Les lois de l'Afrique de l'est confondent les médicaments contrefaits et les
génériques, selon l'OMS
(IPS 23/07/2010)
GENEVE - L'Organisation mondiale de la santé (OMS) admet que la législation
sur la contrefaçon, adoptée ou en étude, en Afrique de l'est menace l'accès
aux médicaments génériques abordables.
"La législation nationale sur les médicaments contrefaits doit être très
soigneusement élaborée. Si la définition de médicaments contrefaits est trop
large, elle peut mettre dans le même panier les médicaments réellement faux
et contrefaits avec les génériques", a déclaré à IPS Hans Hogerzeil,
directeur des médicaments essentiels et des politiques pharmaceutiques de l'OMS,
dans un entretien.
Les exemples de lois qui font erreur à cet égard "sont les projets de lois
du Kenya et de l'Ouganda qui ont été proposés mais qui ont été contestés et
qui sont maintenant en cours de révision".
Dr Richard Laing, éditeur du journal de l'OMS 'Médicaments essentiels : Le
point' a déclaré: "Il peut y avoir un décalage entre les préoccupations
sanitaires et commerciales (dans ces projets de lois et ces lois). Nos
chargés de programmes nationaux sont en train de donner des informations aux
pays concernés pour faire de meilleurs choix".
Hogerzeil a ajouté que "l'OMS est préoccupée par l'aspect de santé publique
des médicaments faux et contrefaits".
Pendant que l'OMS laisse l'aspect relatif à la propriété intellectuelle à la
charge d'autres organisations, telles que l'Organisation mondiale de la
propriété intellectuelle (OMPI) et l'Organisation mondiale du commerce
(OMC), "elle est en consultation avec les Etats membres pour élaborer un
modèle de loi, y compris un modèle de définition pour les médicaments
contrefaits, qui traitera précisément de la santé publique et empêchera que
la loi sur la contrefaçon soit mal utilisée pour faire échouer le commerce
des médicaments génériques légitimes".
Hogerzeil était l'un des conférenciers à un symposium technique sur l'accès
aux médicaments co-organisé par l'OMC, l'OMS et l'OMPI le vendredi 16
juillet à Genève.
Michelle Childs, directrice de politique et de plaidoyer à Médecins Sans
Frontières (MSF) a déclaré: "Au Kenya, MSF compte sur la loi kényane de 2001
qui autorise l'importation, mais actuellement, nous sommes menacés en raison
de la loi sur la contrefaçon, qui a une définition ambiguë de la
contrefaçon".
"Nos projets sur le VIH reposent sur l'importation de médicaments mais
également sur l'utilisation du Kenya comme plaque tournante de nos projets
en Afrique. Cela doit demeurer viable", a expliqué Childs.
Elle a également précisé que "notre plus gros problème concerne beaucoup
plus les médicaments de qualité inférieure que les médicaments faux et
contrefaits".
Patrick Durisch, chargé de la propriété intellectuelle à la Déclaration de
Berne, a expliqué que "la contrefaçon est une violation du droit des marques
et elle peut se produire même en cas de produit parfait qui ne porte
atteinte à personne.
"En revanche, les médicaments de qualité inférieure et mauvaise constituent
un sérieux problème de santé publique. Par conséquent, ce problème ne doit
pas être abordé par l'adoption de dispositions plus strictes sur la
propriété intellectuelle, mais par le renforcement des agences nationales de
régulation, par exemple".
La Déclaration de Berne est une organisation non gouvernementale suisse
spécialisée dans les questions de propriété intellectuelle et de commerce.
Elle a activement fait pression sur les gouvernements pendant le dernier
cycle des négociations sur l'accord commercial anti-contrefaçon (ACAC) qui s'est
tenu en Suisse en début de juillet.
La lutte des pays industrialisés contre la contrefaçon à travers l'application
de règles plus strictes sur la propriété intellectuelle a pris une nouvelle
tournure pendant ces deux dernières années.
Les négociations sur l'ACAC, qui ont démarré mi-2008, ont impliqué l'UE
(Union européenne), les Etats-Unis, la Suisse, l'Australie, le Canada, le
Japon, la Corée, le Mexique, le Maroc, la Nouvelle Zélande et le Singapour.
Au niveau régional, le projet d'acte législatif sur la contrefaçon a été
adopté au Kenya et rédigé en Ouganda, en Zambie, au Malawi et au niveau de
la Communauté d'Afrique de l'est.
"Il y a une préoccupation importante concernant l'ACAC, surtout à cause des
saisies (récentes) de médicaments génériques en Europe. Le diable est dans
les détails", a confirmé Laing.
MSF, dont le centre d'approvisionnement est en Europe, est aussi préoccupé
par les saisies de médicaments génériques en 2008 et 2009 en Hollande, qui
étaient acheminés de l'Inde vers le Brésil, pour être simplement bloqués
après être déclarés "contrefaits" par les autorités douanières hollandaises.
Yehudah Livneh, président du comité sur la propriété intellectuelle de l'Alliance
internationale de l'industrie des médicaments génériques (IGPA), a admis que
la saisie de produits pharmaceutiques génériques en transit "constitue un
réel problème". Les autorités douanières ne doivent pas être celles qui
appliquent les brevets. Elles ne peuvent pas comprendre ces questions".
L'IGPA est une alliance de grandes organisations industrielles de
médicaments génériques, avec des membres provenant des Etats-Unis, du
Canada, de l'Europe, de l'Inde et du Japon.
La législation de l'Afrique de l'est implique également les autorités
douanières dans les décisions sur les questions de savoir si les médicaments
sont "contrefaits" ou non.
Livneh a souligné certaines des complexités des brevets: "La plupart des
médicaments sont couverts par 10, 20 et plus de brevets par pays. Certains
brevets seront défendus par des tribunaux, d'autres ne le seront pas".
De même, les brevets ne sont pas les mêmes d'un pays à un autre. "Il est
difficile de retrouver des brevets au Ghana, par exemple. Actuellement, l'OMPI
a mis en ligne une base de données; c'est merveilleux, mais ce n'est pas
suffisant".
Durisch plaide pour un changement radical dans le système: "Tout le monde
admet que les brevets sont un problème, mais rien n'est fait pour changer
cela", a-t-il déclaré à IPS, dans un entretien. "Les médicaments génériques
sont la solution trouvée pour contourner les brevets mais le système n'a
jamais été fondamentalement contesté".
Durisch pense que le même système ne peut pas s'appliquer partout comme les
ressources diffèrent d'un pays à un autre. Des exceptions doivent être
maintenues pour les pays les plus pauvres. Mais, "les gouvernements qui
discutent aujourd'hui de la façon d'améliorer l'accès aux médicaments sont
les mêmes qui élaborent des lois sur la contrefaçon. Et les projets de lois
de l'Afrique de l'est sont même plus stricts que l'ACAC".
Livneh a confirmé que les producteurs de médicaments génériques "sont en
tout à fait d'accord sur le fait que nous devons maintenir la qualité. Les
médicaments génériques doivent être de la même qualité que les nouveaux
médicaments". (FIN/2010)
Isolda Agazzi
22 juil (IPS)