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Publié le 28/11/2022
Le brevet du sofosbuvir en débat
Munich, le lundi 28 novembre 2022 – L’Office européen des brevets a confirmé la fragilité du brevet de Gilead sur le sofosbuvir, médicament contre l’hépatite C au prix très élevé.
En 2014, l’arrivée sur le marché du sofosbuvir, un antiviral commercialisé sous le nom de Sovaldi par le laboratoire américain Gilead, a représenté un espoir important pour tous les patients atteints d’hépatite C. Problème, la firme américaine a fixé un prix de vente extrêmement élevé de 41 000 euros pour un traitement de 3 mois (et de 75 000 dollars aux Etats-Unis), ce qui a obligé les autorités sanitaires françaises à n’autoriser initialement la prise en charge de ce traitement que pour les patients les plus gravement atteints, avant que l’accès à ce médicament soit étendu à tous les porteurs du virus de l’hépatite C en 2017.
L’OEB botte en touche
Un véritable scandale pour l’association Médecins du Monde, qui se bat depuis plusieurs années contre les prix parfois exorbitants de certains médicaments vitaux et ce qu’elle qualifie de « monopoles abusifs ». Depuis que l’Office européen des brevets (OEB) a accordé un brevet au Sovaldi le 21 mai 2014, l’association s’est lancée dans une véritable croisade contre Gilead.
En février 2015, elle a ainsi entamé une procédure d’opposition au brevet. Le 5 octobre 2016, l’OEB a donné en partie raison à l’association, en réduisant la portée du brevet pour exclure notamment le sofosbuvir, principe actif du Sovaldi. Mais le brevet en lui-même a été maintenu, l’OEB rejetant la prétention de Médecins du Monde selon laquelle le Sovaldi n’a pas d’ « activité inventive » et ne peut donc être breveté.
Les deux parties avaient fait appel de cette décision intermédiaire et il a fallu attendre six ans pour que la chambre des recours de l’OEB se prononce. Une nouvelle décision rendue jeudi dernier et qui n’a en rien fait avancer les choses : la chambre des recours a confirmé sa décision de modification du brevet et a botté en touche sur la question centrale du caractère innovant du Sovaldi.
La chambre devra se réunir à une date ultérieure (non encore fixée) pour se prononcer sur la question. « Il est probable que cela ait lieu dans environ un an »explique Quentin Jorget, expert en propriété intellectuelle qui défend Médecins du monde dans ce dossier. Le brevet du Sovaldi court lui jusqu’en en 2029.
Plus de 44 milliards de dollars de recettes en 3 ans !
Dans un long dossier de presse publié à l’occasion de cette nouvelle audience devant l’OEB, Médecins du monde dénonce les agissements de Gilead. Selon l’association, le prix très élevé du Sovaldi n’est pas justifié par les couts de fabrication ou de développement et estime que la « marge de profit » serait de 99,6 %. Selon une enquête du Sénat américain, les ventes de Sovaldi et d’Harvoni (sofosbuvir/ledispavir) auraient rapporté 44 milliards de dollars à Gilead entre 2014 et 2017, pour un cout de recherche et développement de 800 millions de dollars. Médecins du monde rappelle d’ailleurs que le sofosbuvir a été développé par la firme Pharmasset, racheté par Gilead pour 11 milliards de dollars en 2011.
L’association explique également que cette politique financière a de lourdes conséquences sanitaires. Ainsi, alors que le gouvernement français s’était fixé comme objectif en 2018 de soigner 120 000 patients atteints de l’hépatite C d’ici 2022, ils ne sont finalement que 95 000 à avoir pu bénéficier d’un traitement. Médecins du monde regrette ainsi que l’Etat se soit plié aux desidérata de Gilead, alors qu’elle aurait pu avoir recours à la procédure de la licence d’office, qui permet d’obliger le laboratoire propriétaire d’un brevet à délivrer une licence à ses concurrents. Selon l’association, si un médicament générique du Sovaldi était autorisé en France, cela générerait plus de 3 milliards d’euros d’économie par an pour l’Assurance maladie.
Bien sûr, les données du problème sont plus complexes que cela. S’il est évident que limiter les brevets et les prix des médicaments favorise l’accès aux soins pour tous, il est important de ne pas aller trop loin, au risque de désinciter les laboratoires à mettre au point de nouveaux médicaments innovants. Un équilibre difficile à trouver.
Nicolas Barbet