Le laboratoire Roche accepte une production de Tamiflu sous licence
Face aux demandes croissantes de son antiviral, le laboratoire bâlois va
encore augmenter ses capacités de production et se déclare prêt à accorder
des licences.
http://www.lefigaro.fr/sciences/20051019.FIG0294.html
Christine Lagoutte
[19 octobre 2005]
NÉCESSITÉ fait loi. La crainte croissante d'une pandémie de grippe aviaire
oblige le laboratoire suisse Roche, fabricant de l'antiviral Tamiflu, à
lâcher du lest. Il est désormais prêt à accorder des licences de production
à d'autres, mettant en avant la priorité mondiale que constitue aujourd'hui
«une progression rapide des capacités de production».
Jusqu'alors, le groupe bâlois défendait bec et ongles son monopole de
production sur ce qui constitue quasiment à ce jour le seul traitement
efficace contre le virus H5N1. La semaine dernière, la pression était montée
d'un cran autour du groupe pharmaceutique après les déclarations du
secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, selon lequel il ne fallait pas
«laisser la propriété intellectuelle entraver l'accès de tous aux
médicaments».
Hier, pour la première fois depuis le démarrage de cette crise sanitaire,
Roche s'est dit prêt à discuter avec «tout gouvernement et société» des
moyens d'augmenter la production du Tamiflu. Et il a ouvert la porte à
l'octroi de licences secondaires en cas de pandémie. Le revirement est
spectaculaire puisque Roche justifiait jusqu'ici sa position pour des
raisons de «garantie de qualité». «Il ne s'agit en aucun cas de permettre la
fabrication de génériques du Tamiflu. Notre brevet court jusqu'en 2016.
L'idée est d'accorder des licences de fabrication selon un cahier des
charges très précis, à des Etats ou à des groupes, en cas de déclenchement
de la pandémie», précise le laboratoire helvétique.
Mais dans ce dossier, les événements se précipitent au fur et à mesure que
l'épizootie touche de nouveaux pays dans le monde (un premier cas chez un
volatile a été suspecté lundi en Grèce). Peu à peu, les gouvernements ne se
contentent plus de passer des commandes de Tamiflu à Roche. Taïwan a ainsi
annoncé qu'il n'hésiterait pas à contourner le brevet de Roche en mettant au
point sa propre version du médicament d'ici à la fin du mois.
Un nouveau site de production
En Inde, le troisième laboratoire pharmaceutique national a annoncé, en fin
de semaine dernière, qu'il avait commencé à produire un générique du
Tamiflu, sous le nom du principe actif, Oseltamivir, et que les premières
doses seront disponibles dès le début de l'année prochaine. Cipla justifie
sa démarche au nom d'un impératif «humanitaire». Il est vrai que les règles
en vigueur à l'OMC autorisent dans des cas extrêmes, à savoir des crises
sanitaires, les gouvernements à faire copier les médicaments.
La peur de manquer de stocks se généralise au sommet des Etats, même si
Roche a déjà conclu des accords avec une quarantaine de pays dans le monde
et que son programme d'extension de capacités est ambitieux. Hier
d'ailleurs, le groupe présidé par Franz Humer a annoncé un nouvel
accroissement de l'outil de fabrication de son désormais précieux antiviral.
L'administration américaine FDA lui a en effet donné le feu vert pour la
mise en service d'un nouveau site. Selon Roche, ce dernier fait partie «d'un
réseau de plus d'une douzaine de centres de production du Tamiflu dans le
monde entier, la moitié étant gérés par des partenaires». Au total cette
année, le groupe aura doublé sa capacité de fabrication. «Notre engagement
est aussi d'assurer la couverture des besoins pour l'épidémie de grippe
hivernale qui ne va pas tarder à arriver», rappelle-t-on au siège de Roche
en France.
Les marchés ont plutôt bien accueilli la nouvelle démarche de Roche. Le
groupe s'adjugeait 2,55% à 192 francs suisses. A l'évidence, les
investisseurs ne sont pas inquiets des perspectives commerciales du Tamiflu
pour les mois à venir. Ce médicament pourrait voir ses ventes dépasser les
650 millions d'euros cette année et certains analystes voient même dans ce
produit un nouveau «blockbuster» pour Roche, avec plus d'un milliard de
dollars de chiffre d'affaires.