[e-med] L'Europe affronte la grosse industrie sur les données cliniques

(Remerciements à CR pour la traduction de ce très intéressant article
écrit par Barbara Mintzes, qui est aussi membre de HAI.CB)

L'Europe affronte la grosse industrie sur les données cliniques
* 11:53 11 March 2014 by Barbara Mintzes
<http://www.newscientist.com/search?rbauthors=Barbara+Mintzes+&gt;

http://www.newscientist.com/article/dn25196-europe-faces-up-to-big-pharma-o
ver-clinical-data.html?full=true#.UyA923nt2w0

2014 sera-t-elle l'année où l'Europe réussira à obligé les labos à publier
toutes les données sur l'innocuité et l'efficacité des médicaments?
On pourrait bien voir la semaine prochaine une avancée spectaculaire dans la
bataille pour faire passer une loi obligeant les labos à communiquer toutes
les données de leurs études cliniques. Le 12 mars, le Parlement Européen
doit finaliser et donner un accord formel au projet de la législation en
cours, http://www.clindev.eu/latest-text-of-eu-clinical-trials-regulation/,
le vote final devant avoir lieu en avril.

Mais alors que les membres en délibèrent, les labos continuent leur combat
devant la Cour de Justice Européenne contre EMEA, l'agence du médicament
européenne responsable de la réglementation des médicaments en Europe. Ces
activités récentes ont ouvert la voie de la législation proposée. Deux cas
en justice présentés par des labos américains, AbbVie (filiale de Abbott)
et
la firme biotech InterMune, nous rappelle clairement que la route vers la
transparence en science est semée d'embûches.
Ceux qui soutiennent cette loi espèrent que le résultat bouclera la boucle.

Chaque année, des millions de personnes,
http://antidote-europe.org/en/adverse-drug-reactions-kill-197000-europeans-
annually,
meurent ou sont affectées par des effets secondaires de médicaments
prescrits de bonne fois par leurs médecins. En demandant la communication
complète sans réserve de toutes les données scientifiques, la loi devrait
conduire à des médicaments plus sûrs. Communiquer permettra aussi de faire
progresser le savoir collectif, permettant à la science de soutenir le
développement de nouveaux médicaments.

Pour l'instant, les labos ne publient que quelques données, sous prétexte
de
confidentialité commerciale. Nombre d'essais ratés n'apparaissent pas au
grand jour, ce qui conduit à une méconnaissance des médicaments, les
rendant
plus efficaces et plus sûrs qu'ils ne le sont.

Pas de négativité:
Sur la prise d'antidépresseurs, alors qu'un papier sur une étude positive
soumise à la FDA en Amérique devait être publié une douzaine de fois,
http://www.inform.dk/numen/artikler/wp-content/uploads/2011/05/Selective-pu
blishing-of-Antidepressant-trials.pdf
sous une forme acceptable par la FDA, pas de publications sur des aspects
négatifs. Et souvent les rapports publiés ne racontent pas toute
l'histoire.

L'an dernier l'Institut allemand pour la Qualité et l'Efficacité en Santé
(IQWiG), un agence indépendante responsable de l'évaluation de la qualité
et
de l'efficacité des traitements médicaux, dont les médicaments, a comparé
101 rapports d'études publiés dans la presse médicale pour des produits
traitants des maladies chroniques dont les rapports des études cliniques
complets soumis aux régulateurs
http://www.plosmedicine.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pmed.100
1526 .
Les articles de journaux ne concernaient que 25% de résultats mesurés et
70%
manquaient des informations sur des cas de décès.

Encore récemment, les régulateurs étaient complices en empêchant l'accès
public à la totalité des rapports. Mais l'an dernier, l'EMEA a commencé à
modifier la règle du jeu en communiquant des documents gardés secrets
jusqu'alors, et en pavant la route vers une nouvelle loi. Néanmoins les
deux cas en cours en justice menaçaient de fermer l'accès à ces
informations.

L'engagement de l'EMEA en faveur de la transparence remonte à 2010, quand
l'Ombudsman européen s'est opposé à l'agence quand elle a refusé de fournir
des rapports sur des médicaments contre l'obésité à des chercheurs de
Nordic
Cochrane Centre, une filiale du groupe indépendant Cochrane Collaboration
network, qui vise à promouvoir et faciliter les soins basés sur des
preuves.

En voulant rendre le pouvoir aux citoyens, la recherche de Cochrane
effectuait une revue systématique des cette clase de médicaments et elle a
fait appel à l'Ombudsman, arguant qu'elle avait besoin de toutes les
preuves
scientifiques, dont les rapports cliniques soumis à l'EMEA. Une entreprise
irlandaise spécialiste des lois a aussi fait appel à l'Ombudsman à la suite
du refus de l'EMEA de communiquer des données sur un traitement de l'acné.
L'Ombudsman a décidé contre l'EMEA dans les deux cas, estimant que l'accès
du public à l'information "donnait la capacité aux citoyens de mesurer et
d'évaluer l'efficacité des pouvoirs dévolus aux institutions de l'UE". Non
seulement l'EMEA doit permettre l'accès dans ces cas-là en répondant aux
demandes, a dit l'Ombudsman, mais les données doivent être tenues
disponibles sans attendre.

Depuis cette décision, l'EMEA a entrepris une démarche sans précédents pour
libérer toutes les études clinique et les données disponibles de patients
anonymes. L'agence a déjà libéré des millions de pages de documents en
réponse aux demandes, et la libération pro-active de données est attendue
plus tard dans le courant de ce mois après leur revue par le management.

L'agence a renouvelé récemment son intention de poursuivre avec ces
changements malgré l'opposition de AbbVie (pour adalimumab un traitement de
l'arthrite rhumatoïde -Humira) et de Intermune (pour pirfenidone employé
pour traiter la fibrose pulmonaire idiopathique, une maladie mortelle des
poumons -Esbriet). Pour ces deux labos, communiquer ces informations
donnerait un avantage malhonnête à leurs concurrents.

Conflits d'intérêts:
Les deux cas cités soulignent les différences existantes entre commercial
et
public. Adalimumab était le médicament le plus vendu en 2012,
http://www.forbes.com/sites/simonking/2013/01/28/the-best-selling-drugs-of-
all-time-humira-joins-the-elite/ ,
avec des ventes atteignant 9,3 milliards de dollars USA. Il était le
troisième produit approuvé dans cette classe de médicaments, après
infliximab (Remicade)
et etanercept (Enbrel).

Mais un journal médical français indépendant, Prescrire, le qualifie comme
"rien de nouveau" quand il a été approuvé pour la première fois comme
traitement de l'arthrite rhumatoïde,
http://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&ved=0CC4QFjA
B&url=http%3A%2F%2Fenglish.prescrire.org%2Fen%2F8D5E3E4219E9CD603D118310BAE
923F6%2FDownload.aspx&ei=5uQeU4C-Joip7Ab19oCADw&usg=AFQjCNGAaLIZfcNZ49dFd-J
4RkBtLN1dbA&sig2=DON4gRnU2fWpFW0nNzCrgg&bvm=bv.62788935,d.bGQ,
pour des malades qui n'ont pas répondu aux traitements précédents, il est
noté comme pas plus efficace que etanercept en monothérapie, et au mieux
"potentiellement utile" si il est associé au methotrexate, bien qu'il soit
nettement plus cher que infliximab et etanercept. Ces trois médicaments
augmentent les risques de lymphomes et d'infections graves.

Pirfénidone d'InterMune est approuvé en Europe et au Canada, mais pas aux
USA. La FDA, l'organisation fédérale chargée de la réglementation des
médicaments aux USA, estime qu'un des deux essais de grande envergure ne
montre pas d'avantage par rapport au placebo. Pour Prescrire, il n'y a pas
de preuves dans ces deux essais que pirfenidone
http://english.prescrire.org/en/81/168/48508/0/2013/ArchiveNewsDetails.aspx
?page=2
améliore la qualité de la vie ou ralentisse la progression de la maladie
alors que les réactions indésirables sont bien documentées.

Plus de 6.000 professionnels, chercheurs et consommateurs, ont signé une
pétition lancée par le website RxISK sur la sécurité des médicaments
http://wp.rxisk.org/sign-the-rxisk-drug-safety-petition/ et disponible
aussi
sur Change.org, demandant aux CEO des deux labos d'abandonner leurs
poursuites
https://www.change.org/petitions/richard-gonzalez-of-abbvie-and-daniel-welc
h-of-intermune-drop-your-legal-action-blocking-access-to-ema-clinical-trial
-data.
Pour cette pétition, les dangers des médicaments ne peuvent être des
secrets
commerciaux, et que le secret permet aux labos de maximiser les ventes en
gonflant les bénéfices par la diminution du danger.

Dans une première injonction, l'EMEA a été empêchée de communiquer tout
documents sur les produits, mais le 5 décembre 2013, la Cour de Justice
Européenne a libéré l'EMEA de cette injonction. Pour garder le secret, les
labos doivent fournir des preuves, dans chaque document, que leur
communication conduirait à un risque grave et irréparable.

Un pas en avant:
Guido Rasi a applaudi cette décision: "Alors que nous n'avons pas encore
gagné dans les deux cas en justice, c'est le premier pas important depuis
le
début du litige".

Pendant ce temps, toujours en décembre, le Parlement Européen et COREPER,
l'une des organisations européennes en charge de la législation, ont
approuvé une proposition de loi demandant que toutes les études soient
mises
dans une base de données accessible, spécifiant que les protocoles des
études et que les rapports de données dans leur intégralité soient rendus
publics après approbation du produit. La proposition répond aussi à
d'autres
questions sur les preuves, en demandant que des études soient conduites sur
des groupes vulnérables, comme les personnes âgées fragiles, et en
encourageant la poursuite d'études par des organisations non commerciales.

Ces clauses montrent clairement que la transparence n'est pas la panacée en
elle-même. Les études doivent être dessinées de façon à répondre aux bonnes
questions, et dans l'idéal, il devrait y avoir un garde-fou entre les
essais
sur la sûreté et l'efficacité d'une part, et les intérêts commerciaux
d'autre part, sans implication directe des firmes sur le dessin et la
conduite des essais. Néanmoins, la transparence des travaux clinique est un
premier pas crucial. La décision de la Cour Européenne de Justice dans les
deux cas cités est attendue en 2015, elle sera la pierre d'achoppement pour
le futur. On peut seulement espérer que la science et l'intérêt du public
l'emporte.

Barbara Mintzes http://spph.ubc.ca/person/barbara-mintzes/ est maître
assistante à l'Ecole de la Population et de la Santé Publique (School of
Population and Public Health), de l'Université de la Colombie Britannique,
Vancouver, Canada