations, dont 400 000 chez
l'enfant, continuent de se produire chaque année.

En effet, il y a urgence à remettre au cœur des priorités internationales
l'engagement d'accès universel à la prévention, au traitement et à la
prise en charge du VIH/sida, maintes fois répété par l'ensemble des pays
membres des Nations unies.

Qui aurait pu imaginer au début des années 2000, alors que prévalait le
scepticisme quasi généralisé des experts et des financeurs sur ce sujet,
que plus de 4 millions de personnes vivant avec le VIH, dont 3 millions en
Afrique, bénéficieraient de traitements efficaces ? Qui aurait pu imaginer
que l'amélioration de l'accès aux antirétroviraux puisse se traduire par
une baisse effective de la mortalité globale, toutes causes, dans les
zones géographiques les plus touchées ? Qui aurait pu imaginer que des
enfants nés de mères séropositives ne le deviennent pas ni à travers la
naissance ni au cours de l'allaitement ?

Dès à présent ces traitements constituent un levier pour l'amélioration
globale des systèmes de santé des pays en développement.

POUR DEUX PERSONNES MALADES SOUS TRAITEMENT, CINQ NOUVELLES INFECTIONS

Et pourtant, en dépit de ces progrès sans précédent dans l'histoire de la
santé publique internationale, nous perdons la course de vitesse avec le
virus : pendant que deux personnes supplémentaires infectées par le VIH
sont mises sous traitement, ce sont cinq nouvelles infections qui
surviennent. Et pourtant, cette défaite n'est pas inévitable car nous
pouvons casser définitivement la dynamique de diffusion du virus. Sans
attendre un vaccin, dont la recherche doit bien sûr être poursuivie sans
relâche, nous disposons déjà de moyens de prévention efficaces : de la
circoncision et de la prévention de la transmission materno-fœtale à
l'éducation pour réduire les comportements à risque, en passant par le
traitement antirétroviral précoce lui-même. En effet, plusieurs études
scientifiques soulignent maintenant que la réduction de la transmission du
virus entre individus est de plus de 90 % lorsque les sujets contaminés
sont efficacement traités.

Cela veut dire que nous avons maintenant les moyens de contrôler et plus
encore de faire régresser l'épidémie à l'échelon planétaire, en incitant
au dépistage et au traitement précoce des personnes infectées.

L'OMS ne s'y est pas trompée, qui recommande fin 2009 la nécessité
impérative de dépister plus tôt pour une mise plus précoce sous
traitement, et de contrôler l'efficacité du traitement par des examens
biologiques capables de dépister l'émergence de la résistance du virus aux
antirétroviraux. Pour cela, l'efficacité du traitement doit être
surveillée par la mesure directe de la quantité de virus dans le sang – ce
que l'on appelle la charge virale - au minimum une fois par an. Or cet
examen est trop rarement disponible au Sud. Les équipements manquent, leur
maintenance n'est pas assurée, les réactifs de biologie sont trop coûteux
car toujours sous un monopole de fabrication par l'industrie, sans réelle
concurrence pour faire baisser les prix. De même, si des traitements à
base de médicaments génériques sont disponibles pour moins de 80 euros par
personne et par an dans les pays pauvres, les traitements dits de 2e et 3e
lignes demeurent quinze à trente fois plus coûteux et quasiment
inaccessibles, laissant de nombreux patients sous des traitements de
première ligne devenus inefficaces.

La principale barrière à faire sauter est celle du scepticisme renouvelé
qui semble se répandre, à la faveur de la crise économique et financière,
dans les cercles des décideurs de l'aide au développement. Derrière les
exigences légitimes de retour sur investissement, c'est-à-dire d'encore
améliorer la productivité des programmes par euro ou dollar investi, ou de
meilleure articulation entre la lutte contre le sida et les autres
Objectifs du millénaire sur la santé, la réduction des mortalités
infantile et maternelle s'avance masquée, le spectre du renoncement
serait un formidable gâchis des efforts accomplis ces dix dernières années
et un abandon pathétique du contrôle de l'épidémie dont nous serions tous
collectivement responsables.

L'un des scénarios "réalistes" favorablement accueilli par certains pays
donateurs pour le Fonds mondial, principal bailleur de fonds multilatéral
de l'aide en matière de sida, parle d'un total de 13 milliards de dollars
pour les trois années 2011-2013, ce qui représenterait une augmentation,
apparemment significative, de 30 % par rapport à la période 2008-2010.
Mais, au regard des besoins du passage à l'échelle de la lutte, un tel
scénario équivaut en fait à une régression. C'est au minimum un doublement
des moyens du Fonds, soit 20 milliards de dollars sur trois ans, qui
permettrait de garder le cap vers l'objectif d'accès universel. La somme
n'est pas négligeable, mais comparons-la aux 8 000 à 11 000 milliards de
dollars, dont un quart donné directement aux banques, rapidement
mobilisées par les pays développés pour venir en aide aux marchés
financiers…

Rassemblée à la conférence de Casablanca, la francophonie du VIH/sida se
retrouvera en première ligne dans ce nouveau combat pour que soient
renforcées les ressources humaines, économiques et financières qui peuvent
permettre de débarrasser la planète de cette pandémie meurtrière.

La francophonie n'est pas seulement une communauté de langue, dans un
univers international scientifique et technique où les documents d'accès à
des programmes d'aide sont en anglais, les conférences et les débats
stratégiques et politiques également. C'est aussi une communauté de
valeurs, une pensée qui donne un poids important à l'égalité des droits,
en particulier pour les plus exposés, les plus éloignés des sites de
soins, les plus enfermés dans l'exclusion du monde carcéral, ou de
l'isolement social. Elle a joué un rôle déterminant pour lancer le
mouvement international d'accès universel à la prévention et au traitement
du sida. La francophonie doit continuer cette lutte pour une plus grande
efficacité dans le renforcement des ressources et une réelle équité dans
l'accès à la prévention et aux soins.

Signataires :

Pr Gilles Brücker, directeur du GIP Esther (Groupe d'intérêt public
Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau)

Pr Eric Delaporte, vice-président de la 5e conférence francophone VIH/sida

Pr Jean-François Delfraissy, directeur de l'ANRS (Agence nationale de
recherche sur le sida)

Eric Fleutelot, directeur général adjoint d'International Sidaction

Pr Hakima Himmich, présidente de la 5e conférence francophone VIH/sida

Pr Christine Katlama, présidente de l'Afravih (Alliance francophone des
acteurs de santé contre le VIH)

Pr Jean-Paul Moatti, professeur d'économie de la santé à l'université
Aix-Marseille-II