La maladie du sommeil en voie d’éradication
L’objectif de l’OMS, en partenariat avec Sanofi qui y a consacré 100 millions d’euros en vingt ans, est de l’avoir éliminée d’ici à 2030.
Par Keren Lentschner
Publié le 14/12/2020 à 18:02, mis à jour le 14/12/2020 à 18:02
https://www.lefigaro.fr/sciences/la-maladie-du-sommeil-en-voie-d-eradication-20201214
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) est en passe de gagner son pari. L’Afrique subsaharienne pourrait bientôt être débarrassée de la maladie du sommeil. Il reste moins d’un millier de nouveaux cas par an (dont 85 % en République démocratique du Congo), contre 37.000 au pic de la contamination dans les années 1990. À l’époque, on estime que 300.000 personnes n’avaient pas été diagnostiquées et n’avaient pu bénéficier d’un traitement. «Cette maladie devrait être éliminée d’ici à 2030», se réjouit le Dr Daniel Argaw Dagne, responsable de la prévention et du traitement des maladies tropicales négligées à l’OMS.
Après la variole en 1980 et la poliomyélite, en voie d’éradication, ce serait la troisième maladie à disparaître. «Nous préférons parler d’élimination plutôt que d’éradication, les parasites pouvant continuer à se développer dans la nature et chez les animaux», précise le Dr Dagne.
La maladie du sommeil ou trypanosomiase humaine africaine (THA) tient son nom scientifique du parasite, le trypanosome, transmis par les piqûres des mouches tsé-tsé. Elle se traduit d’abord par une rougeur cutanée puis, souvent, par de la fièvre, des douleurs musculaires, des migraines et une irritabilité. Aux stades avancés, la maladie attaque le système nerveux central, pouvant altérer la personnalité et provoquer des troubles de l’élocution, des crises convulsives et des difficultés pour marcher ou parler. En l’absence de traitement, elle peut être mortelle.
Nous sommes parvenus à limiter la portée de cette maladie en combinant la surveillance des populations, le dépistage, la destruction de foyers de mouches tsé-tsé
Dr Daniel Argaw Dagne, responsable de la prévention des maladies tropicales négligées à l’OMS
La maladie du sommeil, vécue dans certains villages comme l’œuvre des mauvais esprits, frappe des zones rurales souvent reculées. Ce qui complexifie l’accès aux populations. L’OMS coordonne et soutient l’action des gouvernements, avec l’aide sur le terrain d’ONG (MSF…).
Concrètement, un système de surveillance a été mis en place dans les 36 pays concernés par la THA. Cela passe par le développement de centaines de centres de diagnostic et de traitement. Des équipes mobiles se déplacent aussi dans les villages pour sensibiliser et former les populations. «Nous sommes parvenus à limiter la portée de cette maladie en combinant la surveillance des populations, le dépistage, la destruction de foyers de mouches tsé-tsé et, bien sûr, grâce aux traitements», résume le Dr Dagne.
Sanofi, dont les premiers médicaments contre la maladie du sommeil remontent aux années 1950, accompagne depuis vingt ans l’OMS. Le laboratoire français, qui a consacré 100 millions d’euros à la lutte contre les maladies tropicales négligées (maladie du sommeil, maladie de Chagas, ulcère de Buruli…), assure un soutien financier et des donations de médicaments.
Partenariat public-privé
En vingt ans, 210.000 malades ont été traités. Sanofi vient de renouveler ce partenariat à travers un financement de 25 millions d’euros sur cinq ans. En parallèle, même si la maladie est en voie d’éradication, la R&D se poursuit. Le laboratoire y consacre plusieurs dizaines de millions d’euros. L’éradication de la poliomyélite et de la maladie du sommeil fait partie des priorités de Paul Hudson, le nouveau PDG de Sanofi.
Jusqu’en 2018, les malades étaient soignés par des médicaments administrés par intraveineuse. Les malades devaient se rendre jusqu’aux centres médicaux, souvent situés loin de chez eux, mettant à la fois leur vie et leur emploi en péril. Le traitement durait deux semaines, avec des effets toxiques dans une minorité de cas. Un coût important pour des systèmes de santé déjà exsangues.
«L’arrivée d’un premier médicament oral, le fexinidazole, très bien toléré, a révolutionné le traitement de cette maladie», raconte le Dr Dagne. Après avoir été formés, infirmiers et paramédicaux peuvent délivrer le médicament aux patients chez eux, sans qu’ils aient à se déplacer.
Ce comprimé, qui doit être pris pendant dix jours, est le fruit d’un partenariat public-privé initié en 2009 entre Sanofi et le DNDI (Initiative pour des médicaments contre les maladies négligées). Cet organisme à but non lucratif basé à Genève a notamment été créé par MSF, l’OMS, et l’Institut Pasteur. C’est lui qui a ressorti de l’oubli le fexinidazole, un antiparasitaire dont Hoechst (qui fait désormais partie de Sanofi) avait entamé le développement préclinique dans les années 1970, mais sans y donner suite.
Dès lors, le laboratoire se charge du développement, de la fabrication, des procédures réglementaires et de la distribution du médicament. «Il n’y a quasiment pas d’innovation dans le traitement des maladies tropicales négligées, pas de marché, aucune incitation financière, déclare Luc Kuykens, responsable des programmes de santé publique de Sanofi. La maladie du sommeil est une exception.» Peu cher, le fexinidazole présente aussi l’avantage de traiter les patients infectés par la forme orientale du parasite, minoritaire, insensible au traitement précédent.
La prochaine étape sera la distribution d’un autre médicament, l’acoziborole, pris en une seule dose. Également codéveloppé par Sanofi et le DNDI à partir d’une molécule licenciée par un autre laboratoire, Pfizer, il est actuellement en phase finale (2-3) d’essai clinique en Guinée et en RDC. Il devrait permettre d’éliminer enfin la maladie.