[deux articles.CB]
Mediator : la lettre de départ du directeur de l'agence du médicament
Par JEAN MARIMBERT Directeur général de l'Agence française de sécurité
sanitaire des produits de santé depuis 2004
Après sept années à la direction de l'Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé (Afssaps), je vais bientôt quitter cet établissement
public dans le contexte d'une crise sans précédent, celle du Mediator,
médicament dont j'ai suspendu l'autorisation de mise sur le marché en
novembre 2009 après avoir retiré une de ses deux indications en juin 2007.
Malgré la gravité de l'ébranlement actuel, je veux dire ma fierté d'avoir
dirigé cet organisme public et ma reconnaissance envers ses équipes
compétentes et dévouées à la santé publique. Mais comment nier que cette
fierté est ternie par ce que nous apprend l'analyse de l'historique du
Mediator ? Et comment ne pas être taraudé par une interrogation lancinante
sur ce qui aurait pu et dû être fait pour que l'usage et le mésusage de ce
médicament cessent plus tôt ?
Il n'est pas équitable de balayer tout souvenir des trains sanitaires qui
sont arrivés à l'heure. Nous devons cependant nous interroger sans
complaisance ni tabou sur les changements nécessaires. Et faire l'exercice
en ne cédant ni à des réflexes de défense institutionnelle ni au contraire à
la tentation de focaliser la critique sur un seul organisme public dans une
affaire ou plusieurs catégories d'acteurs doivent aujourd'hui se poser la
question des enseignements à tirer sur leurs propres pratiques.
Il faut tout d'abord éviter de céder au mirage des restructurations. L'Etat
ne pourra pas se passer d'un organisme public tel que l'Afssaps, à la fois
proche du ministère de la Santé, partie intégrante de l'organisation
nationale de la santé publique et chargé de prendre, au nom de l'Etat, de
façon autonome sur les plans scientifique et opérationnel, les décisions
sanitaires sur les produits de santé sans lesquelles la continuité du
système de soins serait compromise. Le travail quotidien de police sanitaire
ne peut pas matériellement être recentralisé dans une administration
ministérielle classique. Il ne doit pas non plus être transféré à une
autorité indépendante soustraite à toute forme de contrôle gouvernemental,
sous peine de couper le lien nécessaire entre la responsabilité
administrative et le lieu où s'exerce la responsabilité politique.
Il faudra aussi résister à l'illusion d'améliorer le système en séparant la
pharmacovigilance de l'agence en charge des produits de santé, au motif que
ceux qui accorderaient l'autorisation de mise sur le marché (AMM) ne
voudraient pas se déjuger en la retirant plus tard. Cette vision est erronée
car retirer une AMM parce que l'on constate à l'usage moins d'efficacité
et/ou plus de risque, ce n'est pas se déjuger. C'est tout simplement faire
son métier de régulateur sanitaire qui évalue, en France comme ailleurs, les
médicaments durant tout leur cycle de vie, et tient compte d'éléments
nouveaux pouvant remettre en cause l'autorisation initialement accordée.
Ecartée par tous les grands pays occidentaux, l'idée de séparation de la
pharmacovigilance est également dangereuse car elle irait exactement à l'encontre
des exigences que suggère l'analyse des étapes de la gestion du Mediator. Le
système a en effet péché à certains moments clés par un défaut d'intégration
dans une analyse globale de toutes les données disponibles sur l'efficacité
et le risque qui étaient susceptibles d'éclairer la prise de décision.
Comment soutenir que l'on renforcerait la synergie entre les sources d'information
utiles en isolant l'une d'elles ?
L'enjeu principal de rénovation du dispositif réside donc dans la réforme
des processus d'évaluation et de décisions. Il faut agir simultanément sur
quatre fronts principaux qui sont autant d'axes de progrès.
1. Pluralisme. Tout d'abord, il faut élargir le pluralisme des processus d'évaluation
et de réévaluation, notamment en faisant intervenir en amont de la
délibération de la commission d'AMM, une instance qui serait principalement
constituée de non-spécialistes du domaine thérapeutique concerné. Cette
instance apporterait un regard plus transversal sur le rapport bénéfice -
risque, donnant davantage voix au chapitre à des acteurs tiers, en
particulier des représentants des associations de patients, des experts en
sciences humaines et sociales et, des éthiciens, pour aider les décideurs à
jauger le risque acceptable au regard d'un certain niveau de bénéfice. Sans
renier, pour autant, l'apport de l'«Evidence based medicine», qui gagnerait
même à être davantage étayé par des outils quantitatifs et qualitatifs.
2. Transparence. Il faut ensuite renforcer la transparence des processus d'évaluation
au-delà des initiatives prises depuis cinq ans par l'Afssaps, première
agence en Europe à avoir mis en ligne des comptes rendus de séances pour les
réunions des commissions scientifiques consultatives. Dans cet esprit, il
faut notamment expliciter davantage les positions dissidentes quand elles s'expriment,
et implanter en France et en Europe la saine pratique américaine des
auditions publiques, en priorité pour la réévaluation du rapport bénéfice -
risque qui gagne à prendre en compte l'expérience et le point de vue des
divers acteurs de la chaîne.
3. Conflits d'intérêts. Il est ensuite crucial de franchir une nouvelle
étape dans le renforcement de l'effectivité du système de déclaration et de
gestion des liens d'intérêts des experts qui est une condition de
crédibilité des processus d'évaluation. L'Afssaps a certes réalisé depuis
quelques années des progrès significatifs et reconnus. Mais l'heure est à l'application
totale et sans faille de toutes les règles essentielles, y compris de celles
qui veulent qu'un expert ayant un conflit d'intérêt important quitte la
salle de réunion au moment où le point concerné va être abordé. Tout
manquement à cette règle doit pouvoir être sanctionné par le retrait de la
qualité d'expert de l'agence. De plus, la véracité des déclarations des
experts, dont l'écrasante majorité est parfaitement intègre et dévouée à la
santé publique, doit pouvoir être vérifiée, au moins par recoupement entre
la déclaration elle-même qui sera mise en ligne sur le site de l'agence pour
tous les experts et les déclarations que pourraient faire les laboratoires
de leurs collaborations avec les experts. En contrepartie de ces exigences,
il faut enfin progresser dans la valorisation du concours quasi bénévole que
les experts apportent à la sécurité sanitaire: d'une part en mettant en
place un statut d'expert-associé partageant son temps à parts égales entre
une agence et l'hôpital, l'université ou le centre de recherche, et d'autre
part en réservant pour les promotions académiques un contingent de postes
destinés aux scientifiques qui peuvent faire valoir une contribution forte
et ancienne à l'expertise de santé publique.
4. Pharmacovigilance. Enfin, et bien entendu, il faut renouveler et
compléter les outils et les méthodes de la pharmacovigilance. S'il n'est pas
incongru de rappeler que le système français passe encore aujourd'hui pour
un des meilleurs en Europe et au-delà, il faut le renforcer et dépasser
certaines de ses limites intrinsèques dans une approche élargie de la
surveillance des effets des médicaments, déjà amorcée ces dernières années
pour les nouveaux médicaments à partir des plans de gestion des risques.
Renouveler les méthodes d'analyse des signaux, en vue d'accorder en priorité
du temps et des ressources aux signaux même faibles qui pourraient avoir un
impact de santé publique important ; mettre en place une possibilité de
déclaration par les patients eux-mêmes ; inscrire le devoir de notification
des effets indésirables dans un «mandat sanitaire» des professionnels de
santé de ville, notamment dans le cadre de la prise en charge des
pathologies chroniques ; établir une passerelle permanente entre la
pharmacovigilance fondée sur la notification spontanée et la
pharmaco-épidémiologie, éternel parent pauvre dans notre pays alors qu'elle
a un rôle majeur à jouer pour confirmer les signaux et guider les décisions
sanitaires ; créer un fonds mutualisé alimenté par une contribution des
firmes pharmaceutiques, permettant de financer la réalisation d'études
post-AMM conçues, menées et suivies par une instance scientifique
indépendante. Autant de pistes méritant à mes yeux d'être activement
explorées dans un proche avenir.
Face aux questions que soulève l'histoire du Mediator et à la perte de
confiance qu'elle suscite, le statu quo n'est pas concevable. Mais il faut
aussi se garder d'une approche destructrice qui ferait table rase des
progrès antérieurs et déstabiliserait un service public dont les
professionnels de santé, les patients et l'Etat ont besoin au quotidien. C'est
pourquoi les propositions qui précédent prennent le parti de la rénovation
sans complaisance. Souhaitons que le second rapport de l'Igas et les travaux
des missions parlementaires orientent en profondeur la réflexion vers une
telle démarche à la fois exigeante et responsable, dans l'intérêt de la
santé publique et des patients.