Mediator : le système Servier dévoilé
Par Anne Jouan
Mis à jour le 24/01/2013 à 19:52 | publié le 24/01/2013 à 19:13
Un ancien responsable de l'Agence du médicament est mis en cause pour ses
liens financiers avec le laboratoire.
Selon nos informations, les juges parisiens en charge de l'instruction sur
le Mediator ont convoqué pour la
mi-février plusieurs personnalités en vue de leur mise en examen. Il
s'agit de deux ex-cadres de l'Agence du médicament, Jean-Michel Alexandre
et Éric Abadie. Du côté de chez Servier, sont convoqués Marlène May
Garnier, une ancienne salariée de l'entreprise recrutée en 1977 et qui
avait créé par la suite une entreprise de conseil appelée Cris. Ces
convocations interviennent dans le cadre du volet tromperie et prise
illégale d'intérêts du dossier.
Jean-Michel Alexandre est professeur de pharmacologie. Il a été l'un des
hommes les plus influents en matière de médicament en France de 1980 à
2000. De 1985 à 1993, il a été président de la commission d'autorisation
de mise sur le marché à l'Agence du médicament (aujourd'hui Afssaps), puis
directeur de l'évaluation des médicaments de 1993 à 2000, et enfin,
président du comité des médicaments de 1995 à 2000 avant de devenir, et ce
sans délai de carence, consultant pour l'industrie pharmaceutique. Le 19
décembre 2011, Le Figaroavait révélé queJean-Michel Alexandre avait touché
1,2 million d'euros de la part de Servier
<http://sante.lefigaro.fr/actualite/2011/12/19/16526-grande-generosite-serv
ier-envers-expert> entre 2001 et 2009.
Entreprise écran
Les gendarmes chargés de l'enquête ont passé au crible des documents
saisis par la police allemande qui concernent la société Cris, créée par
Marlène May Garnier. Il s'avère que Cris était une société financée en
partie par Servier (à hauteur d'un quart, le reste venant de Sanofi ou
Takeda) via ses filiales allemandes, en d'autres termes, une entreprise
écran entre Servier et Jean-Michel Alexandre.
Selon des procès-verbaux que Le Figaro a pu consulter, le professeur de
pharmacologie travaillait pour Servier depuis des années. «Nous avons le
plaisir de vous confirmer les prestations que vous aurez à fournir en tant
que conseil personnel de M. Servier et qui seront honorées annuellement
pour un montant de 1.000.000 francs versés par trimestre», (document du 29
janvier 2001).
Marlène May Garnier sollicite Jean-Michel Alexandre dès 1978 quand
celui-ci s'occupe du dictionnaire Vidal à la demande de Simone Veil alors
ministre de la Santé, mais commence à le payer en 2001.
Ironie de l'histoire, l'objectif de Simone Veil était de mettre de l'ordre
dans les informations des médicaments délivrées par les laboratoires «Je
voyais beaucoup M. Alexandre (1978-1979) qui était mon référent pour tout
ce qui concernait les propriétés moléculaires», confie Marlène May Garnier
aux enquêteurs. Question: «Rémunériez-vous M. Alexandre pour les conseils
qu'il vous donnait?» Réponse: «Pas du tout. Il le faisait à titre gracieux
car cela l'intéressait et il avait besoin d'être reconnu ailleurs qu'en
France.»
Contourner l'interdiction
Quand Jean-Michel Alexandre quitte l'Agence du médicament en 2000, il sait
qu'il n'a pas le droit de travailler pour une entreprise pharmaceutique
pendant une durée de cinq ans. Comme Cris était une société de conseil, il
a contourné l'interdiction en toute connaissance de cause.
Marlène May Garnier confie également aux enquêteurs que la compagne de
Jean-Michel Alexandre «a essayé de se faire embaucher par M. Servier. Il
n'en a jamais voulu car elle vivait avec M. Alexandre».
De son côté, le contrat du 1er octobre 2000 liant la société Cris à
Servier précise qu'«outre la défense des intérêts de notre société auprès
du ministre de la Santé allemand et de l'Agence européenne du médicament,
vos missions portent sur () les relations avec les hautes personnalités
de la tutelle».
Également convoqué par les juges en vue de sa mise en examen, Éric Abadie,
diabétologue à l'hôpital européen Georges-Pompidou, a été recruté en 1994
à l'Agence du médicament par Jean-Michel Alexandre. En avril dernier, il a
démissionné de son poste de président du Comité d'évaluation des
médicaments à usage humain (CHMP) qu'il occupait à l'Agence européenne du
médicament. Marlène May Garnier est elle aussi convoquée par les juges.
Toutes ces mises en cause signifient que le versant tromperie et prise
illégale d'intérêts sera bouclé au printemps, les juges attendant le
rapport d'expertise sur le Mediator pour la fin mars.