La couverture sanitaire universelle - L¹après-Ebola
http://www.irinnews.org/fr/report/100986/la-couverture-sanitaire-universell
e-l-après-ebola
Londres, 5 janvier 2015 (IRIN) - L'épidémie d'Ebola en Afrique de l¹Ouest
a cruellement souligné les lacunes des systèmes de santé des pays touchés
par le virus. Il était compréhensible que ces pays ne soient pas prêts à
faire face à l¹épidémie - qui n'avait jamais sévi dans la région
auparavant - mais Margaret Chan, le directeur général de l'Organisation
mondiale de la santé (OMS), dit qu'ils n'avaient pas les infrastructures
de santé publique essentielles pour répondre à l'inattendu.
« Cela nécessite de disposer de données de bonne qualité sur les
situations habituelles », dit-elle, « pour pouvoir remarquer les
situations inhabituelles. [Cela veut dire] qu'il faut offrir des soins de
santé de bonne qualité et d'un coût abordable à tous et pas seulement aux
populations aisées des zones urbaines ; déployer un nombre suffisant
d'infrastructures dans les bons endroits, les doter d'un nombre approprié
de personnels correctement formés et assurer un approvisionnement continu
en médicaments essentiels ; développer une capacité de diagnostic
permettant de délivrer des résultats rapides et fiables ; et créer des
systèmes d'information permettant de repérer les lacunes et d'orienter les
stratégies et les ressources pour répondre aux besoins non satisfaits ».
Mme Chan se référait à ce que l'on appelle la première Journée de la
couverture sanitaire universelle
<http://universalhealthcoverageday.org/news-release-fr/> (12 décembre) et
exposait une liste de dispositions ambitieuses pour des systèmes de santé
capables de parer à toute éventualité. Manifestement, cela représente un
challenge dans tous les pays en développement, mais encore plus dans les
Etats fragiles comme les pays actuellement touchés par le virus Ebola.
La prochaine fois, ce sera peut-être le SRAS
Nick Hooton est un conseiller en matière de recherche, de politique et de
pratique auprès de ReBuild Consortium, un organisme qui travaille au
renforcement des systèmes de santé dans les Etats sortant d'un conflit. Il
a dit à IRIN que, si aucune étude n¹'vait été réalisée jusqu'à présent, la
progression rapide de la maladie était presque certainement liée à
l'environnement post-conflit. « Les systèmes sont manifestement très
faibles », dit-il, « et les niveaux de dotation sont très insuffisants,
mais il existe des facteurs plus subtils à prendre en considération, les
problèmes liés à la confiance, par exemple. Cette maladie a été
correctement contrôlée dans d'autres pays et pourtant elle est devenue
incontrôlable. Si l'on se penche sur le cas de la RDC [la République
démocratique du Congo] ou du nord de l'Ouganda, on voit qu'il n'y a pas
beaucoup de personnels de santé là-bas non plus. Il s'agit donc de
problèmes tels que la rupture des liens entre les communautés et les
services publics, et il faut beaucoup de temps pour les reconstruire ».
M Hooton souligne qu'il est crucial de résoudre les faiblesses
sous-jacentes : « Cette fois-ci, c'est Ebola, mais la prochaine fois, cela
pourrait être le SRAS ou une autre maladie. Il faut créer un plan d'action
contre la maladie - Ebola est une maladie terrible et elle est
incontrôlable - mais éradiquer la maladie et laisser les systèmes de santé
dans l'état dans lequel ils se trouvent ne rend service à personne ».
Les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), qui arriveront
bientôt à leur terme, fixent des objectifs de santé dans des secteurs
spécifiques, comme la santé maternelle et infantile, ou pour des maladies
spécifiques la tuberculose, le paludisme et le VIH/SIDA. Cette approche
avait l'avantage d'établir des objectifs mesurables et d'attirer les dons
des bailleurs de fonds, mais elle ne fonctionnait pas pour la résilience
globale évoquée par Margaret Chan. Aujourd'hui, alors que les négociations
relatives aux objectifs de l'après-2015 se poursuivent, il est possible de
passer d'une stratégie « verticale » à secteur unique à une stratégie plus
« horizontale » plus large.
David Heymann, le directeur du Centre de sécurité sanitaire mondiale de la
Chatham House, dit qu'il faut considérer ce qui est arrivé dans le passé.
« Il y avait un traité international, le Règlement sanitaire
international, qui stipule clairement que 194 pays se sont engagés à
développer leurs capacités de base en santé publique. Les pays devaient
évaluer eux-mêmes leur progrès dans la réalisation de ces objectifs, et
ils étaient censés renforcer leurs capacités de base avant 2014.
« Que s'est-il passé ? Je vais être un peu dur et dire que les organismes
donateurs n'ont pas injecté de fonds par le biais du cadre de santé
international ; ils n'ont pas pris la peine de verser, de manière
unilatérale, des fonds à ces pays, et les organisations internationales
n'ont pas pris la peine d'essayer de faire respecter ce traité signé par
194 pays. Alors nous repartons de zéro. Nous devons tout reprendre depuis
le début ».
Utiliser le vertical pour mesurer l¹horizontal
La demande de résultats mesurables privilégiera toujours les interventions
axées sur une maladie unique plutôt que le renforcement des systèmes de
santé, moins spectaculaire et plus commun, mais M. Heymann dit qu'il faut
trouver un moyen de les associer. « Nous devons utiliser certaines de ces
questions comme des indicateurs de la couverture sanitaire universelle. Si
l'on parvient à mettre en place un programme de traitement communautaire
pour les malades du VIH ou de la tuberculose par l'intermédiaire d¹un
système et que l'on peut introduire d'autres systèmes, on crée la
couverture sanitaire universelle. Utilisons le vertical pour mesurer
l'horizontal ».
Cela nécessite de l'argent bien sûr et les discussions autour de la
couverture sanitaire universelle le 12 décembre à la l'Ecole d'hygiène et
de médecine tropicale de Londres ont donné lieu à des débats intenses sur
les mérites des différents types de financement.
Anne Mills, la directrice adjointe de l'Ecole de Londres, a défini ce
qu'elle considère être les règles de base : « Premièrement, le principe
fondamental sur lequel repose la couverture sanitaire universelle est que
chacun contribue en fonction de sa capacité à payer et bénéficie de la
couverture en fonction de ses besoins de santé. Un bon système de
financement doit être équitable les plus riches devraient payer
davantage que les plus pauvres. Deuxièmement, il faut dépendre le moins
possible des paiements au point d'utilisation ; les paiements doivent être
anticipés. Et troisièmement, le financement doit être, autant que
possible, mutualisé et non pas segmenté entre différents groupes pour
différents groupements de population ».
Mme Mills a expliqué qu'un grand nombre de systèmes de santé en Afrique,
par exemple, ont des difficultés à mettre cette pratique en place :
jusqu'à 48 pour cent du coût des soins au Kenya, 66 pour cent au Nigeria
et 76 pour cent en Sierra Leone sont payés par l'usager au point
d¹utilisation, ce qui pèse très lourdement sur les pauvres.
Au Royaume-Uni, les services de santé sont financés par les impôts et sont
gratuits au point d'utilisation. Il n¹est donc pas surprenant que le
discours dominant lors des discussions organisées à Londres ait été
favorable au modèle de financement public.
Robert Yates, un économiste de la santé, a étudié sur ces questions pour
le ministère du Développement international du Royaume-Uni (DFID) et
l'OMS. Il a dit à IRIN : « La clé est le financement obligatoire et public
par le biais de l'impôt ou par le biais d'une assurance sociale
obligatoire. Il faut que les personnes plus aisées payent davantage et
qu'elles disposent d'une assurance volontaire. Si on laisse faire le
marché, il essayera toujours d'accorder des primes plus basses aux
populations en meilleure santé et de faire payer des primes plus élevées
aux personnes qui en ont le plus besoin ou de les exclure. C¹est la raison
pour laquelle les systèmes basés sur le volontariat ne fonctionnent
jamais. Les régimes d'assurance maladie communautaire, qui semblent
parfaits, n'ont jamais fonctionné ».
Un processus éminemment politique
M. Yates voit d'un oeil critique les efforts entrepris par les organismes
tels que la Banque mondiale pour inciter les pays en développement à
passer aux systèmes de financement privé dans lesquels les populations
doivent souscrire une assurance ou payer eux-mêmes les soins dont ils ont
besoin. Selon M. Yates, c'est une terrible erreur, car cela a entraîné un
affaiblissement des systèmes de santé, plus particulièrement en Afrique.
Il constate cependant des changements positifs en Thaïlande, en Amérique
latine et plus récemment en Indonésie.
« On constate que lorsque les pays font la transition vers le statut de
pays à revenu moyen », dit-il, « ils ont les ressources nécessaires pour
passer à un système de financement public, mais cela ne se fait pas tout
seul. Contraindre les personnes aisées et les personnes en bonne santé à
payer de façon indirecte pour les personnes malades et les pauvres est un
processus éminemment politique. Mais des hommes politiques perspicaces
reconnaissent que la couverture sanitaire universelle serait très
appréciée des populations, et c'est fantastique quand cela arrive ».
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